L’annulation des championnats du monde de patinage artistique a plongé tout le monde dans la consternation. C’était au début de la crise, il y a deux semaines à peine même si ça nous semble des mois, et on ne mesurait pas encore tout à fait à quel point celle-ci chamboulerait nos vies. 

C’est la deuxième fois dans l’Histoire qu’on annule la tenue d’un championnat du monde de patinage artistique. Le triste précédent a eu lieu en 1961 suite à l'écrasement de l’avion qui transportait les athlètes de l’équipe américaine vers Prague où le championnat devait avoir lieu. L’escale en Belgique fut fatale puisque c’est à l’approche de Bruxelles que l’avion s’est écrasé. Les 17 membres de l’équipe américaine, ainsi que tous les autres passagers et membres de l’équipage, y perdirent la vie.

Conséquences de l'annulation

Les circonstances de l’annulation du championnat 2020 sont bien différentes. Mais pour les patineurs artistiques, les conséquences de cette annulation vont bien plus loin qu’un championnat biffé de la saison.

« Il s’agissait des avant-derniers championnats précédant les Jeux olympiques, souligne Richard Gauthier, entraîneur de couples au CPA Saint-Léonard. Si ceux de 2021 seront déterminants pour connaître le nombre d’athlètes que nous pourrons envoyer aux Jeux, ceux de 2020 étaient aussi importants. De bons classements nous auraient permis d’ajouter des athlètes en 2021 et d’accroître nos chances de représentation aux Jeux de Beijing. Par ailleurs, la situation du patinage  aurait pu être pire, philosophe-t-il. Une annulation de compétitions au cœur de la saison par exemple, qui aurait pu mettre en péril la carrière de certains patineurs. »

Terminer la saison sans championnats du monde, c’est un peu finir la saison en queue de poisson. « Tu passes de 100% d’adrénaline à rien du tout! s’exclame Marie-France Dubreuil, entraîneuse des danseurs à l’école de patinage Montréal International. Quand on a su que c’était annulé, on a voulu faire un regroupement sur Facebook avec nos athlètes pour que chacun remercie sa fédération et ses fans dans sa langue, on a voulu faire un événement vidéo pour que tous gardent au moins un souvenir des chorégraphies qui avaient été peaufinées, mais les arénas ont été fermés, les regroupements déconseillés et on n’a pu rien faire, regrette-t-elle. »

Pour Alicia Pineault, membre de l’équipe canadienne, c’était le rêve d’une première participation qui s’envolait en fumée. « Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai été vraiment déçue, confie-t-elle. Ç’auraient été mes premiers et ça m’a vraiment fait mal au cœur. Mais, si au début j’étais concentrée sur mon propre malheur, nous avons ensuite tous rapidement réalisé que c’était vraiment pour une raison majeure. Quand on s’est rendu compte de l’ampleur de la chose, ça nous a aidés à mieux prendre la nouvelle. »

« Ce qui m’a aidée à mieux vivre cette saison finie abruptement, poursuit-elle, c’est ma bonne performance aux Quatre continents (10e au classement général). Ça me permet de terminer sur une note positive et de garder ça en tête. »

Cette saison tronquée a aussi un effet pervers sur les finances des athlètes. « Plusieurs d’entre eux préparaient leurs programmes de spectacles et tous ont été annulés, explique Richard Gauthier. Ça veut dire un gros manque à gagner pour les patineurs qui finançaient une partie de leur année avec ça. » Un effet domino qui peut aussi éclabousser les entraîneurs, payés par les athlètes.

Reporter?

L’ISU (International skating union) a envisagé la possibilité de reporter les championnats en octobre, ce qui soulève un certain scepticisme dans le milieu.

