Par Sylvain A. Trottier - Sans qu’on s’en rende vraiment compte, les effets sonores, musiques et voix dans les jeux vidéos sont omniprésents. Que ce soit le waka-waka de Pacman, le piou-piou du PP7 avec silencieux dans Goldeneye, le Hey listen! de Navi dans Ocarina of Time ou encore le taratata ta da ta ta daaaa qui clôt un combat victorieux dans Final Fantasy ; les sons m’évoquent de beaux souvenirs qui me décrochent un sourire. Maintenant que j’y réfléchis, il doit y avoir des gens talentueux derrière ce travail invisible pour provoquer chez moi un tel effet.

Avec la sortie d’Asphalt 9: Legends, j’en ai profité pour aller faire un petit tour dans les studios montréalais de Gameloft ; là où se trouve l’équipe audio de la compagnie spécialisée en jeux mobiles. C’est donc pas très loin du Marché Jean-Talon que se décident et se créent les sons qu’on retrouve dans tous leurs jeux, qu’ils soient développés à Kiev, Bucarest, Kharkov ou, comme c’est le cas pour Asphalt 9: Legends, à Barcelone.

 

J’ai donc eu le plaisir de rencontrer Étienne Marque (Lead Sound Designer), Vincent Labelle (Music Supervisor/Composer) et Ulrich Frantz (Audio Manager) pour parler de leurs métiers, mais aussi des spécificités sonores de leur dernier jeu de course automobile.

 

 

SAT: Bonjour à vous trois. Avant tout, pourriez-vous nous dire ce à quoi correspondent vos titres ?

Étienne Marque (EM) - En tant que Lead Sound Designer, je m’occupe de tout ce qui concerne l’environnement sonore des jeux, à l’exception de la musique et des voix. Ce peut être autant des sons de voitures, d’impacts, que des effets sonores dans les menus. Je suis également en charge de l’intégration de ces sons, c’est-à-dire de faire en sorte qu’ils soient joués au bon moment. Cela représente énormément de communication avec les développeurs, puisqu’il s’agit de mettre les mains dans le moteur du jeu.

 

Vincent Labelle (VL) - Le rôle de Music Supervisor consiste à superviser tout ce qui a trait à la musique, aussi bien la création - avec notre équipe compositeurs - que la concession de licences, c’est-à-dire l’acquisition de droits pour des musiques plus ou moins connues. En somme, il faut rester à jour sur ce qui se fait en musique et s’assurer de suivre les tendances. C’est ainsi que l’on est en mesure de trouver ce qui cadre le mieux avec le jeu.

 

Ulrich Frantz (UF) - En tant qu’Audio Manager, je m’occupe de la gestion globale de l’équipe. Mon objectif premier est de m’assurer de son bon fonctionnement. Pour cela, il faut identifier et allouer les ressources nécessaires tout en veillant à respecter les budgets. Cela signifie d’être en lien permanent avec les autres équipes, comme avec le département juridique, pour mettre en place des partenariats (artistes, orchestres…) ou les développeurs dans les différents studios Gameloft à travers le monde.

 

 

SAT: Comme vous êtes à Montréal et que l’équipe de développement est à Barcelone, comment fonctionnez-vous ?

UF - On a un Sound Designer là bas. Même si on n’est pas sur le même fuseau horaire, c’est vraiment aidant d’avoir une personne avec qui communiquer sur place, . Surtout quand on a des choses de dernières minutes à régler.

 

SAT: Est-ce que vous adaptez les musiques au public, comme on peut le faire avec le doublage des voix... en d’autres termes, une localisation musicale ?
VL –
Mondialement, il y a une seule version du jeu. On a vraiment voulu éviter le mickeymousing (mettre une musique asiatique pour une course à Shanghai, par exemple). On ne voulait pas viser un seul style alors on a choisi des artistes majeurs sur la scène mondiale, mais aussi des indépendants d’un peu partout. L’idée, c’est de se fier avant tout à l’intensité du jeu.

 

 

SAT: En testant le jeu, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de voix, pourquoi ?

VL – Dans cette première itération, nous n’avons simplement pas pris cette direction. Il s’agissait pour nous de nous concentrer sur les autres éléments pour créer le meilleur environnement sonore et musical pour nos joueurs.

 

UF - C’est quelque chose qui est susceptible d’évoluer au fil des mises à jour. Pour ce genre de jeu, on pourrait être amenés à faire du nouveau contenu toutes les 6 à 12 semaines : nouvelles pistes, nouvelles voitures… les voix pourraient en faire partie.

 

SAT: Comme la musique donne une ambiance et que les sons réagissent aux situations dans le jeu, j’imagine que les sons n’arrivent qu’à la toute fin du projet.

EM - C’est sûr qu’on est très dépendants du contenu; il faut qu’on puisse voir les animations d’impact, la durée d’une course, etc. On prend les choses le plus en amont possible, notamment l’intégration dans notre moteur audio, qui représente un gros morceau. Pour ce faire, on récolte des informations auprès des développeurs pour être en mesure de déterminer et d’insérer les sons. Certains sont plus faciles que d’autres à obtenir! C’est le cas des voitures, car nous n’avons pas besoin de voir les graphismes, il nous suffit d’avoir la liste des modèles. Tout ce qui relève de l’interface est en revanche un travail de dernière minute.

