Si vous jetez un coup d’œil aux résultats de tous les marathons les plus importants et prestigieux de la planète, une chose vous sautera aux yeux. Il y a souvent des Kényans sur le podium!

 

Prenons par exemple le marathon de Boston. Depuis 1988, il a été remporté à 21 reprises par des Kényans. Six autres victoires sont allées à des Éthiopiens, le pays voisin. Chez les femmes, ce sont 12 Kényanes qui ont terminé en première place depuis 2000. Au marathon de Londres, 13 coureurs kényans ont gagné l’épreuve depuis 2004 et sept Kényanes depuis 2011. Un taux de réussite exceptionnel. Et il en est ainsi dans toutes les compétitions de premier plan.

 

Les coureurs kényans nous ont tellement habitués à la victoire qu’on est rarement surpris lorsqu’on annonce la nationalité d’un gagnant. Pourquoi croyez-vous que le plus récent marathon de Boston a autant retenu l’attention? C’est parce qu’un Japonais et une Américaine ont profité de conditions climatiques épouvantables pour remporter l’épreuve de 42,2 kilomètres. 

 

Comment un pays africain d’un peu plus de 40 millions d’habitants peut-il dominer de la sorte la scène internationale des courses de longue haleine? Ajoutons à cela que près de 75% des champions kényans proviennent tous d’une minorité ethnique d’à peine quatre millions et demi de personnes établies dans le district de Nandi dans l’ouest de la Vallée du Rift. C’est donc une minuscule fraction de la population mondiale de coureurs qui accapare les podiums. Absolument fascinant! Il est impossible que le simple hasard soit en cause.

 

À la recherche du Saint Graal

 

Plusieurs théories existent. D’abord celle économique voulant que les jeunes kényans courent quotidiennement dès leur plus jeune âge pour aller et revenir de l’école. L’argent est rare et le transport scolaire est une utopie. Ces jeunes développeraient ainsi leur endurance et une bonne capacité cardiorespiratoire. C’est peut-être vrai, mais ils ne sont pas les seuls dans le monde à faire cela. Pourquoi alors les jeunes coureurs provenant de milieux défavorisés ailleurs sur la planète n’obtiennent-ils pas les mêmes gains?

 

On avance également que les Kényans commencent tôt à courir dans l’espoir d’une vie meilleure. Une magnifique motivation! Ils regardent et admirent les succès des champions de leurs pays de même que toutes les bourses qu’ils gagnent. Les meilleurs d’entre eux sont millionnaires. Encore là, cet argument ne tient pas la route car de jeunes coureurs d’autres nations travaillent aussi fort à l’entraînement pour atteindre la gloire et la fortune de leurs idoles.

 

L’altitude! Cette idée revient souvent pour expliquer les succès des coureurs de la Vallée du Rift située à plus de 2 000 mètres d’altitude. Cette altitude élevée augmente la production de globules rouges puisqu’il y a moins d’oxygène de disponible dans l’air. Lors d’une compétition en basse altitude, la quantité d’oxygène transportée vers les muscles est donc plus importante et la performance s’en voit favorisée. Si c’est vrai, pourquoi les habitants du Colorado, du Népal, des Andes ou des hautes montagnes d’Europe ne sont pas tous des coureurs dominants eux également?

 

Les Kényans n’étant pas riches, ils courent pour la plupart pieds nus. Ils développeraient ainsi une meilleure technique de course, de bonnes foulées et une bonne attaque du pied. Mais des millions d‘enfants dans le monde courent sans chaussures et ne deviennent pas des champions de course à pied à l’âge adulte.

 

Vivian CheruiyotÀ l’entraînement, les Kényans suivraient rigoureusement une diète favorisant la performance. Écartons tout de suite cette hypothèse du revers de la main puisque tous les coureurs sérieux dans le monde s’imposent également une diète alimentaire savamment calculée pour permettre à leur corps de se surpasser.

 

Enfin, la théorie la plus répandue veut que ce soit à cause de leurs gènes que les Kényans soient aussi inépuisables. Beaucoup d’études ont été réalisées à ce sujet. Des milliers d’années à courir en altitude auraient fait en sorte que les habitants de cette région de l’Afrique ont développé une endurance et une technique de déplacement supérieures à la moyenne. Darwin dirait que c’est un peu ça sa théorie de l’évolution! Encore ici, rien n’a été prouvé.

 

Alors quoi? Qu’est-ce qui explique que les coureurs élites kényans soient en moyenne une ou deux minutes plus rapides que les autres athlètes de la planète au marathon? Pourquoi peuvent-ils garder le rythme au 30e kilomètre alors que la fatigue s’installe chez leurs adversaires? Plusieurs scientifiques se sont penchés sur le dossier, toujours avec peu de succès. Leur quête est le Saint Graal de la course à pied. Si, comme je viens de l’expliquer, il n’existe aucune conclusion unanimement acceptée, il est tout de même possible de croire qu’il s’agit probablement d’une combinaison de tous les facteurs énumérés précédemment.

 

À cela, il faut ajouter cette piste de solution qui émane du lot depuis quelques années à peine : l’indice de masse corporelle des coureurs kényans. Ce serait la meilleure explication. Lorsque vous regardez un jeune coureur de ce pays africain ayant un très faible indice de masse corporelle, vous ne pouvez faire autrement que remarquer son extrême maigreur. Mais ce poids très léger combiné à un VO2max acquis grâce à des gênes développées en haute altitude transforme ce juvénile en machine de course!

 

En vieillissant et grandissant, les meilleurs d’entre eux ajoutent à peine de la masse musculaire au niveau des jambes tout en continuant d’améliorer leur résistance à l’effort. Regardez les champions kényans au marathon. Ce sont des poids coqs. Eliud Kipchoge, qui est le meilleur marathonien de la planète, pèse à peine 57 kg (125 livres) pour une taille de 1,67 m (5 pieds et 4 pouces).

 

Les meilleurs entraîneurs d’athlétisme rêvent au jour où la recette kényane sera connue. Si elle pouvait en partie être reproduite et dupliquée aux athlètes du reste du monde, nous assisterions alors à une distribution géographie plus équilibrée des victoires sur l’échiquier du marathon. Entretemps, dans l’attente de réponses concluantes expliquant le succès de ces coureurs, continuons d’admirer leur capacité à devancer les autres dans des courses de fond. C’est tout un spectacle.