Voilà maintenant trois ans que j’ai le plaisir de décrire les épreuves de Formule E à RDS et sauf pour une ou deux exceptions, il ne m’est jamais arrivé d’être témoin d’une course banale. Dès sa toute première édition à Pékin, en 2014, le jeune Championnat, sanctionné par la FIA, a procuré aux spectateurs présents et aux téléspectateurs du monde entier un niveau sportif extrêmement relevé.

Tout commence par la qualité des pilotes. La très grande majorité d’entre eux ont un parcours professionnel extrêmement bien garni et dès les premiers tours de roue en septembre 2014, ils ont tous voulu prouver qu’ils étaient encore parmi les meilleurs au monde, même s’ils s’installaient à bord de monoplaces entièrement méconnues. Au total, depuis le début, pas moins de 19 d’entre eux ont disputé au moins un Grand Prix de Formule 1. Plusieurs ont aussi roulé ou roulent encore au prestigieux Championnat du monde d’Endurance. D’autres ont tourné en Indycar, en GP 2 ou en DTM. Bref, aucun d’entre eux n’est là uniquement en raison de son portefeuille.

Comme s’ils avaient voulu démontrer non seulement leur talent et leur courage, mais aussi le très haut niveau de performances de ces monoplaces entièrement électriques, les Sébastien Buemi, Lucas Di Grassi, Nic Heidfeld, Nelson Piquet Jr., Jean-Eric Vergne, Sam Bird et autres se sont littéralement jetés dans l’arène, le couteau entre les dents, dès l’extinction des premiers rouges. Tout en apprenant le caractère pointu de ces voitures et en cherchant à saisir toutes les petites subtilités qui permettent de se battre pour la victoire, tout en assimilant la dure réalité de gérer la consommation d’électricité au cours de chacun des deux relais d’un ePrix, ils ont bataillé sans retenue à toutes les épreuves, la plupart du temps sur des pistes urbaines qui n’offrent aucune marge de manœuvre ni aucun pardon.

Un entourage sérieux

Bien sûr, si ces pilotes ont réussi à s’éclater aussi rapidement, c’est aussi parce qu’ils ont profité d’un entourage extrêmement sérieux dès le début. L’approche « monotype » privilégiée par les patrons du Championnat et par la FIA, lors de la première année d’existence, n’a aucunement influencé à la baisse le niveau de compétitivité sur la piste. La raison en est fort simple : les composantes principales des monoplaces ont été confiées à la base à des groupes de renom. Michelin pour les pneus, Renault/Spark pour l’ensemble de la monoplace, Dallara pour le châssis, McLaren pour le moteur électrique et Williams pour la boîte de vitesse. 

Par ailleurs, la plupart des écuries d’origine furent mises sur pied par des gens d’expérience pour qui la connaissance du sport automobile de haut niveau n’a plus de secret. La simple mention de noms comme Andretti, Penske, Driot et Prost (eDAMS-Renault) et Abt-Audi ont donné beaucoup de crédibilité à la série sur les plans technique et sportif. Sir Richard Branson et l’écurie Virgin ainsi que Leonardo Di Caprio et l’écurie Venturi ont ajouté du prestige et de l’intérêt supplémentaire au départ. La découverte de nouveaux joueurs très solides comme Mahindra (Inde) ainsi que NextEV et Techeetah (Chine) a par ailleurs permis de comprendre rapidement comment le développement de la motorisation électrique en Asie était sérieux.

À mesure que les règles techniques se sont assouplies et que le Championnat a gagné en crédibilité, les grands constructeurs ont commencé à apparaître sérieusement dans le sillon de la série. À Audi et Renault se sont ajoutés Citroën/DS (Virgin), BMW (Andretti) et Jaguar avec sa propre écurie. Mercedes a fait une annonce percutante il y a quelques jours en annonçant son retrait du DTM et son arrivée en Formule E dès 2019. Tout indique que Porsche fera son entrée incessamment et peut-être même Ferrari, au nom du groupe FIAT. On peut donc affirmer sans crainte que la croissance de la Formule E est non seulement assurée, mais qu’elle pourrait se faire de façon exponentielle au cours des prochaines années.

