Savez-vous ce qu’est un marathon? Vous avez peut-être l’impression que oui, mais à lire vos commentaires ou vos questions je crois que c’est non pour plusieurs. Après le récent marathon d’Ottawa, je ne vous dis pas le nombre de personnes qui m’ont dit avoir participé au marathon alors qu’en fait ils s’alignaient plutôt sur le demi-marathon, le dix kilomètres ou même le cinq kilomètres. Je ne veux en rien diminuer leur exploit, mais seule la course de 42,195 kilomètre peut officiellement être appelée un marathon. Pourquoi cette distance un peu bizarre? Allons-y d’un brin d’histoire.



C’est avec l’Athénien Philippidès que s’amorce notre périple. En 490 avant Jésus-Christ, il est chargé, en tant que messager, d’annoncer la victoire des Grecs sur les Perses dans la plaine de Marathon. Il aurait couru de Marathon à Athènes pour y proclamer sa célèbre phrase « Nous avons gagné! », avant de s’effondrer mort d’épuisement. Pour plusieurs, il s’agirait toutefois d’une légende puisque l’existence même de Philippidès reste contestée.



Lors de la naissance des jeux Olympiques modernes, en 1896 à Athènes, les organisateurs inscrivent au programme une course s’inspirant de l’histoire ancienne de Philippidès. On fixe l’épreuve à 40 kilomètres en estimant que c’est la distance qu’il avait dû courir pour annoncer la bonne nouvelle. La victoire est allée au Grec de 23 ans Spyridon Louis qui eut ainsi le meilleur sur les 16 autres athlètes inscrits à ce premier marathon historique. Son chrono: 2h58:50. Pendant la course, il prit le temps de boire de l’eau, du lait, du vin, de la bière, des œufs et du jus d’orange! L’hydratation des coureurs a bien évoluée depuis.

L’année suivante, des américains ayant eu vent de cette course olympique de 40 kilomètres décident d’en organiser une chez eux. Cela se fera à Boston. Cet historique marathon de Boston, remporté par John McDermott en 2h55:10 (39,4 km) est aujourd’hui le plus prestigieux du monde. On a célébré sa 118ème édition en avril dernier.



Il faut attendre les Jeux Olympiques de Londres, en 1908, pour voir la distance du marathon être fixée à 42,195 kilomètres. L’anecdote est intéressante puisqu’on doit cette distance particulière à la famille royale britannique. Le roi Édouard VII et la reine Alexandra souhaitaient que la course débute devant la terrasse de leur résidence officielle, le château de Windsor, et se termine à leur loge dans le stade olympique, à White City. Les deux monarques purent ainsi voir le meneur, l’Italien Dorando Pietri, s’effondrer à quelques mètres du fil d’arrivée et recevoir l’aide de deux officiels pour franchir les derniers mètres de l’épreuve. Même si leur geste était louable et plein de bonnes intentions, cela eut pour conséquence d’entraîner la disqualification de Pietri puisqu’il avait reçu une «aide étrangère». La victoire alla donc à l’Américain Johnny Hayes. Pietri, vainqueur moral de la course, appris la mauvaise nouvelle sur son lit d’hôpital où il resta de longues heures entre la vie et la mort.

Le créateur des Jeux Olympiques de l’ère moderne, le baron Pierre De Coubertin, avait interdit aux femmes l’inscription au marathon puisqu’il prétendait que cela entraînait, entre autres, l’infertilité! Il faudra attendre les Jeux de Los Angeles, en 1984, pour assister à la première épreuve de marathon olympique féminin. Toutefois, en octobre 1926, on retrouve le premier chrono officiel d’une femme sur la distance d’un marathon. C’est celui de l’Anglaise Violet Percy qui termine la course organisée à Londres en 3h40:22.



En 1953, le Britannique Jim Peters devient le premier homme à compléter un marathon en moins de 2h20. L’exploit est souvent comparé à la course de Roger Bannister en 1954 qui fut le premier à courir un mille en moins de quatre minutes. Peters arrêta le chrono à 2h18:40 à Londres en 1953. Déjà, à cette époque, des experts en athlétisme prédisent qu’un jour le marathon sera couru en moins de deux heures! Soixante ans plus tard, personne n’y est encore parvenu.



