BROSSARD – Clairement destinée à réveiller un jeu de puissance inanimé, l’acquisition de Sergei Gonchar a aussi eu pour effet d’amincir la glace déjà fragile sur laquelle patinent Nathan Beaulieu et Jarred Tinordi depuis le début de la saison.

Visiblement, les deux anciens choix de première ronde du Canadien ne se développent pas à la vitesse espérée par la direction qui, depuis le début du camp d’entraînement, jongle avec ses deux espoirs dans l’attente que l’un d’eux prenne la pole et s’ancre définitivement à la ligne bleue du grand club.

Pour l’instant, Tinordi est la victime directe des dommages collatéraux de la transaction qui a provoqué l’arrivée à Montréal du Russe de 40 ans en retour de Travis Moen. Mercredi matin, le robuste défenseur a été rétrogradé dans la Ligue américaine pour la deuxième fois de la saison. Qui sait quelle sera cette fois la durée de son séjour à Hamilton?

Beaulieu, qui a lui aussi dû effectuer le trajet vers le club-école plus tôt cette saison, dégageait un soulagement prudent après l’entraînement des siens. « C’est difficile de monter et de redescendre, mais pour l’instant j’ai la chance de survivre un autre jour ici, alors je dois en profiter pour m’améliorer », a commenté l’arrière de 21 ans, en uniforme pour 10 des 16 matchs du CH cette année.

L’entraîneur Michel Therrien n’a pas confirmé que Gonchar, qui devait arriver en ville en soirée, disputerait son premier match avec sa nouvelle équipe jeudi contre les Bruins de Boston. Beaulieu pourrait donc obtenir la chance de lancer son propre message avant que le quadragénaire ne lui chipe sa place.

« Si j’obtiens une autre chance de jouer, je dois prouver que j’ai ma place ici. Ça sera une bataille quotidienne », entrevoit-il sur un ton résigné.

Beaulieu, qui a connu trois saisons d’au moins 45 points dans la LHJMQ, n’a pas cherché à contredire le directeur général Marc Bergevin qui, la veille, a déclaré publiquement que les deux cadets de la brigade défensive devaient être meilleurs. Il a aussi admis que son moral n’est pas sans égratignure à l’amorce de sa troisième saison chez les professionnels.

« Disons que je ne déborde pas de confiance dernièrement. C’est difficile pour un joueur à caractère offensif de n’avoir que des zéros à sa fiche », a admis Beaulieu, qui n’a que quatre points en 33 matchs dans la Ligue nationale.

L’arrivée d’un spécialiste offensif aguerri, même si difficile à avaler sur le coup en raison de son impact direct sur la précarité de son poste, pourrait procurer un outil supplémentaire à Beaulieu dans sa quête de progression. Avec plus de 1200 matchs d’expérience dans la LNH, Gonchar a sûrement un truc ou deux dans son sac. Reste à voir s’il sera ouvert au partage.

« Un gars comme lui ne nuira jamais à une équipe et j’ai hâte de voir ce qu’il peut nous apporter, avance Beaulieu, diplomate. C’est sans aucun doute un gars qui peut m’en apprendre beaucoup. C’est un bel ajout et tout le monde dans ce vestiaire est heureux de le voir arriver. »

Gilbert ne le prend pas personnel

Beaulieu et Tinordi ne sont pas les seuls à devoir se regarder dans le miroir. En fait, aucun membre de la brigade défensive n’est sans reproche depuis le début de la saison.

Si Mike Weaver et Alexei Emelin s’acquittent de leur rôle de façon plutôt satisfaisante, P.K. Subban et Andrei Markov offrent du jeu parsemé d’erreurs inhabituelles et trop fréquentes. L’incapacité de ces deux dynamos offensives de s’avérer les piliers attendus à la ligne bleue doit être vue comme l’une des principales raisons du bégaiement de l’attaque à cinq du Canadien, qui vient au 28e rang dans la LNH.

Tom Gilbert

Mais l’ajout de Gonchar n’aurait peut-être pas été jugée nécessaire si Tom Gilbert était en mesure de faire lever la deuxième vague du jeu de puissance, l’un des rôles qu’on espérait sans doute le voir remplir lors de son arrivée via le marché des joueurs autonomes. 

En 16 matchs, Gilbert n’a récolté que trois points, aucun en avantage numérique.

« On verra bien ce qui arrivera. C’est aux entraîneurs de prendre ce genre de décision », a simplement répondu le vétéran lorsqu’on lui a demandé s’il s’attendait à voir ses tâches diminuer maintenant que Therrien possédait une autre option dans son jeu.

« Ils essaient simplement d’améliorer l’équipe, de trouver des éléments qui vont bien cadrer dans leur plan, que ce soit à 5 contre 5, en désavantage numérique ou en avantage numérique. Ils essaient de nous faire gagner. »

À la défense de Gilbert, il n’a droit qu’à une bien mince part de la tarte en avantage numérique. En raison de la réticence de Subban et Markov à céder leur place, il voit en moyenne 57 secondes de temps de jeu par match alors que le Canadien a l’avantage d’un homme.

« C’est toujours mieux quand on peut incorporer le travail de deux unités, concède Gilbert, bien conscient des qualités de celui qui pourrait être son prochain partenaire. Parfois, l’une d’elles fonctionne alors que l’autre est en panne, alors ça donne plus de flexibilité à l’entraîneur. »

Tinordi sur l’autoroute

Jarred TinordiLaissé de côté depuis deux matchs, Tinordi n’avait pas joué au niveau de la LNH depuis le 5 octobre, à Buffalo. En neuf parties avec le Tricolore cette saison, il a récolté deux passes, écopé de sept minutes de pénalité et affiché un différentiel de moins-5. 

Therrien, qui a répété que Tinordi devait s’habituer à la vitesse de la Ligue nationale, a été pris de court quand un collègue lui a demandé comment était-ce possible de s’ajuster à un rythme plus rapide en allant jouer à un niveau inférieur.

« Quand tu fais les mêmes erreurs à répétition, tu commences à perdre ta confiance. Après ça, tu t’aperçois que ça commence à aller vite », a commencé à expliquer Therrien, rieur, après avoir rassemblé ses idées.

« C’est comme faire du patin à roulettes, a-t-il ensuite imagé. Dans la piste cyclable, tu es correct. Mais si on te demande d’aller faire du patin à roulettes sur l’autoroute, tu vas t’apercevoir que ça va un peu trop vite. Et là tu vas perdre ta confiance. »

« Ce n’est pas évident pour un jeune défenseur de s’établir, d’avoir cette confiance et la constance recherchée, match après match. La Ligue nationale, ce n’est pas une ligue de développement. On veut être patient jusqu’à un certain point, mais quand on voit des erreurs à répétition parce que la confiance est affectée, c’est là qu’on peut faire mal à un jeune. C’est mieux de le tasser en attendant que ça revienne. Il ne faut pas les perdre, ces jeunes-là. »

« Ce n’est pas un job facile, assure Beaulieu. Mais je n’ai pas d’excuses. L’an passé j’ai joué dans les séries… C’est une courbe d’apprentissage qui peut être difficile à suivre, mais on va s’en sortir. Tout va bien aller. »