La question mérite d'être posée? Où est passée la vitesse? Ou plutôt, où sont passés les coureurs rapides et de légendes aux 10 000 et 5 000 mètres? Le record du monde du marathon n’a cessé de chuter et d’être battu au cours des années récentes. Tout particulièrement chez les hommes. À l’opposé, les meilleurs chronos sur les distances de 5 000 et 10 000 mètres n’ont pas bougé d’un iota depuis une dizaine d’années.

Pourquoi cela? Qu’est-ce qui explique qu’on semble courir de plus en plus vite au marathon, mais pas sur les distances plus courtes?

La réponse se trouve peut-être dans un article diffusé en ligne vers la fin de l’année 2014 par la revue scientifique Public Library of Science (PLoS One) et dont je viens à peine de terminer l’intéressante lecture. Des revues spécialisées de course à pied réputées ont repris de larges pans des conclusions de cet article. Je vous en dresse à mon tour les grandes lignes.

D’abord quelques chiffres pour démontrer la disparité qui existe dans l’évolution des records des différentes disciplines en question. Le record du monde actuel sur 10 000 mètres appartient à l’Éthiopien Kenenisa Bekele (26:17.53) et fut établi à Bruxelles, en Belgique, en août 2005. Depuis, aucun coureur n’a réussi à s’approcher de sa marque ou même d’un des dix meilleurs temps de l’histoire sur la distance.

La situation est presque similaire à l'épreuve de 5 000 mètres puisque neuf des dix meilleurs chronos de l’histoire furent enregistrés avant 2005. Seul l’Éthiopien Dejen Gebrmeskel a réussi à s’approcher du record mondial de 2004 appartenant également à Bekele (12:37.35) grâce à sa superbe victoire de juillet 2012 à Paris en 12:46.81.

Pendant ce temps au marathon masculin, les derniers mois nous ont permis d’assister à une succession de nouveaux records. En effet, neuf des dix marathons les plus rapides de l’histoire ont été courus depuis octobre 2011. La plus ancienne performance à avoir été enregistrée et apparaissant toujours dans le top 10 est celui de l’Éthiopien Haile Gebrsellassie en septembre 2008. Son chrono (2 h 03:59) lui permettait alors de devenir le premier homme à terminer une course de 42,2 kilomètres sur un parcours reconnu en moins de deux heures et quatre minutes. Plusieurs, moi le premier, croyaient que ce record tiendrait pendant de longues années. Ce ne fut pas le cas et au rythme où vont les choses, il n’est peut-être pas si loin le jour où un coureur franchira la barre mythique des moins de deux heures, un exploit qu’on ne pouvait même pas envisager dans un passé proche.

L’article paru dans PLOS ONE explique que la stagnation des chronos aux 5 000 et 10 000 mètres ne résulte pas de meilleurs tests antidopage ou d’une surveillance accrue du passeport biologique des athlètes. Si c’était le cas, les performances en marathon auraient, elles également, peu évolué puisque les coureurs élites qui s’y spécialisent se seraient fait épingler régulièrement. Il y a bien sûr quelques grands noms qui se sont fait prendre (Rita Jeptoo est la plus récente), mais il s’agit d’exceptions plutôt que d’une règle.

Les auteurs de l’article imputent en partie l’absence de nouveaux records sur piste à la diminution importante d’épreuves. Il n’y a plus que quelques rares occasions dans une année de courir lors d’une compétition internationale aux 5 000 et 10 000 mètres. C’est la raison pour laquelle les membres du Comité international olympique songent sérieusement à retirer le 10 000 mètres des Jeux olympiques après 2016.

L’explication la plus intéressante est sans doute celle du « lièvre » lors des marathons. On donne ce nom aux coureurs qui ont comme mandat de dicter le rythme pour les vingt ou trente premiers kilomètres de la course. Il s’agit d’un élément essentiel à la réalisation d’un bon chrono pour les spécialistes de la discipline. À preuve, depuis une dizaine d’années, la direction de la plupart des grands marathons tente d’attirer les meilleurs marathoniens au monde en leur garantissant que des lièvres de renoms seront là pour les aider. C’est encore plus vrai sur des parcours comme ceux de Berlin, plats et rapides, où des records sont susceptibles d’être enregistrés. Ce n’est pas un hasard si les six derniers records du marathon ont tous été accomplis dans la capitale allemande.

L’argent serait également en cause. Les bourses remises aux gagnants d’un marathon sont nettement plus intéressantes que celles pour des courses de demi-fond comme les 5 000 et 10 000 mètres. Les meilleurs marathoniens de la planète peuvent toucher plusieurs centaines de milliers de dollars en gains lors d’une même année. Certains deviennent millionnaires! Les dix compétitions de course à pied offrant les bourses les plus élevées de la planète sont toutes des marathons.

L’argent nous permet également d’assister à un autre phénomène, celui des jeunes coureurs qui décident de se concentrer dès le départ sur le marathon plutôt que de franchir graduellement les étapes. Le détenteur actuel du record du monde, le Kényan Dennis Kimeto (2 h 02:57), n’a pratiquement jamais couru sur piste. Il a préféré débuter sa carrière sur de longues distances comme le 25 kilomètres.

De tous les articles traitant de l’étude publiée sur PLoS One, c’est la conclusion du magazine Runner’s Wolrd qui mérite d’être citée. Selon la revue spécialisée américaine de course à pied, la tendance se poursuivra probablement au cours des prochaines années puisqu’il y a plusieurs coureurs capables d’améliorer le record du monde du marathon alors qu'aucun ne semble pouvoir menacer les marques de Bekele aux 5 000 et 10 000 mètres.

Il est donc juste d'affirmer qu'il est encore loin le jour où nous pourrons applaudir des coureurs menaçant ces chronos vieux d'une décennie. Nous risquons cependant d'entendre parler dès cette année de Bekele lui-même puisqu'il a annoncé qu'il s'attaquait au record du monde du marathon. Il réaliserait ainsi un rare tour du chapeau en athlétisme, celui de détenir simultanément les meilleures performances de l'histoire sur trois distances mythiques.