Souvenirs de séries : la « zone » de Jean-Sébastien Giguère
LNH mercredi, 6 mai 2020. 09:00 samedi, 14 déc. 2024. 21:47MONTRÉAL – Jean-Sébastien Giguère s’est replongé dans de vieux souvenirs la semaine dernière. Avec son fils Maxime, l’ancienne gloire des Ducks d’Anaheim a visionné les derniers matchs de la finale de la coupe Stanley de 2007.
Son aîné, lui-même un jeune gardien de but, avait des questions. Au milieu d’une conversation sur la fortitude mentale, il a voulu savoir si son père était « dans sa zone » pendant ces victoires décisives contre les Sénateurs d’Ottawa. La réponse l’a surpris.
« Je lui ai expliqué que non, je ne l’étais pas, confesse Giguère. Cette année-là, je n’étais pas vraiment dans une situation où j'étais très confortable, où tout allait bien. Il fallait que je me batte, je travaillais fort. Être dans une zone, c’est rare que ça arrive dans une carrière. C’est spécial de se sentir comme ça. »
Giguère a atteint une fois cet état de grâce. C’était quatre ans avant de soulever la coupe Stanley et deux ans après avoir visité ce qui ressemblait alors le plus pour lui au fond du baril.
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À l’été 2000, Jean-Sébastien Giguère est un ancien choix de première ronde qui s’enfonce dans la Ligue américaine. Il vient de connaître la pire de ses trois saisons avec le club-école des Flames de Calgary. À 23 ans, un nouveau départ semble de mise, mais encore faut-il que quelqu’un croie en lui.
François Allaire y croit. L’entraîneur des gardiens des Ducks est familier avec Giguère, qui avait fréquenté ses écoles de hockey à l’adolescence et dont il avait suivi la carrière junior. Quand le directeur général Pierre Gauthier se met à la recherche d’un auxiliaire pour le vétéran Guy Hebert, Allaire y voit une belle occasion de reprendre le jeune homme sous son aile.
Le grand potentiel de Giguère ne fait pas de sa réhabilitation une sinécure. Aux yeux d’Allaire, ses carences techniques sont évidentes et sa confiance est écorchée. Mais dès la première rencontre, l’enseignant explique sa vision. « Je n’arrêtais pas de lui répéter : "Quand cette équipe-là va être mûre pour les séries, tu vas être prêt à faire feu, techniquement et mentalement." Je lui ai fait la vie dure. Les entraînements étaient durs et longs. Mais Jean-Sébastien n’a jamais rien dit. Son éthique de travail était irréprochable. »
« François me disait tout le temps que la journée où le reste de l’équipe serait à niveau pour entrer dans les séries, j’allais être prêt à aller loin, corrobore le cerbère. François avait toujours juste un but, c’était d’aller jusqu’au bout, tout le temps. C’était vraiment une approche différente de ce que j’avais eu avant dans ma carrière. Ça m’avait donné beaucoup de confiance. »
Les Ducks ratent les séries durant les années suivantes. Dans cette période, Giguère passe du rôle d’élève modeste dans la Ligue américaine à celui de titulaire indétrônable dans la LNH. En 2002-2003, il signe 34 victoires et mène contre toute attente son équipe au tournoi d’après-saison.
« Je me sentais prêt parce que ça faisait deux ans qu’on travaillait juste pour ce moment-là. »
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Champions en titre de la coupe Stanley, les Red Wings de Detroit sont considérés comme une valeur sûre pour répéter l’exploit en 2003. L’histoire est écrite à l’avance : les Mighty Ducks se feront sortir en première ronde, on soulignera leur belle progression et on s’encouragera en leur prédisant un avenir prometteur.
« Je ne sais pas quelle était la cote à Vegas, mais elle n’était pas forte sur nous autres, revoit Allaire. Sauf que dans les séries, il s’agit juste que ton gardien monte un peu sa moyenne d’efficacité. S’il la tient à ,910 en saison régulière et qu’il l’élève à ,930 en séries, ton équipe n’est plus la même parce qu’au lieu de perdre 3-2, tu gagnes 2-1. Et c’est exactement ce qui s’est produit dans la première ronde cette année-là. »
À son premier match de séries dans la LNH, Giguère effectue 63 arrêts dans une victoire en prolongation. Dans les trois parties suivantes, son pourcentage d’arrêt ne descend jamais sous ,941. Les Red Wings ne marquent que six buts et sont balayés.
La deuxième ronde contre les Stars de Dallas s’ouvre sur un autre marathon. Les Mighty Ducks poussent les favoris jusqu’en cinquième période de prolongation. À l’entracte, quelques minutes avant le but libérateur de Petr Sykora, Giguère est tellement déshydraté qu’il a besoin d’aide pour remettre son équipement.
