Vous pouvez vous attendre à ce que la ville de Victoria, en Colombie-Britannique, produise de très bonnes brioches, pas le joueur par excellence de la NBA.

Située au sud de l'Ile de Vancouver, Victoria est une ville sublime entourée d'îles, de baies et d'arbres majestueux. Et que dire que la vue des montagnes et de la mer. Malgré toute sa beauté naturelle et le fait qu'elle est géographiquement plus près des États-Unis que la terre ferme canadienne, Victoria est spirituellement plus près de l'Angleterre.

Prendre le train entre Seattle et Victoria, c'est comme aller à Londres, sans le décalage horaire. Le nom de certaines rues (Shakespeare, Dickens et Sticky Wicket) y est sûrement pour quelque chose. Les touristes paient jusqu'à 40 dollars pour prendre le thé au chic Empress Hotel. Des hommes habillés avec des costumes Beefeater distribuent des brochures dans le port. Et l'école secondaire que fréquentait Steve Nash a pour vedette une équipe de cricket.

Avant que vous ne m'accusiez d'avoir été payé par l'office de tourisme de Victoria, je dois révéler le secret le plus sombre de la ville : on continue à jeter des eaux usées et non-traitées dans la Juan de Fuca, le cours d'eau qui sépare l'Ile de Vancouver et l'État de Washington. Dans les circonstances, exporter Nash dans la NBA est une adéquate compensation pour cette pollution pour deux raisons : A) votre équipe favorite est les Suns ou B) vous mangez le poisson de ces eaux.

"Pour Steve, aller dans la NBA à partir d'ici, c'est comme aller sur la lune. C'est comme aller sur mars", pense Nick Greengoe.

Ce commentaire, Greengoe l'a fait tout juste avant d'arbitrer un match intra-mural à l'Université de Victoria, où Nash avait l'habitude de jouer à l'adolescence (et où il joue toujours occasionnellement l'été). Les entraîneurs de l'université n'avaient aucun problème à voir Nash jouer dans le gymnase, mais les agents de sécurité ne l'étaient pas autant... et Nash se pointait illégalement dans le gymnase la nuit.

Et quand Nash ne s'incrustait pas dans le gymnase de l'université, il jouait au basketball ailleurs sur l'île. Il a joué au secondaire, au primaire, sur le béton des cours d'école et à quelques pas de chez lui.

"Un jour, Steve m'a dit qu'il avait un pourcentage d'efficacité de 69 pour cent de la ligne des lancers francs", raconte son père John. "Je lui ai demandé comment il avait fait pour calculer le tout. Et il m'a dit : «j'ai effectué 100 lancers et j'en ai réussi 69». Voilà comment il était. S'il n'était pas heureux de sa performance, il triplait ses lancers. Au lieu de 100, il en aurait fait 300".

"Steve dribblait avec le ballon partout. Il avait toujours un ballon avec lui", se souvient son entraîneur du secondaire Ian Hyde-Lay. "Si on jouait le dimanche soir, il arrivait au gymnase le dimanche matin. Il jouait et travaillait tout le temps. Il voulait toujours s'améliorer.

Naturellement, tout le monde dit maintenant qu'il savait que Nash serait un joueur spécial. Le problème était de convaincre les gens de l'extérieur de Victoria.

Hyde-Lay rappelle que Nash a envoyé des lettres et des cassettes à plus de 50 écoles, dont son alma mater, l'Université de Washington. Même si Washington est à moins de 150 kilomètres de Victoria, et même si l'équipe jouait horriblement mal à l'époque, les Huskies n'ont jamais daigné répondre à Nash. Embarrassant.

"Quel était l'intérêt de faire le suivi avec un joueur de six pieds du Canada?", avoue Hyde-Lay.

"Lorsqu'il était en 12e année, il a disputé un tournoi de Noël à Tuscon. Le gymnase était rempli de recruteurs parce que Jason Kidd jouait tout juste avant", se rappelle John Nash. "Tous les joueurs étaient contents de voir autant de recruteurs. Mais quand le match de Kidd a pris fin, tous les recruteurs ont quitté. Personne ne voulait voir des enfants de la Colombie-Britannique. C'était décevant".

On m'avait assuré que les parents de Nash étaient à Phoenix pour la série Spurs-Suns. Mais quand je me suis retrouvé devant la résidence familiale mardi après-midi, j'ai noté la présence d'un véhicule dans l'entrée.


