MONTRÉAL - Pierre Dorion méritait pleinement de garder son titre de directeur général au lendemain de la vente des Sénateurs et de l’entrée en scène du nouveau propriétaire Michael Andlauer.

Un mois plus tard, Pierre Dorion méritait tout autant de perdre son poste.

 

Pourquoi une telle volte-face en si peu de temps?

 

Parce que Pierre Dorion ne pouvait survivre à l’annonce, mercredi, de la perte d’un choix de première ronde – en 2024, 2025 ou 2026 selon la décision que prendra l’équipe – en guise de conséquence à une transaction « illégale » dont il était ultimement le grand responsable. Une sanction qui s’ajoutait à celle, pas encore totalement encaissée, de la suspension de 41 matchs imposée à Shane Pinto pour son implication « illégale » selon les paramètres de la LNH dans des paris sportifs sur le hockey.

 

L’arrivée de Micheal Andlauer et l’embauche de « son » président Steve Staios annonçaient peut-être une fin prochaine pour le directeur général des Sens. C’est vrai! Mais les deux appels de Gary Bettman confirmant les récentes sanctions imposées par la LNH ont forcé le proprio à le limoger plus vite que prévu.

 

« Deux appels troublants », a d’ailleurs candidement reconnu Michael Andlauer.

 

« Mes premiers 30 jours à titre de propriétaire ont été fantastiques. Les dix derniers beaucoup moins », a indiqué le proprio en ouverture de son point de presse. Une ouverture livrée en français ou « dans la belle langue » comme l’a qualifiée le milliardaire originaire de Hamilton qui est à la tête d’une grande compagnie spécialisée dans le transport d’équipements médicaux et qui a aussi été le bras droit de Geoff Molson et gouverneur adjoint à la tête du Canadien de Montréal.

 

Clause non dévoilée
 

Qu’est-ce que Pierre Dorion a fait de si grave?

 

Il a échangé Evgenii Dadonov aux Golden Knights, en juillet 2021, sans dire à son homologue de Las Vegas que le joueur russe profitait d’une clause à son contrat qui l’assurait de ne jamais être échangé aux Ducks d’Anaheim. Cette clause a été brandie en mars 2022 lorsque les Knights ont tenté de l’envoyer à Anaheim faisant ainsi avorter la transaction.

 

« La décision de 73 pages – rédigée après une audience de deux jours tenue il y a plus d’un an – démontre une négligence de la part de l’équipe. Nous avons placé la Ligue dans l’embarras et deux équipes étaient en colère contre nous. Je peux être déçu de la sévérité de la sanction. Mais ce qui est arrivé est de notre faute et nous devons assumer cette responsabilité », a expliqué le propriétaire des Sens.

 

« La perte d’un choix de première ronde est très lourde à encaisser. Et quand on analyse toute cette affaire, cette erreur aurait pu être évitée. J’espère maintenant ne plus recevoir d’appels troublants de la Ligue afin de me consacrer à préparer le futur excitant de cette équipe », a tranché Andlauer à la fin de son point de presse.

 

Pourquoi Andlauer doit-il payer des amendes aussi élevées alors qu’il n’était pas à la tête de l’équipe lorsque les «crimes» reprochés à Dorion et Pinto ont été commis?

 

Parce que tout autant que Tim Stützle, Brady Tkachuk, Jake Sanderson est les très prometteurs jeunes joueurs des Sénateurs, ces accrocs venaient avec le club. Andlauer avait d’ailleurs été informé de la décision attendue dans le cadre de la transaction «illégale» au cours du processus d’acquisition de l’équipe. La nouvelle associée à Shane Pinto est, quant à elle, tombée après la confirmation de la vente.

 

Confiance et stabilité recherchés

 

Au lendemain de la démission de Pierre Dorion – il a quitté ses fonctions avant d’être congédié au terme d’un « dernier souper » avec son propriétaire venu de Toronto pour gérer en personne une situation qui ne pouvait être gérée à distance – Michael Andlauer a confié à Steve Staios le mandat de combiner ses responsabilités à titre de président et de celles de Pierre Dorion.

 

Combien de temps durera l’intérim?

 

Est-ce que cette crise à la tête de l’organisation permettra à D.J. Smith d’échapper aux rumeurs de congédiement qui se sont multipliées au fil des trois défaites consécutives encaissées la semaine dernière? Ou, au contraire, la haute direction pourrait profiter de la situation pour couper les liens avec l’ère pré-Andlauer?

 

Steve Staios assure que ses priorités seront d’instaurer de la stabilité et de la confiance au sein d’une équipe déstabilisée par les nouvelles des dix derniers jours. Et par quelques blessures également.

 

« Les joueurs respectent D.J. », a d’ailleurs affirmé Staios.

 

Bon! Ce n’est pas le vote de confiance le plus solide qu’il ait été donné d’entendre. Mais il me semble qu’on peut lire entre les lignes que cela achètera du temps à Smith.

 

Peut-être pas beaucoup cela dit.

 

Car une fois que Staios aura proposé son – ou sa – candidat à Michael Andlauer et que le propriétaire aura donné son feu vert à cette embauche, la nouvelle haute direction pourra amorcer le travail de finition amorcé par Pierre Dorion.

 

Et là le coach deviendra menacé si les résultats de l’équipe génèrent plus de désespoir que d’espoir.