L’avenir

L’an 4 du Championnat FIA de Formule E ne marquera pas une grande révolution sur le plan technique ou sur le plan sportif. Le principal changement sera l’augmentation de 10kW du taux limite de puissance électrique permise, signe quand même annonciateur des progrès effectués en matière de performance, consommation et longévité. Le vrai travail, pendant ce temps, se fera en arrière-scène, car à l’an 5, on assistera à un pas de géant! Les écuries devront compléter chaque course avec une seule voiture et non en partageant la distance totale entre deux bolides, comme c’est le cas jusqu’en juillet 2018. Autrement dit, à un niveau de performance égal, on impose aux ingénieurs que l’autonomie d’une Formule E soit doublée, en cinq ans à peine! Ce n’est quand même pas rien!

Il ne fait donc aucun doute que le Championnat de FE représente un banc d’essai essentiel pour l’électrification globale des transports et ce rôle ne fera que s’accentuer au cours des prochaines années. S’il est très difficile d’envisager que les complexes et coûteuses technologies de récupération d’énergie des Formule 1 se retrouvent un jour dans nos voitures conventionnelles, il est au contraire très facile de réaliser que les pas de géants effectués en Formule E auront une incidence directe sur le développement de la voiture électrique et par extension, de tous les véhicules mus par l’électricité. 

Bien sûr, au-delà de toutes les vertus indéniables liées à l’évolution rapide des moteurs électriques, il y a la réalité sportive du Championnat. Et qui dit sport, dit spectacle. Or, si la qualité du spectacle est au rendez-vous, comme je le mentionnais au départ, il y a encore beaucoup à faire au niveau de l’organisation des épreuves. Depuis le début, il y a beaucoup d’instabilité au calendrier, un calendrier d’ailleurs plutôt complexe à assimiler puisqu’il se déploie sur deux années différentes. Des événements s’ajoutent, d’autres disparaissent, certains sont là par intermittence, comme Monaco. Les gradins sont parfois bondés, comme à Brooklyn il y a deux semaines, ils sont parfois plutôt vides à d’autres endroits. Espérons que cela s’explique par une « crise de croissance » normale et que le Championnat de FE se stabilisera d’ici quelques années. Déjà, les signes sont plus rassurants pour la prochaine saison.

« En ville » et pas ailleurs

Par ailleurs, l’idée de présenter les courses en milieu urbain, sur une seule journée, était fort louable au départ, à mes yeux. Louable pour l’accessibilité générale de l’événement, louable pour l’importance du message global de rouler à l’électricité dans les grandes villes, louable pour l’impossibilité et/ou l’inutilité de tourner sur de longues pistes déjà existantes et ainsi gaspiller de l’énergie pour rien. L’idée de courir « en ville » demeure donc non seulement bonne, elle est essentielle à la survie de ce Championnat. 

Mais comme on le voit depuis quelques semaines chez nous, à Montréal, cela ne se fait pas sans heurt. Les circuits urbains de Formule E ont beau se déployer sur environ deux kilomètres seulement (environ 60% plus courts, au moins, que les circuits de F1), les événements ont beau durer une ou deux journées au lieu de trois jours, comme en F1, il reste que l’aménagement du site représente un travail complexe qui ne peut que s’échelonner sur une certaine période de temps et qui cause forcément son lot de perturbation. Peu importe où.

Personnellement, je suis convaincu qu’on apprendra à vivre avec l’événement après sa première édition. On le comprendra mieux, à tous points de vue. On l’organisera mieux, à tous points de vue. On l’intégrera mieux dans la vie montréalaise, à tous points de vue. Donnons-lui une chance. Car sur les fronts qui me sont familiers, surtout sur celui du sport automobile proprement dit, je peux vous garantir que vous verrez deux courses absolument enlevantes, que ce soit sur place ou à l’antenne de RDS.