La stratégie polie aurait été d'appeler les parents, mais je n'avais pas le numéro de téléphone. Je me suis donc stationné et j'ai sonné. Quand John Nash a répondu, je me suis présenté et je lui ai dit que ESPN.com m'avait demandé d'écrire un article sur son fils. Je n'avais même pas complété ma phrase que John m'a fait entrer dans la maison, m'a présenté à sa femme et m'a demandé de m'asseoir pour regarder le reportage de TSN sur leur fils.

J'aurais pu être un voleur ou un Témoin de Jéhovah. Peu importe. Les Nash ne m'ont jamais demandé de m'identifier. Ils auraient pu me demander de revenir plus tard. Non. Ils m'ont simplement accueilli et m'ont demandé si je voulais boire une boisson gazeuse. Incroyable! Mes parents ne m'invitent même pas dans leur maison sans me demander d'enlever mes chaussures en premier.

Papa et maman devaient sortir, mais ils ont pris tout le temps du monde pour me parler de l'enfance de Steve et leur "background" dans le monde du sport. Très tôt, John a enseigné à son fils les rudiments du basketball, un sport où sa mère, Jean, a excellé. Entre deux sandwichs, John dessinait sur une feuille le positionnement des joueurs sur le terrain.

"Le «net ball» a été inventé par James Naismith, un Canadien", lance John en mettant l'accent sur le mot "Canada".

Il a regardé son sandwich et m'a dit : "Je m'excuse de manger devant vous, mais je dois éventuellement me rendre à une pratique de soccer".

Il s'excusait? J'étais là, un journaliste non-invité dans leur maison sans même avoir appelé. J'étais assis sur le divan, les dérangeant pendant qu'ils regardaient une émission spéciale sur leur fils alors qu'ils se préparaient à partir... et c'était eux qui s'excusaient.

On comprend maintenant un peu mieux Steve.

Nash-ville, en Colombie-Britannique, est fière de son enfant modèle mais n'est pas devenue pour autant une ville de basketball. En me promenant en ville mardi soir, j'ai vu trois chaînes de télévision montrant le match des Mariners, mais aucune ne diffusait le match entre les Spurs et les Suns. J'ai même visité trois pubs avant de pouvoir voir le match à la télé. Et encore, nous n'étions que deux à regarder le match à la télé : moi et le serveur, qui a fréquenté l'école secondaire de Nash.

J'ai parlé de cette situation avec Tyler Hass, un joueur de deuxième année de l'équipe de basketball des Vikes de l'Université de Victoria, est il a hoché la tête.

"Je sais. Je déteste ça ici. C'est nul. Aux États-Unis, les matchs sont partout", a-t-il déclaré.

"Si ce n'était du lock-out dans la Ligue nationale, tout le monde parlerait de hockey et des Canucks à la radio et à la télévision", a indiqué Blaire Ewart, un vendeur du Jock and Jill Sportswear rencontré au centre-ville. "Le basketball est beaucoup moins populaire ici depuis que les Grizzlies ont quitté Vancouver pour Memphis".

Selon Ewart, le jersey de Nash se vend très bien, mais il s'agit d'une situation récente. Il avait commandé des jerseys en septembre mais n'a reçu la commande qu'en mars.

"Vous ne me croirez peut-être pas, mais c'est difficile d'avoir un dossard de Nash au Canada. Nous ne pouvons même pas mettre la main sur son chandail spécial de joueur par excellence. Ils en vendent aux États-Unis, mais je ne peux pas les commander".

Ville où l'économie semble basée sur la crème anglaise, Victoria sera toujours plus intéressée aux baleines qu'aux Raptors, toujours plus intéressée au hockey qu'au basketball.

Malgré tout, Nash a un impact notable sur les joueurs de basketball locaux, qui s'attendent à ce que les recruteurs soient plus intéressés à leurs performances. Gavin Walman est l'un de ceux-là...

Walman joue au basketball à l'ancienne école secondaire de Nash et il s'entraîne à Hillcrest pendant au moins une heure à tous les jours. Comme Nash, il lui arrive de tenter 100 lancers francs. Comme Nash, il est là beau temps, mauvais temps. Comme Nash, il a les cheveux longs et lisses de chaque côté du visage.

Et parfois, il prétend être Nash et il imagine les dernières secondes du match (neuf, huit, sept...) et qu'il a le match entre les mains (six, cinq, quatre...) et que la foule est sur le bout du siège (trois, deux, un...) et qu'il réussit le panier de la victoire. Et quand le ballon pénètre dans le panier, qui peut blâmer Walman d'imaginer que cette magnifique ville touristique de la Colombie-Britannique peut produire un autre Nash, une autre vedette de la NBA?

Après tout, le monde offre plus d'opportunités de carrière que le fait de vendre des brioches aux touristes.