MONTRÉAL – Bien connu pour avoir formé de nombreux joueurs québécois pour la vie de footballeur professionnel, Philippe Eullaffroy aime rappeler que plusieurs entraîneurs, avant de voler de leurs propres ailes, sont aussi passés par la structure qu’il a mise en place.

L’ancien directeur de l’Académie de l’Impact pense notamment à Yoann Damet et Jack Stern qui sont à l’emploi du FC Cincinnati, à Youssef Dahha qui travaille pour les Whitecaps de Vancouver ou encore à Serge Dinkota qui est passé chez les Timbers de Portland.

Wilfried Nancy est devenu le plus connu du groupe cette semaine lorsque le CF Montréal a confirmé son embauche au poste d’entraîneur-chef.

« Wil, c’est pas le seul, mais pour l’instant c’est lui qui est arrivé le plus haut. Et je pense que ce n’est que le début de son ascension », prédit Eullaffroy en parlant de son ancien poulain en entrevue avec RDS.

Nancy a eu une pensée pour Eullaffroy lors de sa première sortie officielle dans ses nouvelles fonctions. « Je suis arrivé ici, personne ne me connaissait », a-t-il rappelé afin de mettre en contexte sa reconnaissance à son égard.

Les deux hommes se sont croisés une première fois sur les terrains du réseau universitaire québécois. Nancy était un joueur étoile à l’UQAM tandis qu’Eullaffroy dirigeait l’équipe de l’Université McGill. Plus tard, un ami commun les a réunis à la même table. Avec Christophe Dutarte, l’entraîneur-chef de longue date des Citadins, ils se sont mis à caresser le projet de démarrer une académie privée.

« C’est là que j’ai appris à le connaître comme homme, mais aussi comme futur entraîneur, avec ses idées et sa personnalité, se remémore Eullaffroy. Ce qui fait que lorsqu’on a démarré l’Académie [de l’Impact] et qu’il fallait recruter des entraîneurs, c’est la première personne qui m’est venue en tête. »

Ils ont dès le début été liés par une grande complémentarité et les axes de leurs philosophies respectives sont toujours restés alignés. Plusieurs des convictions défendues par Eullaffroy se sont immiscées dans le discours de présentation de son ami lundi. Quand Nancy, par exemple, insiste sur l’importance de considérer l’homme derrière le joueur, il ne l’a pas appris du voisin.

« À l’Académie, on a eu cette approche. C’est-à-dire qu’on part du principe qu’un bon être humain a plus de chances de faire un bon joueur de soccer que l’inverse, décortique Eullaffroy. Ça peut paraître banal de dire ça maintenant, mais pendant très longtemps, et ça continue encore un peu maintenant, les gens s’intéressent juste au joueur de soccer en oubliant le côté humain de la personne. Je pense qu’on ne peut pas optimiser les performances d’un joueur si on ne s’intéresse pas à la personne, à sa mentalité, son état émotionnel, sa vie, ses expériences personnelles, son historique. C’est le rôle de l’entraîneur moderne, et c’est une bonne partie de son temps. »

Mais Eullaffroy prévient du même souffle que « le danger, c’est que la pensée soit 100% commune ». Et ainsi, même s’il est son cadet d’une dizaine d’années et qu’il avait un ordre hiérarchique à respecter, Nancy n’a jamais eu peur de le confronter sur les idées où leur opinion pouvait diverger. Cette confiance et ce penchant pour la remise en question lui ont servi depuis son ascension au sein de la première équipe. Il n’a jamais craint de proposer des alternatives aux entraîneurs avec qui il a travaillé, même si leur nom résonnait plus que le sien ou si leur feuille de route était plus impressionnante que la sienne.

« C’était une force, une force d’interrogation mais une force de proposition aussi lorsqu’il était à l’Académie, identifie Eullaffroy, qui décrit son ancien collègue comme un "poseur de questions". C’est quelqu’un sur qui on aimait se poser pour avoir son aval, ses critiques. Il y avait un réel dialogue. C’est vraiment une grosse force pour défricher de nouvelles voies dans le développement des joueurs et dans le coaching. Pour l’avoir côtoyé encore il n’y a pas très longtemps, il a gardé ça. Il a toujours été un explorateur du jeu. Il aime rechercher, il aime explorer, il aime essayer. Ça, ça ne l’a pas quitté depuis que je le connais. »

Le temps comme allié

Eullaffroy croit que le fait que Nancy a survécu, comme adjoint, à trois changements d’entraîneurs avant d’être lui-même promu est un signe de la grande qualité de son travail. Le club a-t-il erré en ignorant si souvent sa candidature? La question n’a plus d’importance.

«Je ne m'appelle que Wilfried Nancy, mais je suis fier de mon nom»

« Le fait qu’il a mûri une ou deux années supplémentaires avant d’avoir cette position ne peut que renforcer ses convictions. Je pense qu’il l’a toujours pris de manière très philosophique et positive. Même si on peut penser qu’il aurait pu être nommé plus tôt, il n’a pas perdu son temps en restant assistant et c’est ça le plus important. Aujourd’hui, il est encore plus fort qu’il l’était il y a quelques années et donc il a encore plus de chances de son côté pour avoir du succès. »

Nancy a répété qu’il ne se formalisait pas de la décision du CF Montréal de lui offrir seulement un contrat d’un an. Eullaffroy n’est pas plus scandalisé par cette stratégie du club.

« Il doit le prendre comme un challenge », propose-t-il d’entrée de jeu.

« Je pense que ça a changé un peu, mais encore récemment, Pep Guardiola disait qu’il a longtemps refusé de signer des contrats de plus d’un an. Pourquoi c’est intéressant, c’est qu’encore une fois, professionnel, s’il veut toujours être au top, s’il veut toujours s’améliorer et performer, à la limite la durée du contrat n’a pas une énorme importance parce que dans ta nature, tu prends une saison comme un challenge, avec une réelle envie de relever des défis et de te prouver en permanence. Si tu montres tes qualités, tu vas avoir des bons résultats et tu vas être prolongé. Ça va venir de manière automatique. »

Congédié par l’Impact de Montréal l’été dernier, Eullaffroy est toujours à la recherche de son prochain défi professionnel. Il sait que le CF Montréal n’a pas comblé le poste d’adjoint qu’occupait Nancy il y a encore quelques jours. Il ignore quels sont les plans du club, mais il admet sans gêne qu’il reviendrait en courant si son ancien complice lui proposait de le rejoindre.

« Je serais à l’écoute et très heureux de retravailler avec lui. »