L’édition 2018 des Internationaux de patinage Canada a été caractérisée par des remontées, certaines spectaculaires, dans trois des disciplines au programme. Seuls les couples ont présenté au finish le même classement qu’après le programme court soit, dans l’ordre, les Français  Vanessa James et Morgan Ciprès, les Chinois Cheng Peng et Xian Jin et les Canadiens Kirsten Moore-Towers et Michael Marinaro. Mais il s’en est fallu de peu pour que les Canadiensmontent au deuxième rang, seulement 15 centièmes de points séparant les deux médailles. On peut mettre ça sur un manque de concentration à la toute fin du programme, sur le dernier levé où ils ont perdu 0,30 sur la valeur de base de l’élément, ce qui le faisait régresser d’un niveau 4 à un niveau 3 avec le manque à gagner qui s’en suit. Leur chorégraphie sur Pink Floyd était des plus intéressantes, explorant de nouvelles avenues pour eux et méritait d’être récompensée. D’ailleurs, ils se sont classés devant les Chinois au libre, mais l’écart n’était pas suffisant pour compenser les ,74 de la veille. Jamais il n’y a eu un point complet entre eux.

Si les Chinois avaient une maîtrise technique indéniable, on peut regretter leur manque d’émotion sur la glace. Leur livraison est mécanique, détachée, et ça crée immanquablement une distance entre eux et le public. D’autant plus lorsqu’on patine sur un monument musical comme « La vie en rose ». Même s’ils ne comprennent pas les paroles, ils ont le devoir de se les faire expliquer et de donner le rendu qu’une telle pièce commande. Avec un peu plus de chaleur, un peu plus de complicité entre eux, ils gagneraient certes leur place parmi les favoris de la foule.

On n’a pas ce genre de retenue avec le couple français qui a été électrisant. Ils ont été accueillis par une solide ovation sur la glace et Vanessa James, née à Scarborough en Ontario, en a eu des frissons. « J’étais nerveuse avant le programme libre, mais cette réaction du public m’a fait du bien. J’ai senti un grand calme m’envahir », a-t-elle déclaré en entrevue après leur victoire. Une victoire amplement méritée. Ce couple allie des qualités athlétiques indéniables à un grand sens de l’interprétation, occupe un maximum d’espace sur la glace, réussit des levées impressionnantes et devrait connaître une saison formidable. Médaillés de bronze aux derniers championnats du monde, ce ne serait pas surprenant de les voir grimper plus haut en mars prochain.

Uno tremble

Les trois autres épreuves nous ont réservé bien des surprises et le suspense aura été ménagé jusqu’à la fin. D’abord chez les hommes, le sympathique Canadien Keegan Messing a réalisé l’exploit du programme court en terminant premier, devant le largement favori Shoma Uno. Si Messing a été parfait dans son « You’ve got a friend » de Michael Bubble (il ne pouvait choisir mieux, tout le monde voudrait être son ami!), le Japonais a connu sa part d’ennuis dans son court.  Un accroc à la sortie de sa combinaison triple boucle piquée-triple boucle, mais surtout une chute spectaculaire sur son triple axel qui l’a envoyé percuter la bande. Il a utilisé l’énergie du choc pour se relever aussitôt, mais si l’incident n’a pas laissé de trace sur son corps, il a été fort dommageable au niveau des points. Au programme libre, il patinait avant Messing et dès qu’il a mis un patin sur la glace, on a vu le feu du samouraï dans ses yeux. Uno a attaqué sa chorégraphie comme si sa vie en dépendait, y canalisant toute son énergie née de la frustration de la veille. Trois quadruples sauts consécutifs réussis en ouverture de programme, une aisance et une maîtrise dans ses transitions, deux triples axels dont l’un en fin de programme, Shoma Uno voulait montrer à la terre entière que son problème de la veille n’était qu’un accident de parcours.

Keegan Messing devait à nouveau être parfait pour avoir des visées sur l’or.  Il revenait avec son programme de l’an dernier où il personnifie un Charlie Chaplin plus vrai que nature, mais c’était difficile de résister au tsunami Uno. Quelques accrochages ont mis de l’ombre sur la médaille d’or, mais celle d’argent, sa première en grand prix, lui permet de voir la saison avec optimisme. Il sera au grand prix de Russie à la mi-novembre et aura trois semaines pour peaufiner son exécution, trois semaines pour mettre à profit cette incroyable dose d’énergie qu’il s’est donnée.

