Le Canada a connu une bonne récolte de médailles lors des Jeux panaméricains présentés à Toronto. En athlétisme, nos représentants nous ont choyé avec pas moins de 26 médailles, soit la meilleure performance de l'histoire du Canada lors de cette compétition.

Ce fut l'occasion pour plusieurs de découvrir un jeune sprinter canadien charismatique et au potentiel immense, Andre De Grasse. Pratiquement inconnu du vaste public il y a à peine quelques semaines, il a frappé fort en remportant deux médailles d'or aux 100 et 200 mètres. Il en avait ajouté une troisième au relais 4 x 100 mètres avant de voir l'équipe canadienne être disqualifiée puisqu'un pied du premier coureur, Gavin Smellie, avait empiété sur la ligne du corridor.

Il n'y a pas très longtemps, j'ai rédigé une chronique dans laquelle je vous faisais part des sprinters à suivre sur la scène internationale à l'approche des Championnats du monde d'athlétisme de Pékin, du 22 au 30 août. Ces mêmes coureurs allaient, selon moi, se livrer une belle bataille aux Jeux olympiques de Rio l'année prochaine.

J'avais bien sûr placé Usain Bolt tout au haut de ma liste de prétendant aux honneurs en prenant bien soin de préciser qu'il allait devoir sérieusement surveiller des gars comme son compatriote Asafa Powell ou l'Américain Justin Gatlin. Avec ses récentes performances, on doit réalistement se rendre à l'évidence et ajouter le nom du Canadien Andre De Grasse à cette courte liste.

Une vocation tardive

De Grasse est venu tard à l'athlétisme, mais son arrivée fait beaucoup de bruit. C'est un phénomène. Contrairement à Bolt, il a une charpente beaucoup plus frêle (1,75m pour 67 kilos). En 2012, à l'âge de 17 ans, il s'inscrit à une compétition amicale d'athlétisme puisque des amis lui avaient fait remarquer qu'il était vraiment très rapide. Il réussit à emprunter une paire de chaussures à pointes et se présente au départ du 100 mètres avec ses vêtement de basketball. Son rêve est alors de jouer dans la NBA. Puisqu'il n'a jamais utilisé de blocs de départ, il se tient debout. Cela ne l'empêchera pas de terminer deuxième de cette premier course en 10,90. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le potentiel est là!

Parmi les spectateurs se trouve Tony Sharpe, un ancien olympien (bronze au relais 4 x 100 mètres en 1984 à Los Angeles) devenu entraîneur au niveau junior. Il est là pour surveiller ses athlètes, mais c'est plutôt De Grasse qu'il remarque. Il s'empresse de saluer celui qu'il qualifie encore aujourd'hui du coureur le plus doué qu'il ait rencontré. Il lui offre de l'entraîner. Sa première leçon portera sur l'utilisation des blocs de départs.

Andre De GrasseQuelques semaines plus tard, Sharpe inscrit De Grasse à un 100 mètres de la National Track League au stade Varsity de Toronto. Les organisateurs acceptent de faire une faveur à l'ancien médaillé olympique en trouvant une place à son jeune poulin inconnu. Il sera dans le mal-aimé couloir numéro huit.

Cela importe peu à De Grasse qui gagne la course en 10,59. Il vient de frapper un grand coup et de se faire un nom. C'est le début de sa carrière de sprinter.

Depuis, les succès s'enchaînent à un rythme démentiel. Avant ses triomphes aux Jeux panaméricains, il devient le troisième Canadien de l'histoire, après Donovan Bailey et Bruny Surin, à descendre sous les 10 secondes au 100 mètres (9,97). Il réalise l'exploit lors de la course de la conférence Pac-12 à Los Angeles, en mai dernier. Son entraîneur affirme que ce n'est qu'une question de temps avant qu'il ne batte leur record canadien (9.84). En attendant, De Grasse s'empare seul du record canadien sur 200 mètres avec un chrono de 20,03 lors de cette même compétition californienne.

Il entre dans l'histoire de l'athlétisme canadien les 13 et 14 juin 2015 en marquant les esprits avec des chronos extraordinaires. À la réunion d'Eugene, en Oregon, il remporte le 100 mètres en 9,75 et le 200 mètres en 19,58. Le vent trop fort (2,7 m/s) empêche l'homologation de ces temps, mais personne n'est dupe. Le 9,75 vaut 9,88 par vent nul. Les médias du monde entier relaient la nouvelle.

Un talent à confirmer

La suite des choses s'annonce interessante pour De Grasse. Il a déjà démontré qu'il était capable de performer sous la pression. À Toronto, devant la foule canadienne, il a su demeurer concentré malgré toute l'attention dont il faisait l'objet. Mais soyons honnête, il n'a pas encore pris un départ aux côtés des grosses pointures mondiales.

Les Mondiaux de Pékin seront l'occasion pour le jeune homme de prouver son talent au reste de la planète. Le sprint est une des disciplines les plus appréciées du public et ce n'est pas un hasard si ses vedettes sont adulées et gagnent une petite fortune en commandites diverses. De Grasse est déjà présenté comme une des attractions de ce championnat.

Il est cependant utopique de croire qu'il pourrait devancer des gars comme Bolt ou Gatlin au 100 mètres. D'ailleurs la foudre jamaïcaine a calmé les ardeurs de tous ceux qui le croyaient vulnérable lors de la récente réunion de Londres avec un 9,87 victorieux. Pour sa part, Gatlin détient les quatre chronos les plus rapides sur cette distance en 2015. Malgré tout son talent, De Grasse, du haut de ses trois années de sprint, peut difficilement envisager rivaliser avec ces deux ténors.

Il doit plutôt chercher à apprendre. Profiter de cette première grande scène internationale pour faire le plein d'expérience et de motivation. Même chose l'année prochaine aux Jeux olympiques de Rio. Il a du talent et n'est pas un feu de paille. À lui de ne pas brûler les étapes. C'est sur les Jeux olympiques de Tokyo, en 2020, qu'il doit se concentrer.

Il n'est pas rare de voir un coureur connaître une brillante carrière universitaire et entamer son parcours professionnel plein d'espoir.

Malheureusement, dans bien des cas, le chemin est plus difficile que prévu et les écueils nombreux. Heureusement, tout porte à croire que ce ne sera pas le cas avec Andre De Grasse. Le Canada vient enfin de trouver un successeur à Donovan Bailey et Bruny Surin.