Déjà 40 ans!

 

Difficile de croire que la F1 a débarqué pour la première fois sur l’Ile Notre-Dame en 1978. Le temps a passé si vite, mes amis! Il a peut-être passé vite, certes, mais ce parcours a quand même été truffé d’embûches qui ont souvent fait craindre le pire pour la survie du Grand Prix du Canada à Montréal. Cela dit, pour la première véritable fois depuis le tout début, on a l’impression que l’événement peut maintenant respirer d’aise et qu’il peut espérer atteindre son cinquantenaire dans une forme de douce quiétude qu’il n’avait pas connu jusqu’ici.

 

1982 : l’année noire

 

À sa 5e édition à peine, le GP du Canada a connu le moment le plus sombre de son histoire. Pourtant, cela devait être complètement le contraire. Tout semblait en place pour un weekend mémorable! Inscrit au calendrier pour la première fois de sa jeune histoire en juin, plutôt qu’à la fin septembre, on pouvait enfin envisager la perspective d’un événement présenté dans des conditions climatiques beaucoup plus adéquates. Et puis Ferrari avait livré une excellente voiture, qui ouvrait plein d’espoirs pour Gilles Villeneuve. La Brasserie Labatt, qui organisait la course, en maîtrisait de mieux en mieux toutes les facettes et il y avait un courant fort positif qui en ressortait, autant sur le plan promotionnel qu’organisationnel.


À compter du 8 mai, tout s’est mis à basculer, dramatiquement! La mort tragique de Gilles Villeneuve, à Zolder, en Belgique, a foudroyé le GP Labatt du Canada et le deuil qui s’en est suivi fut d’une intensité inouïe. Avec une morosité généralisée, pour le mois qui restait avant l’épreuve, il fallut recréer une campagne de publicité et de relations publiques à laquelle personne ne semblait vraiment vouloir participer, autant chez le promoteur que chez ses partenaires.

 

Autre tuile, et non la moindre, Montréal fut frappée cette année-là par quatre grèves du transport en commun dont la plus dure fut déclenchée, stratégiquement, du 12 au 17 juin. Le jour du Grand Prix, dimanche le 13 juin, le syndicat décida de faire un accroc à sa procédure d’offrir, en alternance, le service du métro ou le service des autobus. Il n’y eut donc... aucun service!

 

Et puis, les conditions météorologiques du dimanche furent, finalement, tout simplement horribles, complètement à l’inverse de ce qui était souhaité. Pluie, vent, temps froid, on se serait cru en novembre. Ne manquait que le dernier chapitre, lui aussi sur fond noir. S’élançant de la dernière ligne à la grille de départ, aveuglé par les éclaboussures et les résidus de gomme, le jeune pilote italien Riccardo Paletti ne vit pas la Ferrari de Didier Pironi, immobilisée en première ligne. Il la percuta directement et fut tué sur le coup.

 

Cette chaîne exceptionnelle d’événements, surtout marquée par le départ de Gilles, allait, selon plusieurs experts, mener tout droit vers un désintéressement massif de la part du public et pouvait ultimement signifier le retrait de Labatt de la F1. Ce fut tout le contraire. Les Grands Prix Labatt du Canada de 1983 à 1986 furent couronnés de succès, sur tous les fronts. L’événement allait non seulement survivre, mais il allait dorénavant croître tout en se déroulant sur un circuit qui porterait désormais le nom de son plus illustre maître!

 

1987 et 2009 : relâches forcées!

 

Comme si les cycles de cinq ans étaient la norme dans la première décennie du Grand Prix du Canada à Montréal, 1987 a marqué la première interruption de l’événement après une séquence de 9 ans. Bernie Ecclestone et la Fédération Internationale de l’Automobile insistaient en effet pour que des travaux majeurs soient effectués sur le circuit Gilles-Villeneuve, avec la commande ferme de construire des garages fermés derrière la ligne des puits et de refaire la surface de la piste. Or, à cette époque, au cœur d’une restructuration corporative majeure, il ne semblait y avoir guère de place pour la Formule 1 dans les priorités de John Labatt Ltd. Il n’y avait pas, non plus, de grands supports publics comme on le voit aujourd’hui. Bernie perdit patience et fit un pacte majeur de commandite avec le grand concurrent de Labatt : Molson!

 

Outrés, les dirigeants de Labatt décidèrent de tout mettre en œuvre pour qu’un GP Molson ne voit pas le jour en sol canadien. Après de nombreuses démarches en cour, la brasserie obtint gain de cause et c’est ainsi qu’eut lieu un événement d’épreuves de moindre envergure, à l’Ile Notre-Dame, en 1987. Sous le leadership du nouveau maire Jean Doré, les deux grands brasseurs cessèrent leur guère et c’est ainsi que Montréal retrouva son Grand Prix en 1988, avec de toutes nouvelles installations à l’extrémité ouest de l’Ile.

