ATLANTA – Au Québec, on connaît les sandwichs au ketchup et à la moutarde. Durant son enfance, aux États-Unis, ce sont plutôt des sandwichs au sirop que Jabari Greer mangeait quand la nourriture se faisait trop rare à la maison.

À travers des arrêts au Wisconsin, au Texas et au Tennessee, Greer en a mangé des tonnes de sandwichs au sirop. En entrevue, le nouvel analyste NFL de TSN se sert de cet exemple pour illustrer la chance dont il jouit après une carrière de dix saisons (cinq avec les Bills de Buffalo et cinq avec les Saints).

Les souvenirs de son enfance lui remontent à l’esprit d’abord parce qu’il a remporté le Super Bowl XLIV avec les Saints, en février 2010. En ayant aperçu rapidement le paradoxe des quartiers pauvres qui ceinturent le majestueux Mercedes-Benz Stadium, on ne peut que s’imaginer qu’il y a une panoplie de jeunes de ces endroits qui rêvent de devenir un prochain « Jabari Greer ».

Jabari GreerPeu costaud, l’Américain de cinq pieds onze pouces et 180 livres a eu à confondre bien des sceptiques pour atteindre son objectif suprême. Ignoré au repêchage, il s’est graduellement fait une niche à Buffalo en signant un contrat de joueur autonome.

Lorsqu’on lui demande de raconter comment il y est parvenu, Greer répond avec une autre histoire de son parcours.

« Vers la fin de l’école secondaire (au Tennessee), je savais qu’une grande partie de ma petite chance d’aller à l’université passerait par une bourse complète. Mes parents n’avaient pas l’argent pour me payer l’université. Mon père et ma mère travaillaient de nuit. Quand mon père partait au boulot, j’allais m’entraîner pendant deux ou trois heures à l’extérieur. Je courais et je reproduisais des exercices de football. Mes efforts m’ont permis de décrocher cette bourse et je suis retourné, il y a environ cinq ans, où on habitait et j’ai rencontré le barbier qui me coupait les cheveux. Il s’est empressé de me dire qu’il se souvenait quand je courais le soir. À ce moment, dans ma vie, j’étais vraiment déterminé, je voulais réussir et je finissais par oublier que les gens me voyaient, j’étais dans ma bulle. Que des gens reconnaissent qu’ils savaient que j’irais loin en me voyant aller, ça rend les efforts tellement valables », a narré Greer qui a étudié en psychologie à l’Université du Tennessee.

La consécration de sa carrière est survenue lors du Super Bowl face aux Colts. Greer est heureux de ne pas avoir joué un rôle de figurant (avec quatre plaqués) dans ce triomphe, mais son cerveau a surtout imprimé dans sa mémoire les moments qui ont suivi la victoire.

« Durant les célébrations, j’ai vu mes enfants de 6 et 5 ans, à l’époque, avec les confettis qui tombaient sur leur visage. Je me souviens de ce souvenir, je me suis rappelé qu’à 6 ans, j’étais dans ma maison, les lumières éteintes pour regarder le Super Bowl pour ne pas que mes parents s’en rendent compte après le couvre-feu. Une vingtaine d’années plus tard, j’avais gagné et j’ai réalisé que leur vie serait changée à tout jamais grâce à tous les efforts qui n’apparaissent pas sur la feuille de statistiques. Quand tu vois que ta famille peut savourer ces moments précieux pour lesquels tu as travaillé si fort, ça vaut le coup », a confié celui qui affiche encore une belle forme physique.

La carrière de Greer poursuivait un chemin très intéressant jusqu’à ce qu’il se déchire un ligament du genou gauche en novembre 2013. Tout d’un coup, il s’est retrouvé seul à la maison sans avoir préparé de plans pour la suite des choses. Dans sa tête, la retraite ne se présenterait pas avant quelques années encore.

C’est toutefois la blessure qui a eu le dernier mot et il n’avait pas envisagé se lancer dans l’aventure des médias. Avec un grand sourire, il se rappelle du moment qui l’a orienté vers cette avenue.

