Katherine Surin, athlète spécialisée dans la course de 400 mètres, fille du célèbre sprinter québécois Bruny, visait les Jeux olympiques de Tokyo. Tout ce qu’elle faisait était axé vers ce but et elle y avait consacré de très grands efforts : déracinement, déménagement, efforts financiers, stages d’entraînement, entraînement, entraînement, entraînement. Puis est arrivée la crise de la COVID-19.

Comme la majorité des humains sur cette planète, Katherine Surin a vu le doute s’installer, les plans si bien tracés, commencer à s’effacer. Et au doute, s'est ajouté le stress. S’entraînait-elle pour rien? Comment garder la forme quand on ne peut sortir de chez soi et que les qualifications sont toujours programmées?

Au moment où nous faisions cette entrevue, par téléphone bien sûr, Katherine souhaitait que la Fédération canadienne d’athlétisme prenne position. Le soir même, il y eut plus clair que ça : le Canada fut le premier pays à annoncer sa non-participation aux Jeux de Tokyo 2020 si la tenue de ceux-ci était maintenue. Une décision qui fit boule de neige, on le sait maintenant.

« J’ai ressenti à la fois du soulagement et de la tristesse, confie Katherine. J’ai revu dans ma tête tous les efforts faits depuis un an, les choses que j’avais sacrifiées pour tenter d’atteindre mon objectif. Mais en même temps, cette décision enlève un stress énorme sur les épaules des athlètes qui n’arrivaient plus à s’entraîner adéquatement. Comment aurions-nous pu avoir de bons chronos pour les qualifications dans ces conditions? Le problème, ce n’étaient pas tant les Jeux eux-mêmes que la préparation pour s’y rendre. Et de toute façon, s’ils étaient maintenus, quel genre de performances y aurait-il eu à ces Jeux? Et puis, il y a eu une certaine fierté que le Canada soit un leader dans la décision de reporter les Jeux. »

Katherine Surin fait sa période d’isolement volontaire puisqu’elle est de retour d’Afrique du Sud, là où elle faisait un stage d’entraînement avec son équipe française. « J’ai été chanceuse de pouvoir me rendre jusqu’ici, reconnait-elle. Au moment de partir, l’Afrique n’était pas beaucoup touchée, mais on sentait une méfiance accrue envers les étrangers. Mon programme initial était de retourner en France, où j’habite présentement, mais les mesures prises par le président Macron ont changé mes plans. J’ai fait un vol Johannesburg-New-York et ma correspondance pour Montréal a été annulée. Heureusement, j’ai pu trouver un autre vol. »

Bruny et Katherine SurinL’athlétisme dans ses veines

L’athlétisme est certes dans l’ADN de la jeune femme de 24 ans. Elle en avait à peine 3 ou 4 qu’elle voulait déjà « faire de la course comme papa ». « Mes parents estimaient que j’étais trop jeune, raconte Katherine. Ils craignaient que ce soit difficile pour moi, à un âge aussi tendre, de vivre la pression d’être la fille de Bruny. Et si les performances n’étaient pas au rendez-vous? C’était un risque qu’ils ne voulaient pas que je prenne. »

Alors ils l’ont inscrite au tennis, tout comme sa sœur Kimberley-Ann. Elle y a joué jusqu’à l’âge de 14 ans, là où la passion pour l’athlétisme a pris le dessus. Un an plus tard, elle était affiliée au club Corsaire-Chaparral. Elle a  commencé par le sprint court, comme son père, soit le 100m ou le 200m, pour découvrir après quelque temps que son épreuve de prédilection allait être le 400m.

