Je vais vous parler d’une aventure rare. Très rare. Une aventure qu’une toute petite poignée d’hommes et de femmes seulement ont vécue. En fait, plus d’hommes et de femmes ont gravi l’Everest que participé à cette aventure.  Cette dernière se déroule dans un pays reclus et fermé, dirigé par la dernière dictature d’inspiration stalinienne de la planète. Je vous parle du marathon de Pyongyang, en Corée du Nord.  Rares sont les coureurs, autres que les citoyens de ce pays, à détenir un dossard de cette épreuve.

Le 12 avril prochain se déroulera la 28e édition du Marathon international Mangyongdae dans les rues de la capitale nord-coréenne. Longtemps exclusivement réservé aux coureurs élites du pays et à d’exceptionnels coureurs élites africains (sur invitation), il s’était ouvert à la communauté internationale l’année dernière grâce à une décision des élites dirigeantes aussi subite que surprenante.

Ainsi, une centaine de coureurs et coureuses amateurs avaient pu s’inscrire et prendre le départ du marathon ou demi-marathon du pays le plus emmuré du monde. Le qualificatif « amateur » demeure cependant inexact puisque le parcours du marathon devait être complété en trois heures maximum. Bref, pas à la portée de tous! N’empêche, c’était une occasion unique pour des coureurs étrangers de visiter ce pays dirigé de main de fer par Kim Jong-un et pour les Nord-Coréens la seule occasion de voir quelques touristes occidentaux.

Marathon de PyongyangL’expérience de l’année dernière fut, semble-t-il, particulière. Le parcours dans les rues de la capitale empruntait à quatre reprises une boucle de dix kilomètres débutant et se terminant dans le stade Kim Il-sung où s’entassait une foule de 100 000 spectateurs. Relativement plat, il permettait aux coureurs d’apercevoir  certains des attraits touristiques de la ville, dont l’Arc de triomphe, l’université Kim Il-Sung et le pont Rungra qui surplombe la rivière Taedong.

Dans la majorité des commentaires, les marathoniens étrangers ont affirmé éprouver des sentiments partagés quant à leur aventure. D’un côté, ils se disaient malheureux d’avoir participé à un événement mis sur pied pour célébrer la gloire du père du chef suprême de la Corée du Nord, Kim Jong-il. En contrepartie, ils croyaient fermement que leur présence permettrait éventuellement de faire tomber cette barrière culturelle qui isole le pays tout en encourageant l’ouverture graduelle de ses frontières.

Ce ne fut pas le cas! Non seulement la Corée du Nord n’a pas amorcé un semblant d’ouverture, mais le pays s’est plutôt refermé comme une huitre. Le 23 février dernier, deux agences spécialisées basées en Chine, Koryo Tours et Young Pionner Tours, ont été informées officiellement que l’épreuve du 12 avril allait se tenir uniquement avec des coureurs locaux. Tous les participants étrangers, amateurs ou professionnels, en sont interdits! Raison évoquée : la crainte du virus Ebola!

On a franchement l’impression que la Corée du Nord se cherchait un prétexte pour fermer ses frontières aux coureurs internationaux.  Le pays n’a pas enregistré un seul cas avéré d’Ebola sur son territoire. Ce terrible virus, qui se transmet par contact direct avec les fluides corporels, affecte des pays qui sont pourtant situés à des milliers de kilomètres des frontières nord-coréennes (Sierra Leone, Liberia et Guinée). Les dirigeants à Pyongyang sont méfiants, voire paranoïaques, puisqu’ils affirment  qu’Ebola est une arme bactériologique volontairement créée par l’armée américaine!

Toujours est-il qu’il s’agit d’une très mauvaise nouvelle pour les coureurs  qui avaient réussi à mettre la main sur un des 500 dossards internationaux. Ils tenteront maintenant de se faire rembourser les 1 690 euros (2 400$) couvrant les frais d’inscription et de déplacement pour la journée de course. C’est loin d’être chose faite puisque certaines des sommes ayant été versées en dépôt risquent de demeurer en Corée du Nord, pays frappé par de lourdes sanctions économiques internationales. 

Kim Jong-unAu-delà de la crainte d’être infecté par Ebola, il y a de fortes raisons de croire que les dirigeants de ce pays asiatique n’ont pas apprécié le semblant d’ouverture de l’an dernier. Pour eux, l’expérience fut sans doute jugée dangereuse. Après tout, difficile de contrôler une population n’ayant pas accès à internet et subissant une grande famine si elle est mise en contact avec des gens libres et aux valeurs démocratiques.  Grâce à une efficace propagande, celui qui porte le titre de chef suprême de la nation, Kim Jong-un, est présenté comme un véritable Dieu.  

Le jeune leader nord-coréen, dans ses très médiatisées apparitions publiques, prône la suprématie de son peuple face aux grandes puissances qui menacent son empire.  Il ne devait certainement pas apprécier voir ses protégés être en contact direct avec ces coureurs des nations « ennemis ».  Après tout, la meilleure façon d’assurer une victoire des coureurs et coureuses  d’un pays revient à en interdire l’inscription aux étrangers. C’est élémentaire.  

En bout de ligne, il s’agit d’un manque de confiance de l’association nord-coréenne envers ses propres athlètes. L’an dernier, lors de la 27e édition, les victoires masculines et féminines étaient allées à des coureurs locaux.  Malgré la décision historique d’accueillir des coureurs amateurs étrangers, Pak Chol (2 :12 :26) et Kim Hye-gyong (2 :27 :05) avaient fait honneur à leur pays en réalisant d’excellents chronos.

Souhaitons une réouverture rapide de ce marathon à tous les coureurs, sans distinctions pour leurs nationalités. Là où la politique est  impuissante à faire bouger les choses, le sport peut parfois réaliser de petits miracles. Je ne parle pas d’évènements questionnables comme ceux organisés par l’ancienne gloire de la NBA, Dennis Rodman, pour plaire à celui qu’il qualifie d’ami, Kim Jong-un. Mais plutôt d’un rassemblement où des gens comme vous et moi peuvent, par leurs simples présences, aider ce peuple oppressé à s’en sortir et à comprendre qu’il y a de l’espoir et que la liberté est possible.