« J’étais assis à la maison avec littéralement rien à faire. Ma femme n’était plus capable de me voir à la maison donc elle m’a demandé si j’avais considéré travailler dans les médias. Grâce à une connaissance, j’ai obtenu une occasion dans un média local à La Nouvelle-Orléans. J’y ai pris goût et j’ai ensuite participé au camp que la NFL organise pour aider des joueurs à développer des atouts pour ce métier et j’ai remporté la compétition. Ça m’a permis de collaborer avec une télévision en Angleterre et on m’a ensuite confié un poste à ESPN sur le football universitaire », a décrit Greer qui est récemment retourné à La Nouvelle-Orléans pour effectuer une entrevue exclusive avec son ancien quart-arrière, Drew Brees.

Et TSN dans tout ça? Comment est-il arrivé à travailler pour une station canadienne?

« Le lien vient de loin, mais l’amie de la sœur de ma femme a su que TSN recherchait un analyste NFL et elle a orchestré les démarches. Les producteurs de TSN m’ont placé dans une simulation téléphonique durant laquelle je devais analyser une victoire des Patriots comme si j’étais en studio. J’ai vraiment eu l’impression de frapper un coup de circuit, c’était l’une des meilleures entrevues de ma vie et j’ai joint TSN après une autre année avec ESPN », a démêlé Greer.

Ses parents lui ont permis de commencer le football à l’âge de six ans et ce sport a toujours occupé une grande place dans sa vie et ce prolongement de carrière le comble actuellement.

« Je trouve ça très plaisant de pouvoir partager mes commentaires à un audience international. Ça démontre une avenue supplémentaire pour ceux qui sont intéressés par les médias. Souvent, on a l’impression que si tu ne travailles par pour ESPN ou NFL Network, tu n’as pas réussi, mais c’est un sport qui grandit à travers le monde », a-t-il noté.

Son fils raffole maintenant du... hockey

Prêt pour ce nouveau chapitre de sa vie professionnelle, Greer a déménagé, avec sa famille, à Toronto au mois d’août. Une surprise l’attendait au détour.

« Mon fils adore le hockey maintenant, on est allés à notre premier match et il a rencontré P.K. Subban. C’était merveilleux. Ce sont des enfants de La Nouvelle-Orléans où c’est plus que rare. Il ne veut pas jouer au football, c’est le hockey qui l’intéresse. Ça me force à découvrir ce sport, je me suis acheté un bâton pour apprivoiser le hockey. 

« Je trouve que le hockey est l’un des sports les plus poétiques, c’est si beau ce que les meilleurs joueurs peuvent exécuter comme manœuvres avec leur bâton et la rondelle. Je sais que ça peut être dangereux, mais c’est de toute beauté. Ils patinent comme des ballerines et j’ai vraiment attrapé la piqûre », a raconté Greer.

L’ancien de joueur de la NFL vit de très beaux moments avec ses enfants. Il est devenu père pour la première fois à l’âge de 21 ans et il se considère chanceux de pouvoir offrir un meilleur environnement à ses enfants que celui de son enfance.

Jabari Greer et son fils Jeremiah« J’en suis très fier, mais ils sont encore jeunes et ils ne réalisent pas toute leur chance. Disons que parfois j’aimerais qu’ils goûtent un peu à la misère », a expliqué Greer avec une phrase que bien des parents peuvent comprendre.

Greer avait trouvé si exigeant d’apprivoiser ses nouvelles responsabilités de père qu’il avait lancé une fondation pour aider les jeunes pères, célibataires ou non, à développer leurs habiletés parentales.

« J’étais à l’université quand mon premier enfant est né. C’était un défi, j’ai eu à manquer des cours et à emprunter de l’argent que je ne pouvais pas rembourser, mais la vie m’a aidé. J’en ai arraché, mais je n’ai plus à vivre cela. Ce n’est pas tout le monde qui peut dire à ses enfants qu’il a atteint son rêve dans la vie. Je peux leur raconter tout ce que j’ai dû faire pour me rendre », a évoqué Greer qui est doué pour les communications.

Voilà pourquoi les meilleurs amis de Greer sont encore ses camarades de l’école secondaire et non ses anciens coéquipiers de la NFL.

« Tu développes de très belles amitiés dans la NFL, mais ça reste des collègues de travail. Le lien n’est pas aussi puissant. Je parle encore fréquemment à mes amis du secondaire, ceux avec lesquels je mangeais des sandwichs au sirop ou au baloney. On n’avait rien à nous sauf l’amour du sport », a conclu Greer.