« Je vois ça bien difficile, explique Manon Perron, Superviseure haute performance à Patinage Canada. Comment pourrait-on tenir deux championnats dans la même année (saison de patinage)? On peut tout de suite penser que certains entraîneurs choisiraient stratégiquement de faire participer leurs athlètes à ceux de 2021, puisque ce sera une année pré-olympique, et d’ignorer ceux de 2020. »

« Ce serait difficile, confirme Marie-France Dubreuil. Ça bousculerait la saison des Grands Prix qui commence en octobre, et pour les danseurs, ça voudrait dire préparer deux thèmes musicaux différents dans un laps de temps très court. »

« Si c’était reporté, c’est sûr que je voudrais y participer, souligne Alicia Pineault. Mais en même temps, mon enthousiasme est un peu mitigé. Les patineurs sont habitués à atteindre le sommet de leur forme au moment des championnats nationaux, des compétitions continentales et des championnats du monde, soit janvier, février, mars. Mais pas en octobre! En plus, ça chevaucherait la saison des Grands Prix. Mais si c’est la décision qui est prise, on va s’ajuster! »
S’entrainer malgré tout

Mais peu importe que les championnats soient reportés ou pas, il y aura un jour une saison qui reprendra. Et pour l’instant, l’entrainement est difficile avec la fermeture de tous les arénas.

« Ce n’est pas facile de garder la forme pour les athlètes, estime Manon Perron, parce que le patinage a des besoins spécifiques. On va prendre des retards dans tout. Ça repousse les apprentissages de nouveaux sauts, de nouveaux éléments, de nouvelles chorégraphies, il y a quand même des limites à la visualisation. Les chorégraphes, qui ne sont pas si nombreux, deviendront très sollicités et devront faire des choix. En plus, revenir après un arrêt de plusieurs semaines, c’est comme reprendre après une grosse blessure. On nage dans l’incertitude. »

« En couple, il y a les levés, les sauts côte à côte, c’est un moment de l’année stratégique où on amène de nouveaux éléments, renchérit Richard Gauthier.

Déjà un arrêt vacances de deux semaines, on le ressent malgré le fait que les athlètes font attention à ce qu’ils mangent parce qu’une prise de poids peut être problématique. Alors si on élargit ça plusieurs semaines… »

« Chez les danseurs, explique Marie-France Dubreuil, il faut espérer retourner en studio le plus vite possible en respectant les consignes sanitaires. Les Chinois, les Japonais, les Coréens sont déjà de retour sur la glace, leurs patinoires étant ouvertes, ce qui crée une situation inégale. Ils n’ont pas de compétitions, mais ils peuvent s’entraîner alors que ce n’est pas ainsi ailleurs dans le monde. »

Alicia Pineault est bien déterminée à tout mettre en œuvre pour rester au meilleur de sa forme. « J’ai accès à YouTube, dit-elle, et mon entraîneur physique m’a envoyé un programme. Je peux travailler ma technique à l’intérieur. On a un grand sous-sol à la maison et je peux y faire des rotations, décortiquer les mouvements de chaque saut, cultiver la mémoire musculaire.  C’est le "feeling" du patinage qui va se perdre le plus. Même après une semaine d’arrêt, c’est déjà plus difficile de retrouver le mouvement. J’ai parlé avec d’autres athlètes et on s’est dit que celui qui gagnerait la course, c’est celui qui va s’entraîner le mieux dans son sous-sol! »

Dans toute cette incertitude, tous tentent de garder le moral et un certain optimisme. Mais la réalité est là, bien tangible et incontournable.

« On a beau planifier, faire tout ce qu’on peut, mais l’avenir est incertain, soupire Marie-France Dubreuil. Cependant, dans tout ça, la santé publique et mentale restent les enjeux les plus importants. Quand on recommencera, on s’assurera que nos athlètes seront à l’aise de le faire. » « Le plus important, insiste Alicia Pineault, c’est  tout ce qui a trait à la pandémie et de bien faire les choses. »

Et venant de la bouche d’une athlète qui a vu son rêve s’envoler, cela prend tout son sens.