QUÉBEC – Une victoire, c’est tout ce qui séparait Lexson Mathieu d’un premier titre senior aux derniers championnats canadiens de boxe amateur tenus du 28 mars au 1er avril à Edmonton.

Lexson MathieuProfondément coupé à l’arcade sourcilière de l’œil droit à la suite d’un coup de tête encaissé en demi-finale du tournoi des poids mi-lourds, l’athlète de Québec n’a ensuite jamais eu la chance de disputer le combat pour la médaille d’or le lendemain, devant se contenter de l’argent.

En même temps, les blessures font partie des risques du métier, répondront certains. Il n’en faut pas plus pour soulever l’ire de son entraîneur François Duguay, qui honnit avec véhémence la décision de l’Association de boxe amateur (AIBA) d’avoir entériné le retrait du casque en 2013.

« Faire battre les amateurs trois jours en ligne [sans] casque, c’est illogique, a dénoncé Duguay pendant un très long entretien avec RDS.ca au Club de boxe Empire le mois dernier. La journée où ils vont se ramasser aux Jeux olympiques avec huit finales et qu’il y en a six qui vont se gagner sans opposition parce qu’il va y avoir six coupures, ils vont se poser des questions. »

Si la prophétie de Duguay ne s’est pas encore concrétisée – un seul combat (de demi-finale) ayant dû être annulé à cause d’une coupure aux derniers Jeux olympiques –, reste que la décision de l’AIBA ne suscite pas l’aval de deux autres intervenants interrogés par RDS.ca.

« On m’a montré des études apparemment scientifiques qui disent que le casque ne protège pas nécessairement, mais si c’était le cas, pourquoi les [boxeurs professionnels] portent des casques à l’entraînement, a soulevé le promoteur Yvon Michel, qui est également membre du conseil d’administration de Boxe Canada à titre d’administrateur général depuis juin dernier. »

Les études auxquelles fait référence Michel sont extrêmement controversées et présenteraient plusieurs failles, avait déclaré un médecin spécialisé en commotion cérébrale en entrevue à La Presse canadienne en mars 2016. Un autre spécialiste cité par le New York Times en août de la même année prétendait que l’échantillonnage était trop faible pour être pris en considération.

« Je trouve que ce n’est pas logique. Je trouve inacceptable – que si les têtes se touchent et qu’il y a coupure dans des tournois comme les Jeux olympiques, les Jeux du Commonwealth ou les championnats canadiens – que ce boxeur-là ne puisse pas continuer à évoluer dans le tournoi, poursuit Michel. Le port du casque dans les tournois devrait être nécessaire et obligatoire. »

L’opinion de Michel – qui a été entraîneur-chef des équipes nationales de boxe du Canada de 1992 à 1998 – va à l’encontre de celle du président de Boxe Canada Pat Fiacco. En février 2017, l’organisme avait toutefois nuancé sa position en annonçant que le port du casque serait obligatoire dans toutes les compétitions sanctionnées au pays, sauf les championnats nationaux.

« Je comprends [Boxe Canada] de procéder comme ça, parce qu’ils veulent préparer leurs boxeurs à ne pas rester surpris lorsqu’ils vont représenter le Canada au niveau international. Les boxeurs n’ont tout simplement pas les moyens d’être mal à l’aise dans un combat de trois rounds, explique le vice-président opérations et recrutement de Groupe Yvon Michel et ancien membre de la Fédération québécoise de boxe olympique de 1985 à 1998 Bernard Barré.

« Ceux que je blâme, ce sont les dirigeants de l’Association internationale qui ne protègent pas leurs athlètes à ce niveau-là. Ils vont [favoriser] le spectacle au détriment du boxeur amateur, qui ne gagne pas sa vie avec ça. C’est du sport amateur. Je suis complètement contre ça. »

Ne pas passer sa vie à recevoir des « tapes gratis »

Couronné chez les juvéniles et les juniors lors des trois années précédentes, Mathieu tenait mordicus à ce premier sacre chez les seniors. Ce titre revêtait une importance capitale pour celui qui souhaite poursuivre une carrière dans les rangs professionnels à court terme.

« Lexson est conscient qu’il faut que tu gagnes au moins un championnat canadien [senior] pour aller courtiser les promoteurs ou que les promoteurs te courtisent. C’est une bonne monnaie de négociation, précise l’entraîneur de nombreux boxeurs professionnels de la région de Québec.

« C’était vraiment le temps de monnayer son avenir, mais à cause d’un coup de tête, ça retarde les plans d’une autre année. Lexson ne veut pas passer toute sa vie chez les amateurs à recevoir des tapes sur la tête gratis. Il faut que ça finisse par payer un peu à un moment donné. »

La conquête d’un championnat canadien peut paraître anecdotique, mais elle permet souvent aux athlètes d’effectuer leurs débuts professionnels dans un environnement contrôlé – comme ç’a été le cas pour Clovis Drolet et Vincent Thibault – plutôt que d’avoir à faire leurs preuves dans des combats plutôt compliqués – comme ç’a été le cas pour Francis Lafrenière notamment.

Les chances de succès sur la scène internationale sont également extrêmement minces, comme l’a démontré un reportage-choc du quotidien britannique The Guardian en marge des Jeux de Rio qui alléguait que certains juges décidaient d’avance le résultat de certains combats.

« Lexson sait que les dés sont frimés. Politiquement, si ton pays n’a pas négocié trois médailles dans on ne sait pas quelles catégories... c’est la réalité... on ne se contera pas de menteries. Le rêve olympique en boxe, il est super, mais il n’est pas si super que ça, conclut lucidement Duguay en rappelant le revers controversé de Roy Jones fils en finale des Jeux de Séoul en 1988.

« Il y a des pays qui boxent aux Jeux et c’est l’arbitre qui aide le gars [de la Russie] à se relever six fois pendant le combat et il ne le compte pas. L’important, c’est que le gars finisse sur ses deux bottines. Il finit sur ses bottines, chambranlant, mais il finit sur ses bottines et gagne l’or. »