Ramer contre vents et marées
$content.firstChildCategorie mercredi, 9 juil. 2014. 20:49 vendredi, 23 nov. 2012. 23:10Il y a de ces athlètes qui méritent de sortir de l’ombre. Un des plus beaux talents en canoë se trouve ici au Québec. Une athlète si talentueuse qu’à 20 ans, Laurence Vincent-Lapointe a déjà trois titres de championnes du monde en poche.
Originaire de Shawinigan en Mauricie, Laurence ne l’a pas eu facile pour atteindre ce niveau. Initiée au sport par une amie, elle peinait à demeurer stable dans son embarcation. « Je chavirais tout le temps en kayak. J’étais incapable de demeurer 15 minutes dans mon bateau. Puis, je me suis tournée vers le canoë et encore là, je tombais 15–20 fois par entraînement. Sauf que j’aimais ce sport », raconte-t-elle.
Ses parents ont bien tenté de la diriger vers un autre sport mais Laurence persistait en canoë. « Ça m’a pris 2 ans avant d’arrêter de chavirer. En fait, la première fois ce fut la journée de mon 15e anniversaire. Par la suite, je me suis améliorée rapidement. Mes entraîneurs ont remarqué que j’avais un talent. »
Puis en 2010, ce fut le déclic. « J’ai changé quelque chose à ma technique et puis c’est là que j’ai commencé à avoir du succès. » Et comment. Elle remporte deux Coupe du monde coup sur coup avant de remporter l’épreuve de 200 mètres aux championnats du monde. « J’étais euphorique aux Mondiaux. Je n’en revenais pas. » Laurence a remis ça l’année suivante en conservant son titre tout en ajoutant celui au 500 mètres en C-2.
Pendant que Mark Oldershaw a remporté une médaille de bronze en C-1 aux Jeux olympiques de Londres, Laurence, championne du monde, a regardé le tout à la télévision. Simple. Sa discipline, le canoë féminin, n’est pas au programme olympique. Le canoë masculin, oui; le kayak féminin, oui; le kayak masculin, oui, mais pas le canoë féminin.
Même en allant sur le site de la Fédération canadienne de canoë-kayak, on ne retrouve pas le nom de Laurence sous la rubrique « athlètes ». Seuls les athlètes brevetés (lire : dont la discipline est aux Jeux olympiques) s’y retrouvent. Malgré ses excellents résultats, Laurence ne peut pas recevoir d’aide financière de Sports Canada. Elle a bien tenté de recourir aux tribunaux pour faire part de ses droits mais elle a eu droit à une fin de non-recevoir.
Ce fameux brevet de Sports Canada permet également d’obtenir un financement supplémentaire de 6000 $ de la part d’Équipe Québec. Techniquement, Laurence ne pourrait donc pas en bénéficier. Devant ses résultats, on a toutefois fait une entorse aux règles pour qu’elle puisse en profiter. Sans ce support, elle avoue qu’elle aurait beaucoup de difficultés à bien poursuivre sa carrière.
« Au sein de l’équipe nationale, je me sens un peu comme un bibelot », lance-t-elle en poussant un soupir. « Je n’ai pas beaucoup de soutien parce que je n’ai pas de brevet. Une chance que j’ai l’équipe du Québec », ajoute Laurence en mentionnant qu‘elle a de bonnes relations avec ses coéquipiers de l‘équipe canadienne.
L’égalité des sexes
À la fédération internationale de canoë, on clame haut et fort que l’on veut l’égalité des sexes. La semaine dernière, les bonzes de la fédération étaient réunis en Russie pour leur congrès annuel. Le sujet du canoë féminin, slalom et vitesse, a suscité beaucoup de débats. Pour l’instant, pas question que le canoë féminin soit au programme des Jeux de 2016 à Rio. Cette prise de position en a fait rager plusieurs dans le milieu. Si la fédération internationale veut l’équité, le canoë féminin doit être ajouté au programme.
Voyant le tumulte provoqué par la situation, la fédération internationale a voulu corriger le tir le lendemain en expliquant par voie de communiqué qu’il n’était pas question d’exclure le canoë féminin mais que tout devait se faire par étape. Coïncidence, le communiqué a disparu du site officiel de la fédération…
« Regardez qui prend les décisions. Avez-vous vu beaucoup de femmes au niveau décisionnel à la fédération? On nous reproche que le niveau n’est pas assez élevé. Je ne suis pas d’accord. Il y a 37 pays qui pratiquent le canoë de vitesse et on ne cesse de s’améliorer malgré le peu de moyens mis à notre disposition », de dire Laurence.
« Je peux te dire qu’il y a plusieurs athlètes masculins qui sont venus me voir après les mondiaux pour me dire qu’ils étaient surpris par la façon dont on pagaie. Ben oui, une fille c’est capable de ramer!!! Mes deux titres de championnes du monde ont beaucoup de valeur. »
À vous de juger! Voici la course de Laurence aux Mondiaux de 2010. Si ça ne mérite pas une place aux Jeux…
Les Jeux… dans 8 ans
À moins d’un revirement de situation, Laurence devra se contenter de regarder les Jeux olympiques de Rio au petit écran. « C’est sûr que c’est décevant car les Jeux olympiques, c’est un rêve. Sauf que je peux te dire que lorsque j’ai gagné mon premier titre de championne du monde, je ne pouvais pas être plus contente. Je commence un nouveau cycle de 4 ans mais en sachant que je ne pourrai pas aller aux Jeux c’est certain que ma motivation est un peu à la baisse. »
Laurence se console en se disant qu’à 20 ans, elle peut se montrer patiente. « En canoë, les athlètes sont au sommet de leur forme vers 27–28 ans. J’aurai 28 ans en 2020. C’est encore loin, j’y vais une année à la fois. Étant donné qu’on n’a pas beaucoup d’appuis financiers, c’est un pensez-y bien »
En plus d’exceller dans son sport, Laurence poursuit ses études en sciences biomédicales à l’Université de Montréal dans le but avoué de devenir médecin. « Si je veux aller aux Jeux et être médecin, je devrai prendre une décision car ce ne sera pas facile de concilier les deux. »
Plusieurs sports pratiqués par des femmes sont parvenus à faire leur entrée aux Jeux après des années de résistance de la part des hautes instances : le hockey, l’haltérophilie, la boxe pour ne nommer que ceux-là.
Laurence veut poursuivre la bataille pour la reconnaissance olympique de son sport. Ce ne sont toutefois pas les décisions de la fédération qui vont altérer toute la passion qu’elle a développé pour le canoë.