La jeune Katherine participa alors à la finale des Jeux du Québec à Shawinigan en 2012, puis aux Jeux du Canada à Sherbrooke l’année suivante. « Aux Jeux du Québec, je représentais la région de Lanaudière. J’y ai pris part à 4 épreuves et ça m’a permis de sentir réellement ce qu'était la compétition et de valider ma décision de me tourner vers l’athlétisme. Aux Jeux du Canada, ce fut en quelque sorte le début de ma vie publique en athlétisme. C’est là que j’ai reçu mes premières offres pour des universités américaines. »

L’expérience américaine

Elle a fait un an et demi à l’Université du Nevada, puis s’en est allée à l’Université du Connecticut. Une expérience bénéfique, reconnait-elle, puisque dans le système américain elle était complètement prise en charge et avait accès à des compétitions de différents niveaux. Puis il y a eu cet entraîneur, Jarius Cooper, quelqu’un qui l’a beaucoup aidée. « J’avais une bonne relation avec lui, explique-t-elle. Il était vraiment à mon écoute et me préparait des entraînements adaptés. »

Cette association fut certainement bénéfique puisque Katherine a battu le record du 400m de l’Université du Connecticut, tant à l’extérieur qu’en salle, ce qui lui a permis de se qualifier pour le puissant championnat de la NCAA. Puis est venue la qualification pour les championnats du monde.

« Coach Cooper est venu à Montréal pour les championnats canadiens où j’ai eu un très bon chrono. C’est ce qui m’a permis d’être choisie sur l’équipe canadienne qui allait se rendre à Doha au Qatar. J’ai appris la nouvelle après un mois d’angoisse! J’ai célébré avec mes parents, nous étions très heureux! »

L’expérience des championnats du monde lui a laissé un souvenir doux-amer. Alors qu’elle espérait faire ses preuves sur la piste, elle a dû se contenter d’un rôle de substitut inutilisée. « J’ai fait tous les entraînements et les échauffements, mais c’est l’équipe de base qui a été utilisée. C’était un peu frustrant et décevant, mais au moins j’ai vu ce qu’était une compétition de haut niveau, j’ai pu en sentir l’ambiance. La glace est brisée pour la prochaine fois. »

La France

Elle a pris la décision d’aller s’entraîner en France après la saison 2019. « J'ai choisi la France, dit-elle, parce qu’à Montréal c’est impossible de s’entraîner en extérieur à longueur d’année à cause de la météo. Il n’y a qu’une seule piste intérieure, soit celle du centre Claude-Robillard, et elle est souvent fermée. De plus, mon entraîneur au Québec, Nicolas Harel, est d'abord professeur d’éducation physique. Il n’était donc pas totalement disponible pour moi. Ce sont là beaucoup d’inconvénients pour les objectifs que je me fixais. »

C’est à Doha qu’elle a fait les premiers contacts avec l’entraîneur français Bruno Gajer, et ç’a tout de suite cliqué. Elle s’entraîne maintenant, en temps normal, à Montpellier, une décision qu’elle ne regrette pas, mais qui pèse lourd sur les finances. «  J’ai quelques bourses, je suis soutenue par la Fédération canadienne, des commanditaires dont Addidas et bien sûr, l’indispensable support de mes parents. »

Et Bruny là-dedans? « Pour moi, il est bien sûr une grande inspiration. Mais il respecte beaucoup ma démarche. Il va s’impliquer dans mon entraînement si je le lui demande, en commençant toujours par s’informer si j’en ai parlé avec mon coach avant de me donner son avis. »

Si aujourd’hui la pression de porter le nom Surin est disparue, celle de la présence médiatique s’est aussi envolée. « Depuis que je suis toute petite, je vois des caméras graviter autour de notre famille. Alors, ça ne m’impressionne pas trop. »

Katherine voit maintenant ce temps de pause forcée comme une opportunité. « D’abord, je vais essayer de prendre la quarantaine comme des vacances, puis ce sera l’occasion de mieux se préparer pour les Jeux de 2021. Le défi maintenant, c’est de composer avec l’isolement social. Hier, j’ai passé 7 h 30 sur mon téléphone! Heureusement que je suis chez mes parents, j'ai de la compagnie. »

Un temps de pause dans une carrière qui s’annonce lumineuse, parce qu’un jour tout ça va bien reprendre.