QUÉBEC – « Je ne le sais pas. Si tu le sais, tu m’appelles et tu me dis 'tu feras, ça, ça et ça'. »

 

Les émotions que procurent la boxe professionnelle sont difficiles à reproduire et même s’il jure qu’il les vivra pour une ultime fois samedi soir au Centre Vidéotron, Éric Martel-Bahoéli n’a – encore une fois – aucune idée de comment il se relèvera une fois le rush d’adrénaline tombé.

 

Le sympathique poids lourd l’admet d’emblée : la dernière année en a été une de cauchemars. Il y a d’abord eu sa défaite contre Adam Braidwood – le dernier combat qu’il a livré à ce jour –, puis le décès tragique il y a quelques semaines de son frère d’armes David Whittom près de dix mois après avoir été plongé dans un coma à la suite d’un duel disputé au Nouveau-Brunswick.

 

« Braidwood est adulé avec ce combat-là, et des fois, je me dis que c’est un peu frustrant, mais en même temps..., a confié Martel-Bahoéli à RDS.ca, jeudi, en marge de la dernière conférence de presse faisant la promotion du gala d’Eye of the Tiger Management qui sera tenu samedi soir.

 

« Je n’ai pas de regrets, j’ai fait ce que j’avais à faire [contre Braidwood], mais je trouve encore spécial l’énergie qu’il a été capable de déployer après tous les coups que je lui avais envoyés. Et en David, j’ai perdu un chum, un frère avec qui j’avais commencé à boxer à l’âge de 16 ans. C’est certain que ç’a donné un coup. [Ce dernier combat], c’est pour faire la paix avec ce sport-là. »

 

Un sport qui a été au coeur de sa vie au cours des vingt dernières années. Un sport qui a parfois été extrêmement cruel à son endroit, mais qui lui a également fait vivre de grands moments d’euphorie. Et pour une dernière fois, avant de s’en aller, il aimerait sentir si fort, le pouls de la tendresse des amateurs pour se remémorer ces moments où plus rien ne pouvait l’arrêter.

 

« Quand je repense à mes victoires contre Raymond Olubowale à Calgary qui m’avait permis de venger une défaite et Didier Bence au Colisée, j’ai été deux semaines à avoir de la difficulté à m’endormir le soir. Je pensais tout le temps à ça, témoigne le boxeur de la Vieille-Capitale.

 

« Les émotions... c’est tellement fort ce que tu vis. À ce moment-là, il n’y a absolument rien qui peut t’affecter tellement tu es heureux. C’est malade! Tous les gens sont derrière toi. Ils sont fiers de toi et veulent tous ensuite te serrer la main. Tu deviens accro à ça. Ça, c’est certain. »

 

Mais derrière le caractère chevaleresque de cette dernière épopée, ce n’est pas tout le monde qui voit ce dernier tour de piste d’un bon œil. C’est le cas de François Duguay, qui se contentera de bander les mains de celui qu’il avait accompagné pour chacun de ses 19 premiers combats.

 

« Des gens m’ont demandé pourquoi je n’allais pas être dans le coin [d’Éric], car s’il y en a un qui peut le guider et le protéger là-dedans, c’est moi. Sauf que la voix qu’il entend et connaît, elle lui dit de ne pas le faire et il ne l’écoute pas, lance Duguay que RDS.ca a rencontré à son gymnase.

 

« Ce qu’il a besoin, c’est de faire ce combat parce qu’il a besoin de cette drive-là, alors je vais me croiser les doigts et prier aussi pour qu’il n’arrive rien. Je ne veux pas que ça aille trop bien pour qu’il se dise qu’il va en faire un autre, sinon ça va faire comme David. Ça n’aura juste pas de fin…

 

« Je vais me contenter de faire ses mains et c’est tout. J’ai dit ce que j’avais à dire et il comprend. Mais je me vois mal aller dans le coin et qu’il arrive quelque chose. Ça ne me tente pas. Je ne cautionne pas du tout [ce dernier combat-là], mais j’encourage Éric parce que c’est le seul rôle que j’ai à jouer. Mais je tiens à le répéter : je ne cautionne pas du tout ce combat-là. »

 

À ceux – comme Duguay – qui ne voulaient pas le voir monter dans le ring samedi même s’il affronte le Mexicain Hector Aguilar – un adversaire largement à sa portée, – le principal intéressé répond qu’il ne pouvait tout simplement pas prendre sa retraite sur une défaite.

 

« C’est un peu comme le film de ma vie. C’est ma vie personnelle, c’est moi qui vis avec ça au jour le jour, précise Martel-Bahoéli. Si quelqu’un va voir un film et que ça finit mal ou que la fin le laisse sur son appétit, il va dire que le film était donc plate. J’ai la chance [de disputer un dernier combat] et ce n’est pas moi qui ai couru après. J’ai eu une proposition et j’ai dit oui.

 

« Et j’ai 36 ans. Je n’en ai pas 45. Je me sens bien, et quand je parle, on est capable de bien me comprendre. Je ne dis pas si j’avais des symptômes, si j’avais l’air un peu au ralenti et que mes réflexes étaient un peu moins bons. J’ai la chance de le faire. C’est ma passion, c’est ma vie.

 

« Je ne veux pas vivre avec des regrets. [Si je n’avais pas été là] cette semaine, je ne filerais pas. Je verrais tout ça passer dans les actualités et je serais assommé. Je serais chez nous en petite boule en train de me morfondre. Là, je veux le vivre une dernière fois et je vais en profiter. »

 

Reste que des regrets, il en a lorsqu’il repense à sa décision d’accepter l’invitation d’une équipe de la Ligue de hockey senior AAA du Québec pour jouer les redresseurs de torts l’hiver dernier.

 

« Je me battais à poings nus sur la glace à manger et à donner des shots, à me péter les mains, c’était bien pire qu’un combat de boxe, mais il n’y a [presque] personne qui m’a dit de ne pas faire ça. On n’en entendait pas parler, déplore l’ex-porte-couleurs du Mécanarc de Donnacona.

 

« Après coup, pour être très franc, le hockey ne correspond plus à qui je suis. La violence... l’esprit, ce n’est pas comme la boxe. Quand je me battais, c’était vraiment pour le côté toughness et ce n’est pas quelque chose qui m’interpelle ou encore que j’aime faire. »

 

Martel-Bahoéli finit par admettre qu’il s’est un peu trouvé dans le coaching ces derniers temps, mais il n’a pas encore trouvé un élève à son image : celle d’un passionné qui aurait été prêt à enfourcher sa bicyclette pour aller au gymnase afin d’assouvir sa passion. Mais il ne désespère pas, parce que c’est ultimement sa solution pour vivre des émotions fortes : par procuration.