Les Jeux Olympiques de Rome, en 1960, représente un moment important dans l’histoire du marathon. Lors de cette olympiade, l’Éthiopien Abebe Bikila remporte l’épreuve en courant pieds nus. Il s’était toujours entraîné à courir sans chaussures et avait développé une épaisse corne. Il inscrit au passage un record du monde (2h15:16). La victoire de Bikila, qui en fera un véritable héros national, laisse alors présager la domination des coureurs de l’Afrique de l’Est dans les années à venir. Bikila répétera son exploit aux Jeux Olympiques suivants, à Tokyo, cette fois en portant des chaussures de marque ASICS. Il devient ainsi le premier athlète à remporter le marathon olympique deux fois de suite.

Le 19 septembre 1971, l’Américaine Elizabeth Bonner y va d’un grand coup d’éclat en devenant la première femme à fracasser la barrière des trois heures. Elle termine le marathon de New York en 2h55:22. Elle n’était âgée que de 19 ans. Le record féminin sera maintes fois amélioré. Il appartient actuellement à la Britannique Paula Radcliffe (2h15:25).



Le marathon de Montréal fut créé en 1979. Le 25 août, près de 9000 coureurs prennent part à la première édition. La course à pied profite alors de l’engouement énorme suscité par la présentation des Jeux Olympiques de Montréal en 1976. Mais cet engouement diminue si bien que la métropole québécoise voit son marathon disparaitre en 1990. Heureusement, l’événement renaitra de ses cendres en 2004 grâce à une nouvelle organisation et on y incorporera de nombreux volets participatifs et des distances plus courtes pour attirer un grand nombre de coureurs.

Le record actuel du marathon appartient au Kenyan Wilson Kipsang (2h03:23). Son compatriote, Geoffrey Mutai, a été plus rapide à Boston en 2011 (2h03:02) mais sa performance ne fut pas homologuée en raison de ce parcours avantageux pour les coureurs. Sommes-nous à l’aube de voir un premier athlète courir en moins de deux heures? Peut-être.



Je me dois de glisser quelques lignes sur la Québécoise Jacqueline Gareau, une des meilleures marathoniennes de l’histoire canadienne. Une femme merveilleuse avec qui j’ai eu l’occasion de travailler lors de la description du plus récent marathon de Boston. Elle est étroitement liée à l’histoire de l’épreuve bostonienne puisqu’en 1980, elle s’était fait voler les honneurs et la gloire de franchir la première le fil d’arrivée même si elle avait été la plus rapide. L’Américaine d’origine cubaine Rosie Ruiz avait triché pour la devancer. Elle fut disqualifiée après une rapide enquête si bien que les responsables du marathon demandèrent à Gareau de revenir à Boston pour qu’elle puisse franchir le fil d’arrivée avec tous les honneurs devant un chrono arrêté sur son temps officiel de 2h34, un record à l’époque. Près de 3000 personnes se réunirent pour applaudir la Québécoise. Jacqueline m’a confié qu’elle avait déjà eu l’occasion de revoir Ruiz il y a quelques années et que cette dernière refusait encore de reconnaitre qu’elle avait triché.

Les marathons et les marathoniens ont bien changé depuis la toute première course tenue en Grèce en 1896 et remportée par Spyridon Louis. Ce sont maintenant des histoires de gros sous pour les athlètes élites et certaines organisations. Mais pour la très grande majorité des coureurs, le marathon demeure le plus grand fantasme de course à pied possible. Difficile de trouver un acte de dépassement plus grand.

Alors voilà. Si vous croisez à nouveau quelqu’un qui affirme être un marathonien, demandez-lui en combien de temps il boucle sa course. S’il vous répond que c’est en 50 minutes, présumez qu’il est plutôt un coureur de 10 kilomètres. Gardez en tête que le marathon ne s’applique qu’à la distance de 42,195 kilomètres.

Vous savez maintenant pourquoi!