C’est déjà un vieux refrain, au point d’être devenu un bon gros cliché, de dire qu’un grand titre se gagne sur une grande défense. Un coup d’oeil aux cinq derniers champions du monde révèle quelques éléments dans ce sens. Trois d’entre eux (Espagne, Italie, France) n’ont encaissé que deux buts durant tout le tournoi. Les deux autres (Allemagne, Brésil) sont montés à quatre et l’on peut même être capable d’atténuer la portée de ce dernier chiffre : par exemple, deux des quatre buts accordés par le Brésil en 2002 l’ont été face au Costa Rica, son dernier adversaire en groupe alors que les Brésiliens étaient déjà qualifiés. Ils alignaient plusieurs « remplaçants » et ont gagné ce match 5-2.

 

Une constante pour ces cinq vainqueurs : sur sept matchs de tournoi ils ont enregistré soit quatre soit cinq jeux blancs, où l’adversaire n’est pas parvenu à marquer. L’extrême en la matière est l’apanage de l’Espagne 2010 : deux buts encaissés en phase de groupe, entre la défaite initiale face à la Suisse (0-1) et la victoire sur le Chili (2-1). Ensuite, aucun but contre lors des quatre matchs à élimination (Portugal, Paraguay, Allemagne, Pays-Bas) tous gagnés sur le même score : 1-0… Championne du monde avec seulement huit buts marqués.

 

Quand on parle de « grande défense », on ratisse assez large, incluant l’entente entre les deux (trois) défenseurs centraux (la relation primordiale dans le jeu moderne), avec le (les) milieu(x) reculé(s), la reconquête du ballon et la relance du jeu. Bien entendu, la présence d’un gardien sûr, dominant et maître de son environnement comprenant partenaires et adversaires (Neuer, Casillas, Buffon) est une pièce fondamentale de cette équation.

 

De toutes ces qualités, l’Argentine n’en possède aucune en 2018. Déjà fébrile face aux quelques velléités islandaises au premier match, elle s’est totalement noyée dans cette débâcle face à la Croatie (0-3). Positionnement incertain, manques répétés de communication, erreurs techniques, la panoplie est déployée. Le catalyseur aura été la bourde de Caballero offrant le premier but à Rebic. Il possède au moins deux relances simples (et voire même dégager loin devant) au lieu de sa « passe décisive » à l’attaquant croate. Mais au-delà de son gardien, c’est le système de jeu argentin qui a été défait ce jeudi: incapable de maîtriser le ballon, il a été absolument étouffé par le milieu de terrain croate, tenu en premier lieu par Brozovic et Rakitic mais où les hommes en noir sont toujours apparus plus nombreux, plus grands, plus puissants. Ils ont en outre apporté un défi physique auquel les Argentins n’ont jamais su répondre.

 

Venue avec une panoplie offensive impressionnante, l’Argentine n’a jamais pu la mettre en situation de contrôle dans ses deux matchs. Oui, elle a dominé l’Islande, mais sans jamais la déstabiliser.

Et Messi, pauvre Messi, n’a pu que mesurer l’impossibilité de la tâche. À laquelle il aura, malheureusement pour lui, apporté sa propre contribution personnelle : si d’aventure (et c’est désormais bien possible) l’Argentine ne devait pas passer le premier tour, son penalty manqué face aux Islandais reviendra comme un moment marquant de cette déconfiture.

 

La survie argentine dans ce tournoi est désormais dans les pattes islandaises et/ou nigérianes. Une certitude : elle devra sortir à son maximum lors du dernier match face au Nigeria pour effacer une différence de buts qu’elle traîne maintenant comme un boulet. Et espérer que la conjonction de résultats lui soit propice. Mais, petit miracle ou non, le constat actuel est brutal : c’est une Argentine terriblement pauvre dans son fonds de jeu qui tente de survivre dans ce groupe D.

 

Chez les vainqueurs du jour, c’est avant tout au milieu que Zlatko Dalic a mis en place ce succès. Avec Brozovic à la base, Modric le plus avancé et surtout Rakitic en homme à tout faire. Si Modric est d’abord assez bien tenu par les Argentins, Rakitic va bénéficier d’une plus grande latitude et prendre une partie de l’organisation du jeu. Comme les trois de devant (Mandzukic, Rebic, Perisic) décrochent en alternance et viennent se mêler des choses dans l’entre-jeu, la Croatie y est en constant surnombre, dans l’axe comme sur les ailes pour limiter l’influence des joueurs excentrés (Acuna, Salvio). Les Argentins apparaissent souvent isolés, régulièrement à court d’un homme. Défensivement, Rakitic est régulièrement placé dans la zone de Messi, pour limiter son influence et le risque de ses démarrages en solo. L’avantage annexe du système est d’enlever une grosse charge de travail à une défense qui n’est pas encore le point fort de l’équipe. Elle n’aura en fait été que très rarement mise en difficulté. Après le cadeau offert à Rebic, l’Argentine est obligée de pousser encore plus. Les entrées de Dybala et Higuain ne font planer qu’on court doute, l’ensemble retrouvant vite son ascendant. Modric s’est pendant ce temps retrouvé bien plus de liberté et il dirige plus librement le jeu. Il va même sceller le match d’une magnifique frappe en solo, bénéficiant d’un espace béant devant la défense argentine et ajuster Caballero de vingt mètres. C’est le but du match et l’un des bijoux du premier tour. Rakitic parachevant le triomphe collectif et un brillant match personnel par un troisième but tout simple, juste après avoir balancé un coup franc sur la barre. La Croatie est qualifiée après deux matchs. Sa sortie a été de bien meilleure facture que face au Nigeria. Et si elle maintient cette même intensité et ce même niveau d’organisation, elle a maintenant les moyens de voir loin.

 

Didier Deschamps a lui aussi la vue plus dégagée. Ses Bleus ont en partie effacé l’avalanche de critiques subies après le petit succès face à l’Australie. Certes, la victoire sur le Pérou ne restera pas un monument de contrôle (les accélérations péruviennes auront su à l’occasion lui créer de vrais problèmes), mais elle a enfin su apporter des éléments de solution à un ensemble de problèmes.

 

D’abord un effort commun dans la récupération, où l’on a vu Mbappé et Matudi participer activement à un travail où Kante aura été comme d’habitude partout et où Pogba aura été cette fois essentiel. L’animation offensive reste encore à peaufiner, mais on sent qu’avec Giroud devant lui, Griezmann se retrouve dans son habitat naturel et que Mbappé peut profiter d’une plus grande liberté à partir d’une aile que dans l’axe. Pogba - Giroud - Mbappé, c’est le trio au coeur de l’unique but français, construit sur un duel gagné par le premier, servant idéalement le second dont la frappe déviée est poussée dans le but par le troisième.

 

Perfectible, on l’a dit, la France ayant encore eu tendance à reculer et à se montrer nettement moins conquérante sur le ballon lorsque le Pérou s’est mis à pousser. Un choix qui laisse bien sûr la porte ouverte à un contre-éclair (avec Dembélé et Fekir entrés en fin de match), mais ne devrait pas être trop répété, surtout face à un adversaire qui posséderait une plus grande et plus solide présence dans les 20 mètres français (et assurément dans la surface de Lloris où les incursions péruviennes ont été plutôt rares). Deschamps possède donc une certaine marge de manoeuvre et il sera intéressant de voir son approche pour le dernier match face au Danemark, tenu en échec plus tôt par l’Australie, malgré très beau but d’Eriksen, techniquement brillant. Les Bleus y joueront la première place du groupe, mais peuvent déjà penser à la phase suivante.

 

XXX