Jean Bédard me racontait il y a quelques jours tout ce qu'il avait fait sur le plan personnel afin que Lucian Bute puisse retrouver une confiance démolie par des défaites brutales contre Carl Froch et Jean Pascal, sans compter les coups assommoirs qui avait permis à  Librado Andrade de le geler debout dans les dernières secondes de leur premier combat.

Il avait mis à sa disposition des spécialistes chargés d'étudier sa condition physique et mentale. Cachait-il une blessure? Avait-il subi une ou deux commotions cérébrales en cours de route? Il était si différent du boxeur qu'on avait connu qu'on ne comprenait pas ce qui lui arrivait.

Ces examens avaient fait ressortir que c'était entre les oreilles qu'il avait besoin d'aide. Il était ébranlé psychologiquement et chaque fois qu'il encaissait des coups solides, la peur d'un autre échec venait le hanter. Depuis la défaite contre Pascal, on s'est donc appliqué à rebâtir sa confiance. Les résultats ont été probants contre James DeGale, ce qui l'a préparé davantage pour le combat contre Badou Jack.

L'environnement de la boxe a beaucoup changé depuis une couple d'années. Quand les deux organisations de boxe montréalaises étaient parfaitement capables de se gérer par elles-mêmes, elles formaient des familles. Les boxeurs étaient attachés à leur équipe respective.

Dans ce passé pas si lointain, Lucian Bute aurait été reconnaissant envers Bédard de lui avoir présenté des spécialistes qui se sont appliqués à le replacer sur la bonne voie et à faire de lui l'athlète confiant qu'il est redevenu. On ne serait pas en train de se demander si Bute a le goût de changer de décor. Dans l'ancienne InterBox, un Bute reconnaissant serait resté à la même adresse sans se poser trop de questions.

Bute est reconnu comme un athlète loyal. Il l'est toujours, on n'en doute pas. S'il quittera bientôt InterBox, c'est simplement parce qu'il ne décide plus rien par lui-même. Il a placé toutes ses billes dans un gérant coriace qui s'en va par là en bafouant toute concurrence. Al Haymon a près de 200 boxeurs dans son écurie. Bute n'est qu'un infime morceau de la tarte. Il ne sera plus jamais aimé et cajolé comme il l'a été chez InterBox. En somme, Bute a choisi Haymon parce que c'est lui qui pouvait le mieux gérer sa fin de carrière.

D'un oeil réaliste, Bédard admet que ce que Haymon est en train de réaliser n'est pas bête. Son objectif est d'éliminer des promoteurs. Il préconise le modèle de l'UFC, où il n'y a pas de guerres entre promoteurs. Dana White est le seul maître à bord.

« Dans le passé, notre rôle était de tout planifier pour Lucian, rappelle-t-il. On négociait la date du combat, l'identité de l'adversaire, les contrats et tout ce qui pouvait être bon pour Lucian. Depuis qu'il a joint les rangs de Haymon, nous n'avons plus rien fait pour lui. Haymon lui a permis d'obtenir deux combats de championnat du monde, des mandats que nous n'aurions jamais pu lui offrir en raison de tout ce qui se passe dans le marché de la télé américaine. Là où il était rendu dans sa carrière, c'est la meilleure chose qui pouvait lui arriver. » On ne peut plus rien faire pour lui Bien honnêtement, Bédard ne croit pas que son entreprise puisse apporter quelque chose de concret à la carrière de Bute. Les deux camps sont à la veille de se dire au revoir, mais l'homme d'affaires affirme que si jamais le sympathique boxeur a besoin de son aide, il sera toujours là pour lui.

À l'heure actuelle, Bute n'a nullement besoin d'un promoteur car son agent prend les décisions qui le concernent. Dans ce transfert d'équipe, il a donc perdu l'entier contrôle de ses décisions.

« Dans ce nouveau système, le rôle d'InterBox n'est plus central. Or, nous ne jouerons jamais les seconds violons. Ou nous avons le contrôle à 100% ou nous ne sommes pas là », précise son président.

Bédard est plutôt humble dans les bouleversements que subit la boxe. Il affirme que si InterBox avait le pouvoir de s'interposer entre Bute et son gérant, il pourrait tenter de revendiquer des choses « mais nous n'avons pas le pouvoir de nous imposer là où nous n'avons pas d'affaire », précise-t-il.

En revanche, il croit que Bute, en raison de la loyauté qu'il a toujours démontrée depuis que le Québec l'a adopté, est probablement mal à l'aise dans la situation actuelle. Ce qui n'empêchera pas Bédard de lui faciliter la tâche en lui disant que les portes d'InterBox ne lui seront jamais fermées. Après sa carrière, qui sait si Bute ne pourrait pas venir travailler aux côtés d'Eric Lucas? Qui aurait cru possible de voir Lucas reprendre sa place après avoir poursuivi InterBox? La boxe, c'est la boxe.

La semaine prochaine, InterBox convoquera les médias afin d'expliquer ce que deviendra l'entreprise sans son meilleur vendeur. On est en train de refaire le plan d'affaires de la compagnie. Chose certaine, il n'est pas question qu'InterBox se retire de la scène. On annoncera à ce moment-là de quoi sera fait son avenir.

« Je n'ai rien contre le nouveau modèle de la boxe, souligne Bédard. Par contre, j'ai le luxe de dire ce que j'aime et ce que je n'aime pas parce que je ne vis pas exclusivement de la boxe. Lucian a encore des rêves. On n'est pas là pour l'empêcher de les concrétiser. On va finir ça en professionnels. » Bédard est convaincu d'une chose. Bute ne lui manque pas de loyauté. « Cela n'a rien à voir, dit-il. Les choses se déroulent ainsi parce qu'il n'a pas le choix. Lucian n'est pas un cas unique. Prenez Adonis Stevenson, par exemple. Yvon Michel attend toujours ce que Haymon va en faire. C'est maintenant de cette façon que les choses se passent. »