 

À la base, le retrait du Canada du calendrier du Championnat du monde de 2009 parut, quant à lui, plutôt difficile à comprendre. Mais on vint à saisir, rapidement, que Bernie Ecclestone en avait assez du montant « modeste » des droits payés par le Grand Prix de chez nous, lui qui venait de vendre la F1 à prix exorbitant, depuis 10 ans, à différents « nouveaux » pays (Malaisie, Bahrein, Chine, Abou Dhabi). En novembre 2008, le couperet tomba définitivement sur l’événement canadien de 2009, après l’échec de pourparlers impliquant les différents paliers de gouvernement. L’Amérique du nord se retrouva sans F1 pour la première fois en 50 ans!

 

La levée de boucliers qui suivit eut tôt fait de rétablir les ponts, cependant. C’est ainsi que fut créé le consortium actuel, impliquant les trois paliers de gouvernement ainsi que le Bureau de tourisme de Montréal. Et c’est ainsi que Bernie put faire grimper le coût du plateau à un « prix d’amis » de 15 millions de dollars par année! Montréal retrouva son événement dès 2010.

 

Ferme, bonsaïs, clôtures, toilettes, tabac...

 

Au fil des années, les différents organisateurs du GP du Canada à Montréal ont dû composer avec des problèmes qui n’ont pas mené directement vers la suspension de l’épreuve, mais qui ont créé au passage bien des maux de tête! C’est ainsi que votre humble chroniqueur perdit un temps fou en 1986, à titre de directeur de l’événement, à tenter d’intégrer un projet de ferme expérimentale du gouvernement du Québec, sur l’Ile Notre-Dame. Nous avons dû ainsi commander de nombreuses études pour prouver, entre autres choses, que les vaches laitières ne seraient pas traumatisées par le son des F1 pendant trois jours! Le projet ne vit jamais le jour...

 

En 2004, ce fut un grand sauvetage signé Normand Legault. Nous étions alors en plein essor de l’interdiction de la publicité du tabac, à travers le monde, ce que Bernie Ecclestone contestait de toutes ses forces, au point de menacer l’annulation des Grands Prix qui refusaient l’affichage de marques de cigarettes sur les voitures ou le long des circuits. C’est le rachat aussi onéreux que créatif de la « clause tabac » par le promoteur du GP qui sauva l’événement et qui assura sa présentation pour les trois années restantes au contrat, soit jusqu’en 2006.

 

On pourrait ajouter bien d’autres tuiles plus ou moins sérieuses qui ont légèrement terni ou entaché la réputation de Montréal, comme certains pilotes qui ont qualifié le circuit d’ennuyant, du système de clôtures qui fut vertement critiqué quand les spectateurs ont envahi la piste en 1995, de Pierre Bourque qui s’inquiétait pour ses bonsaïs ou de Flavio Briatore, qui s’est déjà plaint de la quantité et de la qualité des toilettes, dans les paddocks...

 

Avenir serein

 

Mais nous voici, malgré tout, au 40e anniversaire du tout premier Grand Prix du Canada couru sur le circuit Gilles-Villeneuve de l’Ile Notre-Dame! Quarante ans, c’est une tranche d’histoire importante, qui vient non seulement valider l’engagement total des artisans qui l’ont dirigé, à toutes les époques, mais qui vient aussi témoigner de l’établissement d’une forme de consensus social et économique autour de l’événement.

 

De Jean Drapeau à Valérie Plante, en passant par Jean Doré, Pierre Bourque, Gérald Tremblay et Denis Coderre, les différents maires de Montréal ont tous su intégrer le support de notre GP à leur agenda politique, peu importe sa couleur. Il y très peu d’événements qui peuvent prétendre à une telle reconnaissance! Et les derniers gestes concrets posés par la nouvelle administration de Montréal, en marge de la grande réfection des installations, viennent en quelque sorte de donner le coup d’envoi à une nouvelle ère de prospérité et de croissance au GP du Canada.

 

François Dumontier, le promoteur actuel, peut donc voir l’avenir avec sérénité et espérer enfin une certaine quiétude dans l’organisation de l’événement. À court terme, son passé technique en fait l’homme de la situation pour s’assurer du bon déroulement des grands travaux qui ont commencé cette année et qui mèneront vers une toute nouvelle structure le long de la ligne des puits dès l’an prochain. À long terme, il sait que le contrat d’organisation du Grand Prix est valide jusqu’en 2029 et peut donc concevoir ses plans d’affaires en conséquence. De plus, fait non négligeable, Liberty Media semble affirmer sa volonté de gérer et promouvoir la F1 entièrement de pair avec les promoteurs et non « malgré eux », comme Bernie Ecclestone semblait le démontrer si souvent. De l’aveu même du promoteur, c’est le jour et la nuit, à plusieurs points de vue.

 

Après 50 ans d’histoire au Canada, nous fêtons maintenant le 40e anniversaire de la présence de la F1 en sol montréalais. Il semble bien qu’il aura fallu ce très long parcours, parfois sinueux, parfois rempli de pièges, pour qu’il n’y ait plus de doutes vraiment sérieux sur la place de choix du GP du Canada dans les projets d’avenir de Montréal.

 

Sérénité et quiétude, disais-je? Ma foi, il s’agit d’un très beau cadeau pour ses 40 ans!