 

Enfin des conditions gagnantes

 

Je maintiens que le départ de Pierre Dorion, que ce soit par démission ou par congédiement, était nécessaire. Mais après tout le sale et difficile boulot accompli au fil des dernières années, c’est un autre directeur général qui profitera de conditions gagnantes dont il n’aura jamais bénéficié à Ottawa.

 

Et c’est ça qui est le plus dommage pour celui qui était directeur général depuis 2014.

 

Lors de son embauche, personne ou à peu près, n’aurait voulu de ce job. L’ancien propriétaire Eugene Melnyk était non seulement pingre, mais il s’immisçait dans le quotidien de son équipe au point de pousser certains joueurs à vouloir quitter les Sénateurs.

 

Déjà que le marché d’Ottawa n’est pas le plus prisé autour de la LNH, Melnyk le rendait plus effrayant encore alors que les services offerts aux joueurs étaient bien en deçà du niveau moyen de services offerts aux quatre coins de la LNH.

 

Et je ne fais pas seulement référence ici aux «grosses» organisations comme le Canadien ou les Leafs, aux destinations soleil, aux marchés financièrement avantageux sur le plan des impôts où à celui de Las Vegas qui permet aux joueurs de faire banco sur tous les plans.

 

Pierre Dorion a dû gérer les départs d’Erik Karlsson et de Mark Stone. Il a dû composer avec les doléances de bien des joueurs qui ont refusé de joindre les rangs des «Sens». Il a dû surpayer pour renforcer sa formation par le biais du marché des joueurs autonomes pour au moins donner l’impression aux jeunes espoirs de grand talent qu’il a savamment repêchés qu’ils grandiraient dans un environnement gagnant à Ottawa.

 

Pierre Dorion a travaillé dans un contexte qu’aucun directeur général de renom autour de la LNH n’aurait accepté. Même de jeunes vedettes montantes dans la gestion refusaient de regarder Ottawa comme une destination intéressante malgré l’afflux d’espoirs plus qu’intéressants.

 

L’arrivée de Michael Andlauer change la donne.

 

Élevé dans la culture du Canadien, Andlauer tient à miser sur des conditions gagnantes. Des conditions gagnantes qu’il créera lui-même en dépensant les millions $ nécessaires pour y arriver.

 

Dans ce contexte, un Mathieu Darche qui travaille déjà dans des conditions gagnantes à Tampa Bay pourrait maintenant placer Ottawa comme une destination potentielle si les Sénateurs s’intéressaient éventuellement à lui.

 

D’autres Mathieu Darche autour de la Ligue pourraient eux aussi écouter ce que les Sens ont à offrir au lieu de faire la sourde oreille comme c’était le cas avant l’arrivée d’Andlauer.

 

Ce qui est clair, c’est que Steve Staios ne portera pas les deux casques. Avant longtemps, il aura un directeur général avec qui travailler.

 

« Je crois fermement au partage du travail à la tête d’une équipe. Il y a tellement de choses à faire, de responsabilités à remplir, qu’il faut une grosse équipe. Je crois au monstre à deux têtes. D’ailleurs, si nous en avions eu un à la tête des Sénateurs, la Ligue ne nous aurait pas enlevé un choix de première ronde », a plaidé Michael Andlauer encore hier.

 

Mathieu Darche et les autres talentueux adjoints d.-g. autour de la LNH doivent être considérés dans la quête qui débute d’un nouveau directeur général à Ottawa.

 

Mais des gars d’expérience sont aussi disponibles autour de la planète hockey.

 

Le nom de Peter Chiarelli me vient vite en tête. Chiarelli a conduit les Bruins de Boston à la coupe Stanley en 2011. Vous me direz que ce titre prend de l’âge; que Chiarelli a connu des années plus difficiles ensuite à Edmonton; que les Blues de St.Louis gèrent la décroissance depuis qu’il s’est joint à l’organisation – il est vice-président des opérations hockey – l’année suivant la conquête de la coupe Stanley en 2019.

 

Mais Chiarelli a des liens avec Ottawa et avec les Sens dont il était l’avocat responsable de la gestion des contrats et des transactions avant de prendre la direction de Boston.

 

Je n’ai pas la moindre idée de qui succédera à Pierre Dorion. Mais peu importe son nom, celui – ou celle – qui deviendra neuvième directeur général des Sénateurs d’Ottawa travaillera dans un contexte gagnant et avec des moyens dont Pierre Dorion aurait grandement pu profiter pour être meilleur dans ses fonctions qu’il ne l’a été.

 

Pierre Dorion n’a pas fait que de bons coups à Ottawa. Il a conclu des transactions qui lui ont fait mal. L’acquisition de Matt Duchene est en une. Il a pris une chance qui s’est retournée contre lui dans l’aventure Alex DeBrincat. Et il y en a eu d’autres. La sanction imposée par la LNH mercredi aura été la goutte qui a fait déborder le vase.

 

Mais dans les conditions difficiles que lui imposait, directement ou indirectement, Eugene Melnyk, il a fait suffisamment de bons coups pour partir la tête haute.

 

Et il ne faudra pas se surprendre qu’un club qui peine à faire le plein d’espoirs de talent se tourne rapidement vers lui pour profiter de son grand talent à multiplier les bons choix au repêchage.