MONTRÉAL – La Ligue canadienne de football ne fait jamais les choses comme les autres et c’est tant mieux selon ses plus grands fervents. Mais ça veut aussi dire que le privilège de repêcher au premier rang – qui appartient aux Alouettes – est loin d’être un jeu d’enfants.

 

D’abord et avant tout puisque la plupart des meilleurs espoirs caressent le rêve de s’établir dans la NFL et cette possibilité est devenue plus accessible au fil des ans. Ensuite, le repêchage est consacré aux joueurs canadiens si bien que les organisations doivent essayer de prévoir le rôle que ceux-ci pourront accomplir contre une compétition majoritairement américaine.

 

Mais allons-y étape par étape pour tenter de démêler la situation. Le département du recrutement a été revampé avec la nomination de Miles Gorrell à titre de directeur du recrutement national.

 

Pour son arrivée en poste, Gorrell ne pourrait guère demander mieux avec le premier droit de parole. Sachez que les Alouettes n’ont pas eu la chance de repêcher au tout premier échelon depuis 1972 alors que Larry Smith avait été l’heureux élu.

 

Cette fois, la logique semble pointer vers un joueur de ligne offensive puisque les ressources canadiennes sont indispensables à cette position et que l’unité des Alouettes se fait vieillissante avec Luc Brodeur-Jourdain, Kristian Matte et Philip Blake. En tant qu’ancien joueur émérite de ligne offensive, Gorrell ne peut qu’être d’accord avec le constat.

 

« Quand tu réfléchis au contexte de la LCF et que tu demandes où sont les joueurs canadiens les plus importants dans une organisation, comment peux-tu ne pas être attiré à repêcher ces gars-là? Les joueurs rapides sont pas mal plus faciles à trouver qu’un géant qui souhaite jouer au football. Il n’y a juste pas beaucoup de gros gars », a exposé le sympathique géant de six pieds et huit pouces.

 

« On est prêts pour tous les scénarios »

Éric Deslauriers, qui campe le rôle de coordonnateur du repêchage et dépisteur national, n’a pas contredit son collègue.

 

« Ça fait complètement du sens. Quand tu regardes les ratios dans la LCF, la position avec le plus de Canadiens, c’est sur la ligne offensive. Ça ne veut pas dire que ce sera notre décision, mais il y en a plus qu’à d’autres positions donc tu en as besoin de plus », a noté Deslauriers.

 

Le hic, c’est que la qualité de la cuvée 2018 a permis à plusieurs espoirs de la ligne offensive de séduire des équipes de la NFL. Ryan Hunter (Chiefs) et Dakoda Shepley (Jets) ont signé des ententes alors que David Knevel (Raiders) et Mark Korte (Jets et Giants) ont été invités.

 

Au lieu de voir cette réalité comme une embûche, Gorrell préfère se dire que ça éclaircit le ciel.

 

« Je ne pense pas que ça complique les choses. À mon avis, ça aide à clarifier le portrait sur les intentions des joueurs. Parfois, tu sais que certains joueurs ne vont pas rester avec une équipe bien longtemps. Ils sont plus invités pour être des bodies (des corps pour remplir des chandails) », a réagi celui qui se consacre au recrutement depuis près de 20 ans.

 

Un coup de maître serait de prédire le joueur qui ne sera pas retenu dans la NFL et qui acceptera de revenir au Canada rapidement au lieu de s’accrocher au rêve américain pendant quelques années.

 

« C’est un peu difficile à faire, mais on doit travailler dans ce sens. On doit évaluer si le joueur a des chances, on va même évaluer les équipes avec lesquelles ils s’en vont. On ne connaît pas tous leurs besoins, mais on appelle les équipes et on parle à des recruteurs », a souligné Deslauriers qui a fait allusion à un travail de détective de football.

 

C’est donc dire que, parmi les cinq meilleurs joueurs de ligne offensive, Trey Rutherford demeure le seul à souhaiter se concentrer sur la LCF. Ce contexte pourrait inciter les Alouettes à se tourner vers le receveur Mark Chapman. À moins qu’une offre surgisse permettant aux Oiseaux d’ajouter un choix supplémentaire en reculant de quelques échelons?

 

« Si on recevait une bonne offre, je n’aurais aucun problème à le faire. Dans le passé, j’ai été impliqué dans une transaction pour le premier choix contre un partant et le tout a bien fonctionné. Il y a beaucoup de besoins chez les Alouettes et on peut ajouter pas mal de profondeur via le repêchage », a admis Gorrell qui a joué pour les Concordes de Montréal notamment.

 

Selon les dires de Deslauriers, le repêchage 2018 comporte quelques « valeurs sûres » avant une baisse de niveau.

 

« On a un très bon bassin pour la première ronde afin d’avoir un joueur qui pourrait potentiellement avoir un impact sur le terrain cette année. On est prêts pour tous les scénarios. Oui, on repêche au premier rang, mais si Kavis (Reed, le directeur général) nous dit qu’il a une transaction à sa portée qui va nous solidifier pour le futur, je serai d’accord même si ça implique de reculer. »

 

Outre Cibasu, une cuvée québécoise moins riche?

 

Si l’on doit se fier au dernier classement publié par la LCF, Régis Cibasu constitue l’unique joueur en provenance d’une université québécoise à se classer dans le top-20. En comparaison avec les dernières années, il s’agirait d’une récolte décevante pour le football québécois.

 

« C’est le classement établi par les neuf équipes et on n’obtient qu’un vote. Il y en a peut-être plus sur notre liste. Je crois qu’il y a de bons joueurs et c’est important d’en avoir de très bons avec nous, on est dans une société francophone », a rétorqué Gorrell qui détient aussi, pour l’instant, deux choix de troisième ronde, deux choix de quatrième ronde, deux choix de sixième ronde, un choix de septième ronde et un choix de huitième ronde.   

 

Deslauriers considère que les Alouettes seront encore en mesure de repérer du talent québécois de qualité.

 

« Peut-être que ce n’est pas une année comme les trois joueurs de ligne offensive du Rouge et Or en première ronde (en 2016). Mais, chaque année, il faut retourner chaque roche pour trouver des détails sur les joueurs et on déniche toujours de bons joueurs québécois », a précisé l’ancien receveur.

 

Cibasu, le meilleur espoir québécois, est justement un receveur, mais il lorgne la NFL. Il a d’ailleurs convaincu les Bears de Chicago de l’inviter à un mini-camp.  

 

« Je ne pense pas que ça le fera reculer, ça clarifie les intentions des joueurs. C’est un peu différent cette année alors que les camps NFL seront après le repêchage. Pour nous, ça va affecter (nos décisions) parce qu’on ne sait pas si le joueur va être coupé tout de suite ou s’il obtiendra un contrat », a précisé Deslauriers.

 

L'expérience de Gorrell viendra sans doute faciliter quelques dossiers de ce genre. Mais lorsqu'on lui a demandé de décrire l'impact de sa contribution, il a joué la carte de l'humilité et de l'humour. 

 

« Ça nous permet d’être plus pesant que les départements de recrutement des autres équipes », a-t-il lancé en riant avant de citer sa passion indéfectible pour le football.