Pourquoi ce doute? Pourquoi toujours ce fichu doute qui me trotte dans la tête lorsque je tombe sur une histoire comme celle-là?

Il y a quelques jours (1er avril), la Kényanne Joyciline Jepkosgei a battu le record du monde féminin du demi-marathon à Prague, en République tchèque. J’ai initialement cru à un poisson d’avril, mais après avoir vérifié, je me suis convaincu de la véracité de cette nouvelle. Son chrono de 1h04:52 améliorait l’ancienne marque de 14 secondes. Elle devenait la première femme de l’histoire à courir sous les 1 h 05.

Au passage, la jeune femme de 23 ans a également battu rien de moins que trois autres records de vitesse. Ainsi, elle est passée au dixième kilomètre en 30:05. Elle fracassait alors le vieux record établi le 23 février 2003 par la Britannique Paula Radcliffe (30:21) lors du World’s Best 10k à Porto Rico. Le record au 10 km de Jepkosgei est encore plus impressionnant puisque, contrairement à Radcliffe, il fut réalisé lors d’une course deux fois plus longue. Je n’ose imaginer ce qu’aurait été le temps de la Kényane sur une distance unique de 10 km. Probablement en moins de 30 minutes.

Jepkosgei a ensuite réécrit le livre des records du 15 kilomètres avec un passage chronométré à 45:37. Ce n’est rien de moins que 38 secondes de mieux que l’ancienne marque réalisée il y a deux ans par sa compatriote kényane Florence Kiplagat.

Puis, en route vers son record du demi-marathon, elle est passée en coup de vent au vingtième kilomètre en 1h01:25. Encore une fois, elle battait de façon significative le temps établi sur 20 kilomètres en février dernier par une autre Kényane, Peres Jepchirchir, lors d’un demi-marathon à Dubai, aux Émirats arabes unis. Jepchirchir y avait alors enregistré le record du monde au 21,1 kilomètres, record qu’a donc amélioré Jepkosgei quelques semaines plus tard.

Après avoir franchi le fil d’arrivée de la course à Prague, la nouvelle détentrice du meilleur chrono mondial a paru surprise. Elle semblait avoir peine à réaliser qu’elle venait de courir aussi rapidement et maintenu un rythme impressionnant de 3:04 du kilomètre (19,52 km/h). 

Elle n’était pas la seule à être aussi surprise. Je l’étais également!

Je dois être honnête et avouer que Jepkosgei n’est pas une inconnue de la course de fond.  Mais elle est une nouvelle venue sur la scène mondiale, elle qui connaît une amélioration foudroyante de ses performances. Peut-être trop…

La jeune coureuse est devenue une professionnelle de la course il y a seulement un an. Selon la Fédération internationale d’athlétisme, sa meilleure performance au préalable au demi-marathon était de 1h09:07. En 11 mois à peine, elle sera donc parvenue à rogner 4 minutes et 15 secondes à son chrono. C’est énorme! Une progression qui soulève, dans mon esprit, de sérieux doutes.

Ajoutez à cela qu’elle est kényane et vous commencerez à comprendre l’origine de ce doute qui me turlupine chaque fois que je vois un athlète de ce pays courir aussi vite.

Le Kenya, rappelons-le, a été maintes fois visé par l’Agence mondiale antidopage (AMA) au cours des deux dernières années.  Il y a moins d’un an, le 12 mai 2016, les membres de l’AMA ont tenu une réunion à Montréal et assené un avertissement sérieux à ce pays d’Afrique réputé pour ses coureurs de demi-fond et de fond. L’AMA lui reprochait de ne toujours pas être en conformité avec les règles de lutte contre le dopage. 

Très peu de choses ont changé depuis et le Kenya est encore soupçonné d’abriter plusieurs cas de dopage et de corruption. Le directeur général de la Fédération kényane d’athlétisme, Isaac Mwangi,  a d’ailleurs été suspendu de ses fonctions. On a beaucoup parlé de l’exclusion des athlètes russes lors des Jeux olympiques de Rio, mais ceux du Kenya sont passés très près de ne pas y être également tout comme aux Mondiaux d’athlétisme.

Jemima Jelagat SumgongIl y a quelques jours à peine (6 avril), la championne olympique du marathon des Jeux olympiques de Rio, la Kényane Jemima Sumgong, a été contrôlée positive à l’EPO. Elle avait également remporté le marathon de Londres en 2016. Elle encourt donc une longue suspension. Tout cela survient alors que sa compatriote et partenaire d’entraînement, Rita Jeptoo, purge une suspension de quatre ans pour une infraction du même ordre. Sumgong sera fort probablement destituée de ses médailles. 

En vertu de sa victoire et de son record du monde à Prague, Joyciline Jepkosgei a reçu un chèque de plus de 75 000 dollars américains. La deuxième position est allée à Violah Jepchumba (1h05:22) alors que Fancy Chemutai (1h06:58) a terminé au troisième rang. Un podium entièrement kényan. Voilà encore ce doute qui m’assaille.

Remarquez, je suis loin d’être le seul. La lecture du résumé de cette course historique dans la plupart des grands journaux de la planète laisse entrevoir un certain scepticisme de la part des chroniqueurs spécialisés en athlétisme. Tous, ou à peu près, font état de la très récente carrière de coureuse de Jepkosgei. Elle a certes un talent naturel indéniable, mais de là à battre aussi rapidement ce record prestigieux, il y a une marge. Et il est impossible de ne pas faire un rapprochement avec le dopage systématique et étatique qui règne au Kenya.

Je serai tout de même bon joueur. Je me dois de féliciter Joyciline puisqu’à moins d’une preuve contraire, elle est une coureuse au parcours sans faute. Il serait donc injuste de ma part de l’accuser d’une quelconque tricherie.

N’empêche, je continue de douter.