OTTAWA (PC) - Lorsque la nageuse québécoise Jennifer Carroll a brandi un petit drapeau du Québec sur le podium des Jeux du Commonwealth, l'été dernier, son geste "égoïste, irrespectueux, fâcheux" a "rendu malade" l'équipe canadienne de natation.

Ces mots sont tirés d'un rapport écrit par l'entraîneur Dave Johnson qui recommandait en conclusion de suspendre pour six mois la médaillée d'argent du 50 mètres dos des Jeux de Manchester. Ce geste "impardonnable" est "le plus fâcheux et le plus embarassant que j'ai vu par un nageur canadien pendant toutes mes années dans le sport", poursuit M. Johnson dans son rapport.

Ces propos ont fait sortir de ses gonds le chef du Bloc québécois, pour qui il s'agit encore une fois d'un exemple de la discrimination faite envers les Québécois dans l'équipe canadienne de natation.

"Comme Natation Canada et l'entraîneur Dave Johnson n'en sont pas à leurs premiers cas de discrimination à l'endroit des nageurs et des nageuses du Québec, et que le gouvernement laisse faire, je demande au premier ministre s'il trouve normal qu'une athlète soit menacée de suspension pour avoir brandi le drapeau du Québec?", a tonné Gilles Duceppe, chef du Bloc, lors de la période de questions mercredi.

La nageuse, qui n'a finalement pas été suspendue, a expliqué qu'elle voulait de cette façon remercier ceux qui "l'ont appuyée pendant des années". "Ils ont interprété le geste comme un geste politique alors que ce n'était pas mon but", a fait valoir Mme Carroll.

L'entraîneur Johnson considère que le geste avait toute la portée d'un geste politique. "Elle prétend que ce n'est pas le cas, mais tout le monde a senti que c'était inapproprié. Ce serait la même chose s'il s'agissait d'un drapeau de la Colombie-Britannique ou de l'Alberta."

Malgré ses explications, Jennifer Carroll a néanmoins dû écrire une lettre d'excuses à ses coéquipiers à la suite de la décision d'un comité disciplinaire.

Le ministre québécois du Loisir et du Sport, Richard Legendre, estime que la recommandation de l'entraîneur "tient presque de la folie" et rappelle que ce n'est pas la première fois que des nageurs du Québec ont maille à partir avec Natation Canada. Nadine Rolland et Yannick Lupien ont tous deux eu à se battre avec leur fédération.

"C'est inacceptable. Le message transmis par cette affaire est démotivant pour les athlètes québécois", a souligné le ministre Legendre qui a d'ailleurs écrit à son homologue fédéral, Paul DeVillers, pour dénoncer l'affaire.

Ce dernier a commencé la journée en se lavant les mains du problème, affirmant que l'athlète n'avait qu'à porter plainte devant le centre de règlement des différends de Sport Canada. Pressé de questions par le Bloc, il répétait la même chose aux Communes.

Histoire d'apaiser le jeu, les ministres Denis Coderre, Stéphane Dion et Sheila Copps sont venus à la rescousse de leur collègue en dénonçant les propos de l'entraîneur.

"Je ne sais pas s'il a fait ses déclarations en fonction du drapeau du Québec, mais j'espère que non car s'il l'a fait, c'est tout à fait inacceptable", a mentionné le ministre Dion. Le ministre Coderre, ancien responsable des sports amateurs, estime aussi que l'affaire est "totalement inacceptable".

"C'est absurde, a pour sa part noté la ministre du Patrimoine, Sheila Copps. (...) C'est sûr que c'est une discrimination parce que si c'était un drapeau de la Saskatchewan, il n'y aurait pas de problème."

D'autres médaillés canadiens ont déjà grimpé sur des podiums, lors de jeux olympiques, avec à la main le drapeau de leur province d'origine. C'est le cas de la patineuse de vitesse Catriona LeMay-Doan et de la joueuse de curling Sandra Schmiller qui ont brandi le drapeau de la Saskatchewan lors des jeux de Nagano. Les deux femmes n'ont pas eu à faire face à des sanctions ou des réprimandes.

Selon Natation Canada, la présence du fleurdelisé sur le podium des Jeux du Commonwealth allait à l'encontre du protocole international. "L'affichage d'un drapeau provincial au cours d'un événement international contrevient" à l'entente que doivent signer les athlètes participants aux Jeux du Commonwealth, a indiqué la directrice générale de Natation Canada, Karen Spierkel, dans une déclaration écrite. D'ailleurs, ajoute-t-elle, cette "question est close" pour Natation Canada.

Outre les excuses à ses coéquipiers, le comité de discipline suggérait également que la nageuse s'excuse auprès de son entraîneur et de Mme Spierkel.

Mme Carroll refuse de s'excuser auprès de ces deux personnes puisqu'elle ne reçoit plus le "brevet" de Natation Canada et l'allocation annuelle de 13 000 $ qui l'accompagne. Selon la nageuse, son entraîneur lui avait promis qu'elle recevrait le brevet en participant à la compétition de Manchester.

"Je me suis sentie humiliée et trahie", a-t-elle déclaré.

Sa fédération de natation affirme cependant que la nageuse connaissait les exigences et qu'elle ne les a pas respectées, ce qui expliquerait la décision.