MONTRÉAL - Natation artistique Canada (NAC) ne pourra plus faire l'autruche. Quelques mois après avoir balayé sous le tapis des plaintes de harcèlement et d'abus psychologiques, l'organisme est dénoncé par cinq anciennes membres de l'équipe nationale senior qui réclament réparation pour les torts subis.

Les cinq demanderesses au dossier, les Québécoises Chloé Isaac et Gabrielle Boisvert, les Ontariennes Erin Wilson et Sion Ormond ainsi que l'Albertaine Gabriella Brisson, membres de l'équipe nationale entre 2007 et 2020, ont déposé une demande d'action collective contre NAC pour abus psychologique, harcèlement et négligence.

Aucune des allégations n'a été prouvée devant les tribunaux.

Elles ont reçu un appui de poids dans leur démarche puisque la championne olympique Sylvie Fréchette a pris la parole pour dénoncer une situation qui dure depuis trop longtemps dans la discipline.

« J'ai décidé de le faire parce que assez, c'est assez, a lancé Fréchette en visioconférence en présence des cinq requérantes. Après les témoignages que j'ai entendus et lus ces dernières semaines, j'ai été habitée de beaucoup de colère, de rage et, ai-je besoin de dire, que je n'ai eu aucune surprise.

« J'ai réalisé avec beaucoup d'émotions que ce que j'ai lu, c'est un peu mon histoire à moi aussi. Pas tout, mais un peu trop. Ça m'a fait réaliser que plus les temps changent, plus c'est pareil. Je suis tellement désolée de ne pas avoir réagi plus tôt. »

Car cette culture dénoncée dans la demande d'action collective est profondément enracinée en nage artistique et entretenue par une culture du silence malsaine.

Dans ce recours déposé à la Cour supérieure du Québec, les cinq requérantes déplorent un environnement toxique sous la gouverne de quatre entraîneurs-chefs, Julie Sauvé (2009-2012), Meng Chen (2012-2017), Leslie Sproule (2017-2018) et Gabor Szauder, en poste depuis 2018.

Il y est question d'abus psychologiques notamment pour maintenir un poids irréaliste, de négligence et de harcèlement sexuel et racial. Les témoignages des cinq requérantes font dresser les cheveux.

« La natation artistique encourage des standards de beauté irréalistes et malsains, a relaté Isaac, membre de l'équipe nationale de 2008 à 2014. On nous demande d'écraser notre identité, notre authenticité au profit de l'équipe afin qu'on nage toutes à l'unisson.

« J'ai vécu beaucoup de pression au sujet du poids idéal. J'ai vécu des troubles alimentaires, l'anorexie et la boulimie. Comme je n'étais plus capable de supporter toute cette pression, on m'a prescrit des antidépresseurs dans l'espoir d'alléger mon anxiété. »

Isaac, qui a pris sa retraite en 2014, dit avoir alerté ses collègues et l'équipe technique il y a huit ans, mais sans grand résultat.

Erin Wilson a vécu les mêmes affres lors de son séjour avec l'équipe de 2007 à 2013.

« On devait signer des ententes afin de respecter une limite de poids. Des conséquences sérieuses étaient prévues si nous étions à plus de 3 % de la cible. »

Gabrielle Boisvert a témoigné pour sa part de l'intransigeance des entraîneurs face aux blessures et à la douleur.

« Ils te font te remettre constamment en doute à propos de tes propres blessures, tes propres signaux de douleurs. Tes entraîneurs n'y croient pas. Personnellement, j'ai mis un point final à ma carrière à cause d'une commotion cérébrale. Et c'est plus fréquent qu'on le croit dans notre sport. »

Son entraîneur lui avait alors donné cinq jours pour se rétablir à 100 pour cent, sans quoi elle risquait de perdre son poste.

L'une des avocates au dossier, Me Cara Cameron, soutient que NAC a été informée de plusieurs façons au fil des 10 dernières années des problèmes vécus par les athlètes, que ce soit de façon verbale, par des lettres des athlètes elles-mêmes ou de leurs parents.

« Les réponses étaient, disons, inadéquates », a-t-elle précisé.

La cheffe de la direction de NAC, Jackie Buckingham, a pris acte des souffrances affectives et physiques vécues par les cinq ex-athlètes et a salué leur courage de les avoir exprimées publiquement.

« Nous avons entendu ce qu'elles ont dit et notre travail pour nous assurer que les athlètes auront toujours un environnement d'entraînement sécuritaire à l'avenir est bien engagé », a-t-elle écrit dans un communiqué transmis en après-midi.

Elle a rappelé que la direction de l'organisme a entrepris un examen complet des structures de l'équipe nationale lorsque des athlètes ont formulé des plaintes à la fin du mois de septembre.

« Nous avons pris un certain nombre de mesures immédiates à l'appui des recommandations incluses dans ce rapport, notamment la formation sur les questions de diversité et d'inclusion, de violence psychologique et de santé mentale pour le personnel et les entraîneurs. »

Une enquête indépendante a également été menée afin d'examiner les allégations spécifiques. Si NAC disait vouloir faire table rase afin d'améliorer l'environnement d'entraînement à l'issue de ce processus, l'entraîneur-chef Gabor Szauder, qui a fait l'objet d'allégations, est toutefois demeuré en poste.

« La santé et le bien-être des athlètes sont la priorité absolue de NAC, a conclu Mme Buckingham. Nous nous engageons à continuer de travailler avec diligence dans ce domaine pour montrer à nos athlètes que nous pouvons faire mieux. »