Le 5 octobre 2017, la star péruvienne de football Paolo Guerrero a été testé positif à la benzoylecgonine, le principal métabolite de cocaïne, durant un contrôle réalisé après un match des qualifications pour la Coupe du monde. Il s’agit d’une substance non-spécifiée sur la liste des interdictions de l'Agence mondiale antidopage (AMA). Guerrero a répliqué qu’il n’avait pas consommé de la cocaïne, mais plutôt qu’il avait bu un thé avant le début du match dans une tasse qui contenait des résidus de feuilles de coca.

Les suspensions en vertu du Code mondial antidopage

La FIFA est signataire du Code mondial antidopage (Code) et est donc soumise à son régime de sanctions. Selon le Code, la violation aux règles antidopage de Guerrero entraîne une suspension de 4 ans, qui peut être réduite à 2 ans s’il prouve son absence d’intention. Par ailleurs, si l’athlète réussit à établir son absence d’intention, une analyse subséquente de son degré de faute sera réalisée, qui pourrait donner lieu à une réduction supplémentaire. Après, s’il démontre une absence de faute significative, le Code prévoit que sa sanction peut être réduite entre 24 à 12 mois. Dans de rares cas, la suspension peut être annulée si l’athlète prouve une absence totale de faute.

Décision de la FIFA

En décembre 2017, la commission disciplinaire de la FIFA a suspendu Guerrero pour un an, jugeant que sa violation n’était pas intentionnelle et qu’il n’avait pas commis de faute significative. Or, Guerrero a contesté sa suspension pour qu’elle soit annulée sur la base d’une absence de faute devant le tribunal d’appel de la FIFA, lequel a réduit sa sanction à 6 mois en application du principe de proportionnalité. En revanche, Guerrero a porté sa sentence en appel devant le Tribunal arbitral de sport (TAS) en janvier 2018.

L’application du principe de proportionnalité

Ici, le tribunal d’appel de la FIFA a appliqué la proportionnalité pour réduire la sanction à 6 mois. De façon générale, la proportionnalité des sanctions est reconnue comme un principe élémentaire du droit commun. En matière de dopage, ce principe a été mis en œuvre dans le Code pour qu’une sanction soit proportionnelle au degré de la faute de l’athlète, et ce, afin de respecter les droits de la personne. Ainsi, le Code prévoit qu’une suspension peut être réduite en cas de faute non significative ou d’absence de faute.

La procédure d’appel instituée par l’Agence mondiale antidopage (AMA)

La jurisprudence élaborée par le TAS démontre que l’AMA intervient souvent dans les cas où une fédération sportive réduit une sanction selon sa propre interprétation du principe de proportionnalité. C’est exactement ce qui est arrivé ici. Le 19 février 2018, l’AMA a fait appel de la décision de la FIFA afin qu’une suspension d'au moins un an soit infligée à Guerrero, et ce, conformément au Code. Selon l’AMA, le tribunal d’appel de la FIFA ne peut pas faire preuve de discrétion en matière de proportionnalité, car ce principe est inhérent au Code. L’AMA alléguait que le tribunal d’appel de la FIFA ne pouvait pas appliquer arbitrairement la proportionnalité à Guerrero, car la sanction d’un an émise par la commission de discipline de la FIFA en tenait déjà compte en vertu du régime des sanctions du Code.

Décision du TAS

En mai 2018, un comité formé de trois arbitres du TAS a suspendu Guerrero pour 14 mois selon le régime des sanctions du Code. Guerrero a testé positif à de la benzoylecgonine (substance non-spécifiée) et automatiquement, il est passible d’une suspension de 4 ans. Celle-ci a été réduite à 2 ans, car il a établi que sa violation n’était pas intentionnelle. Comme c’est une substance non-spécifiée, la sanction pouvait être réduite entre 24 à 12 mois s’il prouvait une absence de faute significative. Ici, le TAS a jugé que Guerrero n’avait pas volontairement ingéré la substance et qu’il n’y avait pas d’effet d’amélioration de la performance. Guerrero a démontré devant le TAS son absence de faute significative et il a vu sa sanction réduite à 14 mois. Pour annuler sa suspension, Guerrero avait le fardeau de prouver son absence de faute. Comme il est un athlète vétéran qui connaissait ou devait raisonnablement connaître les risques de boire un thé avant un match dans une tasse où il y avait des résidus de feuilles de coca, le TAS a conclu qu’il avait commis une faute, mais qu’elle n’était pas significative.

Que peut maintenant faire Guerrero?

Cette décision est décevante pour Guerrero et le Pérou, mais au surplus elle arrive à un bien mauvais moment. Guerrero fait actuellement face à une grande pression politique. Le Pérou n’a pas participé à la Coupe du monde depuis 36 ans et sa sanction suscite d’importantes contestations au sein du peuple péruvien. Plusieurs capitaines d’équipes, dont Hugo Lloris, ont signé une pétition à l’initiative du syndicat mondial des joueurs FifPro, réclamant l’annulation de la sentence. Or, il ne s’agit pas là d’arguments juridiques qui permettraient de défier le régime du Code et d’annuler sa sentence.

Un seul remède légal demeure disponible pour Guerrero puisque les sentences arbitrales du TAS peuvent être attaquées devant le Tribunal fédéral suisse. Cependant, les motifs contre les sentences du TAS sont limités et ils sont invoqués entre autres lorsqu’une décision est contraire à l’ordre public ou quand le droit des parties à être entendues a été violé. Il est donc possible que Guerrero fasse appel de sa sanction auprès du Tribunal fédéral suisse, mais les chances de succès sont minces. Dans l’intervalle, Guerrero pourrait aussi requérir une ordonnance provisoire pour suspendre l’exécution de la décision du TAS durant le délai d’appel au Tribunal fédéral suisse pour qu’il puisse participer à la Coupe du monde. Toutefois, ce type d’ordonnance est plutôt théorique, est très rarement accueilli et ne le serait que si le requérant réussissait à prouver que sa sentence lui cause un préjudice irréparable, que la balance des inconvénients lui est favorable et que l’analyse sommaire de sa demande présage de bonnes chances de succès.