MONTRÉAL – La question concerne Johny Hendricks. Dès que le nom arrive à ses oreilles, Georges St-Pierre sourit.

« C’est parce que je savais que tu allais me la poser », justifie l’ancien champion de l’UFC, confortablement assis dans la pénombre de la terrasse d’un restaurant du centre-ville de Montréal.

C’est un terrain potentiellement glissant, mais St-Pierre est de bonne humeur et ne semble pas trop avoir d’objection à s’y aventurer. On pourrait même dire qu’il trouve son compte dans la direction qu’est en train de prendre la conversation.

Comme à l’époque où il brillait dans l’octogone, il y a peu de place laissée au hasard dans la vie de GSP.

St-Pierre a bien sûr entendu parler des récents malheurs du dernier homme à l’avoir affronté dans l’octogone. La semaine dernière, quelques jours avant de remonter dans l’arène contre Tyron Woodley, Hendricks a éprouvé des problèmes de santé qui l’ont forcé à se rendre d’urgence à l’hôpital. Diagnostic : pierres aux reins et occlusion intestinale, résultat d’une mauvaise gestion du régime qui devait lui permettre de respecter la limite de poids de 170 livres imposée dans la division des mi-moyens.

 « Je ne souhaite de malheur à personne. Johny Hendricks, c’est un père de famille et j’espère que sa santé va être correcte. Mais il a des gros changements à faire dans sa vie, soulève St-Pierre. J’espère qu’il va prendre les bonnes décisions, qu’il va être capable de s’arranger. »

Un processus qui doit être bien fait

« Tout ce que je peux dire, c’est que c’est fâcheux, ajoute le Québécois en se mordant les lèvres. Des choses comme ça, ça ne devrait pas arriver. »

La mésaventure de Hendricks, un puissant cogneur particulièrement reconnu pour faire fondre les kilos en trop de manière draconienne en vue de ses combats, a ramené sur la table le débat entourant les coupes de poids drastiques dans les arts martiaux mixtes. Maintenant que l’UFC s’est doté d’une politique antidopage digne d’un sport majeur, plusieurs croient qu’il devrait s’attaquer à ce fléau qui peut mettre en péril la santé des athlètes trop audacieux, mal informés ou en manque de discipline. 

St-Pierre veut toutefois qu’on comprenne qu’il ne s’agit que du prolongement du même problème.

« Ça va ensemble. Souvent, les coupes de poids, c’est relié à la drogue, dénonce-t-il. Je n’accuse personne en particulier, mais il y a des substances qui sont utilisées pour couper le poids et d’autres pour en récupérer. La science, c’est rendu loin... »

L’UFC a investi des efforts substantiels pour tenter d’enrayer la consommation de produits dopants à l’intérieur de ses rangs depuis que St-Pierre, peu de temps après avoir annoncé sa décision de prendre une pause professionnelle qui dure depuis maintenant près de deux ans, a menacé de ne jamais revenir à la compétition si le problème n’était pas attaqué de front. L’agence antidopage américaine (USADA) supervise depuis le 1er juillet un programme indépendant de dépistage et a récemment interdit la réhydratation par intraveineuse qui était devenue coutume après la conclusion de la pesée officielle.

Les initiatives de l’organisation ont déjà produit des résultats, observe St-Pierre.

« Il y a des choses que je ne suis pas surpris de voir. Il y a des mecs dont le physique a changé. Ils n’ont plus l’air des mêmes combattants qu’ils étaient avant. Je crois que ça fait peur à beaucoup de monde. »

Le gentleman des MMA insiste à plus d’une reprise pour dire qu’il ne vise personne en particulier. « On sait tous lire entre les lignes », laisse-t-il par contre tomber, comme une invitation difficile à refuser.

Voici donc une interprétation possible : les choses ont changé, mais pas encore assez au goût du « retraité » de 34 ans, qui pourrait bien décider de laisser planer le mystère sur son avenir tant que la réalité ne correspondra pas à son idéal.

« Il faut éliminer le facteur technologique dans le sport. Il faut que le sport soit basé sur le talent, les techniques, les qualités athlétiques d’un individu et non sur celui qui a accès aux meilleures technologies. Si je m’entraîne avec une équipe qui m’appuie avec des docteurs et des biochimistes, c’est sûr que je vais avoir un très gros avantage. Ça fait une énorme différence, les gens n’ont pas idée. C’est comme si tu prenais une personne et que tu lui ajoutes de la force, de la puissance, de l’endurance et un nouveau pouvoir de récupération... c’est débile. »

« C’est sûr qu’il y aura toujours des tricheurs, parce que la technologie pour tricher est toujours en avance sur la technologie pour les pincer et aussi parce qu’on ne peut pas tester tout le monde. Mais au moins, ça ne sera plus comme avant. Ça ne sera plus fait par la masse », rêvasse celui qu’on a déjà surnommé « Rush ».

St-Pierre refuse de croire que sa décision de mettre sa carrière sur les blocs et ses anciens patrons sur la sellette en levant le voile sur un côté sombre de son sport ait provoqué à elle seule les bouleversements qui ont suivi. Mais il sait que sa voix a été entendue. Il le sait parce qu’on a longtemps essayé de l’ignorer.

« Plusieurs de mes regrets dans la vie n’ont rien à voir avec des choses que j’ai faites, mais plutôt que je n’ai pas faites. Et si j’ai un regret, c’est de ne pas en avoir parlé avant. En fait, ça fait longtemps que j’en parle, mais ils gardaient ça mort. À la fin, j’ai voulu faire le test en public. J’aurais dû insister bien avant. »

« Je regarde ce qui se passe dans ma division… »

St-Pierre semble toujours aussi serein loin des projecteurs qui l’ont suivi à partir de l’âge de 22 ans et qui ont illuminé ses 13 combats de championnat sous la bannière de l’UFC. Il n’y avait qu’un seul journaliste qui l’attendait mercredi soir lorsqu’il est arrivé au gala bénéfice du Groupe VPP, qui vise notamment à soutenir la fondation de son bon ami Bruny Surin.

« Ah, c’est bien correct comme ça », lance-t-il après avoir serré quelques mains et souri pour une ou deux caméras.

Pour ceux qui avaient garanti avec assurance son retour à la compétition en 2015, le temps commence cruellement à manquer. Non, St-Pierre n’avait pas d’annonce à faire sur la résurrection de sa carrière, même s’il tient comme toujours à ce qu’on sache qu’il ne se la coule pas nécessairement douce.

« Je m’entraîne fort. Comme tu vois, j’ai des marques, souligne-t-il en pointant une légère ecchymose au front. Je ne me suis pas fait ça en tombant des escaliers! »

« Je commence à avoir le goût, de plus en plus, de revenir », poursuit-il, répétant des propos qu’il avait tenus en avril dernier sur le plateau de l’Antichambre. « Je regarde les combats, pour voir ce qui se passe dans ma division, et je me garde en forme. C’est comme un couteau que je dois garder affûté si jamais ça me tente de sauter de nouveau dans le mix… C’est pas mal certain que ça ne sera pas en 2015! Mais je ne le sais pas encore. »