Il y a eu les Ken Griffey fils, Andruw Jones et Adrian Beltre, mais les joueurs qui pouvaient se tailler une place dans le baseball majeur dès l’âge de 19 ans étaient rares. Très, très rares.

Cette saison seulement, Ozzie Albies, Ronald Acuna et Juan Soto occupent un rôle prépondérant dans les succès de leur formation respective. Albies est le plus vieux à 21 ans. Le joueur d’arrêt-court des Dodgers Corey Seager était considéré pour le titre du joueur le plus utile à son équipe dans la Ligue Nationale à l’âge de 22 ans. Roberto Osuna était le releveur numéro un des Jays à l’âge de 20 ans. Bryce Harper a trotté 22 fois autour des sentiers à 19 ans et Mike Trout était deuxième au scrutin du joueur le plus utile dans la Ligue américaine à 20 ans.

Pour Alex Agostino, dépisteur des Phillies de Philadelphie, et Jasmin Roy, recruteur chez les Blue Jays, ce n’est pas un hasard. Les équipes optimisent le développement de leurs meilleurs espoirs pour qu’ils soient prêts à graduer le plus rapidement possible dans le baseball majeur. Cette réalité n’engendre pas que des points positifs.

« Nous avons le meilleur exemple avec les Blue Jays », rapporte Roy, citant en exemple le cas de Vladimir Guerrero fils, qui a cumulé des statistiques dignes de ligues amicales à 19 ans dans le réseau affilié des Jays. « Les meilleurs joueurs qui ne sont pas admissibles au repêchage signent des ententes avec des équipes du baseball majeur à 16 ans. Ils commencent leur développement très jeune. Les formations ont beaucoup investi sur le développement physique du joueur, sur sa nutrition, etc.. »

Juan SotoLes deux hommes de baseball touchent au même point, celui du propriétaire de l’équipe qui vient mettre son grain de sel. « Le joueur de 20 ou 21 ans coûte beaucoup moins cher que le vétéran de 32 ans, donc si les deux joueurs offrent un rendement semblable, devinez quel joueur sera de la formation », laisse tomber Agostino, qui a vu ses Phillies effectuer un pas de géant dans leur reconstruction au niveau des Majeures en 2018.

« Il ne faut pas oublier que plusieurs vétérans ont étiré leur carrière dans l’ère des produits dopants. Le baseball majeur a mis sur pied un programme pour contrer le problème, mais ça veut aussi dire qu’on voit des joueurs qui perdent de la mobilité et de la puissance peu après l’âge de 30 ans. Ils sont donc remplacés par des joueurs plus jeunes au salaire moindre », ajoute Jasmin Roy.

Investissement à court terme

En 2008, la moyenne de la vélocité d’une balle rapide atteignait 90 milles à l’heure. Dix ans plus tard, cette moyenne est de 93 milles à l’heure. En 2003, seul Billy Wagner a effectué au moins 25 tirs à 100 milles à l’heure. Aroldis Chapman l’a fait 538 fois en 2017 et 31 lanceurs ont lancé au moins un tir à cette vitesse.

Est-ce qu’il y a un lien entre le développement accéléré des joueurs et leur puissance, autant au monticule que dans le rectangle des frappeurs? « C’est certain, lance Agostino. Avant même qu’ils joignent une organisation, les joueurs misent sur la puissance. On voit des joueurs calculer la vélocité de leur tir après trois pas chassés. »

On sent toutefois que cette réalité irrite le dépisteur de longue date. « Combien de fois je peux voir un frappeur avoir exactement la même mécanique et le même plan de match à deux balles et une prise ou à aucune balle et deux prises. Le joueur vise le circuit à tout prix et ne s’adapte pas au lanceur devant lui. Les meilleurs vont s’adapter. C’est ce que j’ai vu de Fransisco Lindor il y a quelque temps. C’est un des meilleurs joueurs du baseball majeur et il sera capable de trouver plusieurs façons d’avoir le meilleur sur un lanceur. »

Cette réalité s’applique également aux lanceurs. Pas moins de 34 joueurs – excluant Kendrys Morales, le temps d’une dégelée – sont montés sur le monticule pour les Jays cette saison. Ce nombre représente presque trois fois le nombre de lanceurs en uniforme pendant une rencontre.

« C’est le cas pour la plupart des équipes, expose Agostino. Les organisations misent sur quelques lanceurs établis et se servent d’une multitude de lanceurs qu’ils vont utiliser durant quelques matchs et retourner au niveau AAA par la suite. »

Ce phénomène raccourcit donc les carrières. « Un lanceur ne sera pas en mesure d’utiliser une balle rapide à 98 milles à l’heure durant 15 ans. Il va donc mettre le paquet le temps que ça dure. Les carrières sont donc beaucoup plus courtes », rappelle Agostino

Roy abonde dans le même sens, mais il apporte aussi une nuance. « Il ne faut pas penser qu’un joueur se rend dans les Majeures en misant uniquement sur la puissance. Au baseball, la dernière chose que nous développons, c’est justement la puissance. On travaille sur plusieurs points et lorsqu’ils sont acquis, nous améliorons la force du coup de bâton ou la vélocité des tirs. »

Le recruteur des Jays croit également que l’avènement des statistiques avancées a changé la donne dans la façon que le match est disputé. « On a constaté qu’il était plus risqué de voler des buts pour ne pas donner un retrait à l’autre équipe, donc on s’est concentré sur la puissance. C’est certain qu’avec cette réalité, les équipes ont modifié leur façon de développer leurs meilleurs talents », conclut Roy.