« J’avais des crampes dans les mains et les bras, je n’étais plus capable de bouger. J’avais même de la misère à parler tellement ma mâchoire état crispée. J’essayais de dire à mon adjoint de se préparer parce qu’il n’y avait plus rien qui marchait. Il était temps que ça finisse. »
« C’était vraiment une lutte entre l’esprit et les jambes qu’il avait remportée, s’émeut François Allaire. Après le match, je m’en souviendrai toute ma vie, on l’avait mis sur une table et on l’avait piqué dans chaque bras pour le nourrir par intraveineuse. Il s’était mis à trembler parce que les poches sortaient du réfrigérateur alors que lui était encore tout chaud. Il avait fallu le couvrir de serviettes et de couvertures pour le réchauffer. C’est un moment inoubliable. »
Giguère connaît sa première contre-performance des séries contre les Stars, qui l’expulsent du match numéro 5 après deux périodes. Mais les Mighty Ducks rebondissent et parviennent à régler la série en six rencontres.
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La série contre Detroit avait transporté Giguère dans des recoins encore inexplorés de ses capacités. Il avait cru que c’était ça, la « zone ». Il comprend contre le Wild du Minnesota qu’il n’en avait qu’effleuré la surface.
Giguère bloque les 83 premiers tirs qu’il voit en troisième ronde. Le Wild est blanchi deux fois à domicile, puis une troisième à Anaheim. Une séquence de près de 213 minutes sans but prend fin au début du match numéro 4.
« C’était la première fois que je voyais un gardien accorder un but à domicile et recevoir une ovation debout, s’émerveille encore François Allaire. Les médias au Minnesota n’en revenaient pas. Je pense que Jean-Sébastien est rentré très tôt dans la tête de ses adversaires. À 3-0, on sentait qu’il était invincible. J’ai vécu plusieurs séries où mes gardiens ont vraiment dominé, mais celle-là, c’était quelque chose d’extraordinaire. »
« Tu voyais qu’il y avait beaucoup de frustration, se souvient Giguère. Il y avait beaucoup de commentaires dans les journaux à propos de mon équipement. J’essayais de ne pas y porter attention, je me concentrais sur mes affaires. Ça peut tourner tellement vite en séries. Tu fais un mauvais jeu, une mauvaise sortie, tu donnes un mauvais but et le momentum de la série change au complet. »
Le Wild n’a jamais eu la moindre chance, mais Anaheim finit par frapper son Waterloo. En finale, les Devils du New Jersey ont la réponse parfaite pour la sorcellerie de Giguère. Arrivé en finale avec quatre blanchissages à sa fiche, Martin Brodeur accueille l’équipe Cendrillon avec deux jeux blancs successifs. La logique venait de s’inviter dans les hostilités.
« On se retrouvait 0-2, on retournait à la maison la tête entre les deux jambes et je me rappelle que j’avais dit à Giggy : "On est à terre, ils sont prêts à nous donner le coup fatal; il faut que tu te lèves dans la chambre", raconte Allaire. J’ai parlé avec Mike Babcock, qui était le coach à l’époque. Je lui ai dit qu’à la fin de son discours, son gardien aurait quelque chose à dire. Mike a accepté de lui donner la parole et Jean-Sébastien a dit à ses coéquipiers que c’était le temps d’arrêter de surestimer les Devils et de recommencer à jouer notre game. »
Les Ducks remportent les deux matchs suivants. Giguère enregistre son cinquième jeu blanc des séries et stoppe 55 des 57 tirs cadrés des Devils. Les deux équipes vont s’échanger des victoires à domicile jusqu’à ce que Brodeur ait le dernier mot avec un ultime jeu blanc dans le septième match.
« Les Devils avaient déjà vécu tout ça, Martin était déjà passé à travers ça, résume Giguère avec le recul. C’est sûr qu’il avait un avantage sur moi en raison de son expérience. Mais on s’est quand même battu jusqu’à la fin. Si on avait pu gagner un match au New Jersey, on aurait gagné la Coupe. On n’était pas loin. Personnellement, dans mon cheminement, ça m’a pris cette défaite-là pour éventuellement être capable d’aller jusqu’au bout. »
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Quatre joueurs, dont trois gardiens, avaient jusque-là remporté dans une cause perdante le trophée Conn Smythe, remis au joueur le plus utile des séries de la LNH. Giguère est devenu le cinquième. Après 21 matchs aux allures de mirage, le Québécois montrait une moyenne de buts alloués de 1,62 et un taux d’efficacité de ,945.
La barbe hirsute, les traits tirés, il a accepté l’honneur des mains du commissaire Gary Bettman le 9 juin 2003. Deux semaines plus tard, le prix de consolation brillait sur un présentoir à son mariage. Peu à peu, l’amertume commençait à s’effacer.
« Ces séries l’ont consacré comme une grande vedette, fait remarquer Allaire. Il a gagné un ESPY, il a été invité par Jay Leno, il a signé un gros contrat. Je veux dire, sa vie a changé. C’est sûr que sur le coup, il ne pouvait pas s’en réjouir. Mais il n’avait pas seulement été le meilleur gardien de but, il avait été le meilleur joueur de toutes les séries. »
« Ce n’était pas le trophée que je voulais, mais j’ai réussi à l’apprécier pareil, dit Giguère. Au mariage, je voyais que ma famille, mes amis, tout le monde m’en parlaient. Ça voulait dire beaucoup dans mon entourage, alors j’ai appris à l’apprécier. C’est certain qu’aujourd’hui, c’est quelque chose dont je suis très fier. »
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