 

UF - Pour donner une idée du rythme que cela représente, pour un développement comme celui-là qui dure 2 ans, on est sur de la préparation à temps partiel au début. On commence par faire de la recherche et de la composition. À 6 mois de la sortie, on embarque sur un temps plein avec le soft launch. À 3 mois, on ajoute déjà du personnel, et à 1 mois, encore un peu plus pour jongler avec les changements dans le jeu. En parallèle, on crée une musique pour la vidéo de promotion. Il faut imaginer un véritable sprint final dans les dernières semaines, avec l’ensemble de l’équipe qui travaille sur le projet.

 

EM - Sans surprise, le son se trouve à la fin. On est habitué, on a des techniques. C’est le moment où on ne voit plus sa famille. *rires*

 

 

SAT: On parlait un peu plus tôt de licenses. Dans le cas d’Asphalt 9, quel pourcentage cela représente-t-il face aux créations originales ?

UF – Habituellement, on est à 100 % pour le son et entre 80 et 100 % pour la musique. Asphalt 9 est un cas particulier parce que c’est directement lié au style du jeu.

 

EM - Pour être plus précis, les sons de moteur ont été à environ 80% achetés. Le reste est entièrement maison avec 60 % spécialement créés pour le jeu. Les 40 % restants sont élaborés à partir d’énormes banques de sons maison. Puis on mélange le tout.

                                               

UF - Avant, on achetait des sons comme les autres entreprises, mais avec le temps, on s’est créé notre propre bibliothèque. On a maintenant une salle de bruitage (Foley) et on sort également capter des sons en extérieur.

 

EM – On peut cuisiner de bons plats avec du surgelé, mais quand on les prépare avec les légumes de son potager c’est meilleur. Enregistrer nous-mêmes, c’est une source d’inspiration incroyable. Par exemple, j’ai utilisé des cris d’otaries que j’ai captés pour créer des crissements de pneus.

 

UF - C’est beaucoup de temps (il faut s’imaginer 4 heures d’enregistrement plus 2 semaines d’édition à chaque session), mais à long terme, c’est un meilleur investissement que d’acheter des droits. Sortir de son bureau, rencontrer des gens… Ce sont autant d’éléments simples qui alimentent une dynamique positive sur le plan créatif et qui contribuent à créer une belle chimie au sein de l’équipe. C’est un avantage réel, tant pour le jeu que pour l’équipe.

 

VL - Côté musique, c’est la même chose. On essaie de rester proche de nos valeurs artistiques. Ça motive de pouvoir créer.

 

 

SAT: Avez-vous conservé des sons et musique d’Asphalt 8 ?

VL -  Le 8 est sorti il y a 5 ans et avait un profil dubstep. On a donc pris le parti de repartir à zéro. C’était l’occasion de s’engager dans une nouvelle direction et d’avoir quelque chose de neuf!

 

EM - Côté sons, on a voulu changer certaines choses tout en conservant des sons emblématiques. Certains sont toujours là, mais placés différemment. En somme, on a utilisé cette base et modifié l’esthétique.

 

SAT: Comment vous procédez pour choisir les musiques et récupérer les licences ?

VL - On s’y prend bien en amont, car c’est un processus relativement long. Facilement un an avant, on écoute énormément de musiques, on partage nos opinions au sein de l’équipe. Chacun a une expérience différente avec la musique; c’est un moment vraiment stimulant, car c’est l’occasion pour nous de nous (re)découvrir.

 

On est extrêmement vigilants sur les paroles, qui peuvent parfois être offensantes, surtout sur un jeu comme Asphalt qui est destiné à tous les âges. Pour pouvoir malgré tout offrir certains styles de musique, on est parfois amenés à demander des versions censurées.

 

Ce n’est pas évident, car pour chaque morceau, il faut trouver la bonne place et s’assurer que chaque son rehausse l’expérience.

 

EM – Il faut aussi voir si la musique est toujours agréable après 2 heures, 3 heures, 6 heures de jeu… Et en même temps, trouver le bon nombre de musiques pour s’assurer que la taille du jeu ne soit pas excessive.

 

UF – Une fois la musique choisie, elle est soumise à la production pour validation. C’est ensuite l’équipe de concession de licences, à Los Angeles, qui intervient pour identifier les coûts et définir si l’on continue les démarches. Si c’est approuvé, l’équipe juridique prend le relais. Au final, on parle généralement de 3 à 6 mois entre la demande et la signature. Des fois, c’est à la dernière minute parce qu’on veut avoir les musiques les plus actuelles possible. Et là, ça peut faire un peu peur…

 

VL - … on a déjà reçu une musique 3 jours avant le lancement.

 

 

SAT: J’ai vu qu’Asphalt 9 utilise un système de sélection de musiques qui s’adapte aux courses, pouvez-vous m’en dire plus ?
EM -
On pense toujours créatif. La plus grosse contrainte est la partie technique : quelle place on a ? Vincent a su découper les musiques en morceaux pour qu’elles s’adaptent parfaitement à la longueur de la piste tout en évitant la répétition.

 

VL - C’était compliqué parce que les courses avaient des longueurs anormales (de 45 secondes à 4 minutes) et certaines courses sont très courtes : à peine commencé, le morceau est fini. Alors on a découpé chaque musique en trois formats. Ensuite, une matrice gère le format qui sera joué selon la longueur de la course en mètres virtuels. C’est ce travail de découpage qui permet de fournir un environnement musical de qualité même avec de telles contraintes.

 

UF - C’est plutôt innovant comme façon de faire.

 

SAT: Avant de terminer, auriez-vous quelque chose à ajouter ?

EM - Un bébé est bonne source de bruits, mon fils est partout dans le jeu !

 

VL - Le mien, 9 ans, a joué avant tout le monde. C’était fun de voir sa réaction !

 

Découvrez également des making of sur la chaîne Youtube de l’équipe audio!