Le 26 février 2017, environ 250 participants internationaux étaient attendus au Centre Pierre-Charbonneaupour la tenue du Championnat canadien de jiu-jitsu brésilien. Ce tournoi est l’évènement officiel de qualification du Championnat mondial pour professionnels de jiu-jitsu d’Abu Dhabi. C’est pourquoi la Fédération des Émirats arabes unis (EAU) ainsi que le comité organisateur du Championnat mondial pour professionnels de jiu-jitsu d’Abu Dhabi étaient de la partie dimanche dernier. 

Or, ce tournoi a été annulé à la suite d'un avertissement de la police. En effet, cet évènement a été considéré comme illégal par le SPVM et en conséquence, les organisateurs et participants pouvaient faire l’objet d’arrestations. Conformément au Code criminel (C.cr.), le SPVM a l’autorité pour procéder à l'arrestation des organisateurs et des participants de tout combat concerté.

Qu’est-ce qu’un combat concerté au sens du Code criminel?

L'article 83 (2) C.cr. précise que le combat concerté est « un match ou combat, avec les poings, les mains ou les pieds, entre deux personnes qui se sont rencontrées à cette fin par arrangement préalable conclu par elles, ou pour elles ». 

Plus particulièrement, l'article 83 (1) C.cr. criminalise « le fait de se livrer à un combat concerté, de le recommander, de l’encourager, d’en faire la promotion ou encore d’y assister à titre d’aide, second, médecin, arbitre, soutien ou reporter ».

Contestation des participants et des organisateurs de jiu-jitsu brésilien

Dimanche dernier, les participants et les organisateurs de jiu-jitsu brésilien ont vigoureusement contesté l’annulation de ce tournoi.  Le Canada Pro Jiu-Jitsu committee, le UAE Jiu-Jitsu Federation et de nombreux membres de la communauté du Jiu-Jitsu brésilien ont laissé sous-entendre que le SPVM ne saisissait pas la différence entre le jiu-jitsu brésilien et le jiu-jitsu traditionnel. Effectivement, ces derniers précisent que lors d’un combat de jiu-jitsu brésilien, ils doivent maintenir leur adversaire au sol et le maitriser sans échanges de coups, contrairement au jiu-jitsu traditionnel. Par conséquent, ils soutiennent que l’interdiction prévue à l’article 83 C.cr. s’applique au jiu-jitsu traditionnel, mais pas au jiu-jitsu brésilien.

Est-ce que tous les combats concertés sont illégaux au Canada?

Non, puisque l’article 83 (2) prévoit certaines exceptions. En conséquence, l’article 83 ne criminalise pas tous les matches de sport de combat, avec les poings, les mains ou les pieds.

Un combat concerté ne sera pas interdit au Canada si le sport est désigné par le lieutenant-gouverneur en conseil de la province ou par la personne ou l’organisme qu’il désigne et si le match est tenu avec leur permission.

Par ailleurs, un combat concerté ne sera pas illégal s’il est visé par le programme du Comité international olympique (CIO) ou du Comité international paralympique (CIP). Ainsi, les sports de combat reconnus par le CIO et le CIP bénéficient d’un encadrement pénal, notamment le karaté*, le taekwondo, le judo, la boxe, la lutte libre et la lutte gréco-romaine. Comme le jiu-jitsu n’est pas visé par les programmes du CIO ou du CIP, il n’est pas permis.

Qu’en est-il des arts martiaux mixtes?

Pourquoi la production d’un combat impliquant Georges St-Pierre est-elle permise au Centre Bell? Parce que l'article 83 prévoit une exception pour les arts martiaux mixtes en ce qu'il formule que « le match de boxe ou d’arts martiaux mixtes tenu dans une province avec la permission ou sous l’autorité d’une commission athlétique ou d’un organisme semblable établi par la législature de la province, ou sous son autorité, pour la régie du sport dans la province ». Par conséquent, un combat d'arts martiaux mixtes ne constitue pas une infraction criminelle au Canada.

Amendement législatif

Ce qui pose problème est que l’article 83 autorise seulementles combats visés par les programmes du CIO ou du CIP et les arts martiaux mixtes, interdisant ainsi tous les autres combats de nature sportive, dont le jiu-jitsu. L’article 83 du Code criminel avait été implanté en 1934, ne reflétant donc plus la réalité d’aujourd’hui quant aux sports de combat.

En raison de l’apparition des nouveaux sports de combat, des amendements législatifs sont devenus nécessaires pour éliminer l’ambiguïté juridique et légaliser la promotion de ces événements au Canada.

C’est d’ailleurs ce qui s’est produit en 2013 avec la légalisation des combats d’arts martiaux mixtes au Canada.  Précisons que jusqu’en 2013, les combats d’arts martiaux mixtes étaient illégaux. Il n’en demeure pas moins que les évènements d’AMM avaient pourtant lieu, et ce même s’ils étaient prohibés au sens du Code criminel. En fait, leur tenue était permise dans la mesure où elle était sanctionnée par une commission athlétique provinciale. En raison de la popularité grandissante de l'UFC, lesdites commissions n’ont eu d’autres choix que d’étendre la réglementation des combats de boxe aux AMM, et c, pour combler ce vide juridique au Canada. Voilà donc pourquoi l’organisation des combats UFC était acceptée, et ce malgré l’interdiction du Code criminel.

En réponse, le projet de loi S‑209, la Loi modifiant le Code criminel (combats concertés),a été déposé au Sénat en 2012, lequel a reçu sa sanction royale le 19 juin 2013. Essentiellement, l’objectif était de revisiter la définition des combats concertés et de modifier ses exclusions. Cette nouvelle loi autorise désormais aux provinces et aux territoires du Canada la tenue de différents types de combats concertés autres que la boxe, soit les AMM professionnels et les sports amateurs tels que le judo et le karaté. Or, dans les faits, cet amendement relève plus d’une formalité technique en ce qu’il ne modifie pas le système déjà en place et exige toujours l’autorisation préalable de la commission athlétique.

Bien entendu, cet amendement législatif a comblé une lacune et a institué une uniformité organisationnelle devenue essentielle pour préserver l’authenticité des arts martiaux mixtes. Or, cet amendement n’est pas suffisant. Avec le tournoi de jiu-Jitsu brésilien qui a été annulé dimanche dernier, force est de constater que cette discipline fait face à un vide juridique. Le monde du sport change perpétuellement et la loi doit s’y adapter en mettant à jour une règlementation qui représente un meilleur reflet de la réalité.


*Le 3 août 2016 le CIO a décidé de reconnaître le karaté en tant que sport additionnel et il sera donc présent aux Jeux olympiques d'été de 2020.