Accrochages en danse

Alors que ça se produit plutôt rarement, il y a eu plusieurs accrochages en danse. D’abord celui des Canadiens Carolane Soucisse et Shane Firus lors que le patin de l’un a accroché les lacets de l’autre. Les conséquences auraient pu être beaucoup plus graves, mais la perte de points qui en a suivi a été cruelle. Puis les Canadiens Piper Gilles et Paul Poirier ont effleuré la bande avec le déséquilibre qui s’en est suivi, ce qui leur a occasionné un net recul au classement. Mais tout devait se jouer à la danse libre où plusieurs couples ont amélioré leur performance, sortis du cadre plus rigide et des impositions de la danse courte, rebaptisée rythmique à partir de cette année. Patinant dans le premier groupe, la route était longue vers le podium. Mais ils ont mis toutes les chances de leur côté en faisant une interprétation extrêmement émouvante de « Starry starry night » interprétée par Govardo, un hommage à Van Gogh. Oublié le contact avec la bande, oubliée la fébrilité qui s’en est suivie et amorcée, couple après couple, la remontée au classement.

Elle se sera arrêtée derrière les Américains qui ont remporté l’or remplissant leur rôle de favoris, Madison Hubbell et Zachary Donohue, l’un des cinq couples de la compétition entraînés par Marie-France Dubreuil et Patrice Lauzon. Précis dans leur tango, magnifiques dans leur Roméo et Juliette à la danse libre, ils ont remporté leur deuxième grand prix consécutif après celui des États-Unis et assuré leur place à la finale qui aura lieu à Vancouver en décembre. Les Russes Sinitsina et Katsalapov ont récolé l’argent, mais remporté la danse libre. À noter toutefois que moins d’un point séparait les trois couples de tête entre eux! Quant à Carolane Soucisse et Shane Firus, si le retard était trop grand pour être comblé, leur performance dans le libre a de quoi rassurer. Ils seront au grand prix du Japon et s’étaient fixé une médaille dans l’un de leurs deux grands prix. Ce n’est donc que partie remise.

Medvedeva tremble aussi

Enfin chez les femmes, nous avions vécu le choc de la compétition au programme court quand l’immense favorite Evgenia Medvedeva a fait l’incroyable : rater sa combinaison triple flip-triple boucle piquée en ouvrant complètement le deuxième saut pour perdre un maximum de points. Il fallait les voir sous le choc, elle et Brian Orser, son nouvel entraîneur, dans le « kiss and cry ». Le lendemain encore, elle était incapable de parler de son incroyable remontée, restant obsédée par sa contre-performance de la veille. « Ça ne m’était jamais arrivé, a-t-elle dit, jamais! Dans aucune autre compétition internationale, ni même chez les juniors, ni même aux championnats nationaux quand j’étais toute petite. Jamais au grand jamais je n’avais « poppé » un saut! Evgenia avait-elle péché par excès de confiance voyant un alignement de patineuses à sa portée et la jouant un peu cool, certaine d’avance du résultat?

Mais la championne qu’elle est a rebondi dans le libre. Peut-être inspirée par l’attitude de Shoma Uno, elle a attaqué avec maîtrise chacun de ses sauts, enfilé les transitions avec brio et remporté le programme libre. Elle aura dû patienter jusqu’à la fin pour connaître son positionnement final, situation inusitée pour elle qui n’a pas l’habitude de patiner dans le premier groupe. Et l’autre surprise sera venue de la très jeune (15 ans!) Mako Yamashita, troisième après le programme court, qui a offert une performance impeccable. Patinant avec une maturité étonnante pour un si jeune âge, n’affichant pas la réserve des Chinois au niveau de l’interprétation, elle a fini à 32 centièmes de points derrière la double championne du monde Medvedeva au programme libre, ce qui lui a permis de devancer la Russe. Ce fut une surprise de taille parce que si on avait eu à parier sur une Japonaise avant la compétition, c’est plutôt Wakaba Higuchi, qui a fini septième, qui aurait remporté la mise. L’or est allé à Elizaveta Tuktamysheva, la seule à présenter le triple axel chez les femmes et c’est le triple axel réussi du programme court qui lui aura donné la victoire, celui du programme libre s’étant terminé sur une chute. Les 14 points d’avance du court furent suffisants pour la maintenir en tête, mais elle a dû sentir le souffle de Yamashita dans son cou!

Un mot sur la jeune Québécoise Alicia Pinault qui a bénéficié du double forfait de Gabrielle Daleman et de Larkyn Osmond pour participer à son premier grand prix. Une expérience inoubliable pour elle et précieuse dans le cheminement de sa carrière. Bien accueillie par le public, elle a su surmonter sa nervosité initiale pour présenter des programmes qui, s’ils sont perfectibles, nous ont permis de découvrir le talent de la jeune athlète qui aura certainement beaucoup appris à patiner au cœur d’un peloton si talentueux.

Ces Internationaux de patinage Canada auront apporté tout ce qu’on attend du patinage artistique : des exploits, de l’émotion, du brio, du suspense, du rire et des larmes. On peut certes dire que la saison est bien lancée!