Les génies ont une courte durée de vie dans le baseball.

Ozzie Guillen, qui aurait pu régler le conflit au Moyen-Orient il y a un an, n'est même plus capable de dire quoi faire à son chien. Joe Torre, qui, il n'y a pas si longtemps, aurait pu faire baisser les taxes, équilibrer le budget de la ville de New York ou même éliminer la criminalité dans la Grosse Pomme, ne peut même plus lire une carte du métro.

Mais dans le paysage du baseball moderne, il y a un directeur général qui s'en tire plus que bien année après année: Billy Beane, la tête dirigeante des A's d'Oakland.

Il est très difficile de construire une équipe quand vous ne pouvez leur donner plus que des repas gratuits dans des restaurants, des chèques postdatés ou des remises postales. Mais Beane y parvient quand même. En raison de la situation financière précaire à Oakland, les A's ont, au cours des dernières années, perdu des joueurs de la trempe de Mark Mulder, Tim Hudson, Miguel Tejada, Jason Giambi, Jermaine Dye, Johnny Damon et Keith Foulke.

Malgré tout, les A's ont réussi à atteindre les séries cinq fois au cours des sept dernières saisons en plus de finir au deuxième rang de leur division les deux autres années. Ils ont remporté le titre de leur section quatre fois au cours des sept dernières saisons et ils viennent d'atteindre la Série de championnat de la Ligue américaine contre les Tigers de Detroit.

Lorsque interrogé à savoir l'impact qu'avait eu Beane sur les succès de l'équipe, le joueur de troisième but des A's Eric Chavez a eu cette réponse: "On lui doit tout."

"Il réussit toujours à trouver des jeunes lanceurs en santé. Il trouve toujours le moyen d'engager des vétérans qui vont bien cadrer dans le vestiaire. Il a un talent fou pour dénicher le talent. Les jeunes réussissent à percer l'alignement. Plusieurs organisations font confiance à des jeunes qui ont disparu du paysage deux ans plus tard. Les recruteurs font un excellent travail. Mais c'est Billy qui a le dernier mot sur les joueurs qu'il veut", explique Chavez.

Dans le livre "Moneyball", de Michael Lewis, Beane est décrit comme un génie du baseball, un général des temps modernes qui connaît les failles d'un système construit pour lui mettre des bâtons dans les roues. Certains peuvent s'opposer à certains trucs écrits dans ce livre, mais ils ne peuvent nier le succès perpétuel de Beane.

La tâche la plus difficile pour un directeur général est de devoir composer, année après année, avec un budget limité. Mais Beane y parvient. La masse salariale des A's est de 62 millions de dollars. Parmi les huit clubs ayant pris part aux séries, c'est la plus faible. La masse salariale des A's est plus près de celle des Pirates que de celle des Tigers.

Alors peut-être que Beane est vraiment un génie.

"Billy connaît le baseball et il est très intelligent", a indiqué son vis-à-vis des Tigers, Dave Dombrowski. "Si vous aviez à gérer une équipe de baseball comme on le décrit dans "Moneyball", vous seriez dans le pétrin. Billy n'est pas dans le pétrin. Les gens semblent oublier, mais Billy a déjà joué au baseball, il était tout un espoir, il a joué dans les majeures, il a été recruteur. Il a appris son métier avec Sandy Alderson. Il connaît le baseball."

Dombrowski sait mieux que quiconque que la colle au dos de l'étiquette du mot génie ne colle pas éternellement. Quand il a gagné la Série mondiale avec les Marlins en 1997, il était tellement brillant qu'il aurait pu conseiller Alan Greenspan sur les taux d'intérêt. Mais il avait perdu un nombre incalculable de cellules quand les Tigers ont perdu 119 matchs en 2003 qu'il avait besoin d'assistance pour sortir d'un ascenseur. Maintenant que les Tigers ont atteint la Série mondiale, son QI est remonté en flèche et il peut maintenant jouer au Sudoku en même temps qu'il suit des cours de japonais.

"Je ne porte même plus attention à tout ce qu'on dit à mon sujet. De nos jours, nous sommes scrutés à la loupe, à la radio, à la télévision, dans les journaux, dans Internet. Parfois, ce qu'on fait rapporte. Parfois, on se trompe. Ça ne veut pas dire que vous êtes un navet parce que vous vous plantez. Si vous êtes dans ce milieu depuis plusieurs années, c'est que vous devez être bon dans quelque chose", d'ajouter Dombrowski.

Évidemment, le succès des A's ne s'arrête pas au travail de Beane. Il ne faut pas oublier le gérant Ken Macha, les recruteurs, tous les entraîneurs et les joueurs dans les filiales qui ont travaillé d'arrache-pied pour s'améliorer. L'édition 2006 des A's n'est peut-être pas la plus talentueuse, mais elle excelle en défensive et maîtrise très bien l'ABC du baseball.

Toutes les équipes ont des joueurs à tous les niveaux qui tentent de s'améliorer. Mais peu d'équipes parviennent à s'améliorer. Encore moins quand elles perdent autant de joueurs étoiles que les A's.

"On s'habitue à voir nos vedettes partir. Ça ne veut pas dire qu'on aime ça. C'est frustrant. J'ai perdu plusieurs amis. Mais je suis heureux quand je vois qu'on reste dans le haut du classement année après année", de poursuivre Chavez.

Pendant la série contre les Twins, Beane s'est fait rappeler un triste moment de sa carrière: en 2003, les A's avaient pris les devants 2-0 contre Boston avant de perdre les trois matchs suivants et subir l'élimination. À plusieurs reprises, on lui a demandé ce qui s'était passé cette année-là et comment il pourrait garantir que les A's allaient avancer à la ronde suivante. Frustré, il a répondu assez froidement: "Donnez-moi une masse salariale de 200 millions de dollars, et je vais vous le garantir."

Il n'a pas eu besoin de 200 millions pour accéder à la Série de championnat, seulement 62. Si Beane peut gagner avec aussi peu d'argent, imaginez ce qu'il pourrait faire avec 200 millions.

"Rien ne garantit qu'il pourrait faire aussi mieux. C'est comme quand David Ortiz dit qu'il aimerait voir ce que Derek Jeter ferait dans l'alignement des Red Sox. Vous ne pouvez pas faire ça. Vous ne pouvez improviser et changer les rôles. Il pourrait gaspiller l'argent. Il pourrait avoir 200 millions de dollars et rater son coup", rajoute Chavez.

Les A's pourraient remporter leur première Série mondiale en 17 ans dans quelques semaines. Ou ils pourraient remporter la série contre Detroit et perdre la Série mondiale. Ou ils pourraient se faire balayer par les Tigers et être forcés de jouer au golf. Peu importe ce qui va se passer, les deux prochaines semaines ne nous en apprendrons pas beaucoup plus sur le génie de Billy Beane. Les sept dernières années s'en sont chargées.

Et s'il n'est pas un génie, il pourrait au moins donner quelques conseils à Bill Belichick, l'entraîneur des Patriots.