MONTRÉAL – Jeudi dernier, tandis que deux hélicoptères survolent le terrain d’entraînement des Alouettes de Montréal, un joueur s’empresse de blaguer qu’ils sont là pour filmer les secrets de la pratique. Amusé, Khari Jones joue le jeu. Il lève les yeux vers le ciel et hurle ‘Je sais que vous avez peur, les Tiger-Cats!’

 

Objectif réussi pour l’entraîneur-chef, sa plaisanterie allège l’atmosphère pour la séance quotidienne qui a pris son envol vers 11 h 20 et qui durera autour de deux heures. C’est simpliste comme résumé, mais voici l’essentiel de la méthode de Jones. La clé réside dans la confiance acquise grâce à une préparation rigoureuse qui doit être agrémentée de plaisir et un peu de piquant.

 

On sait donc qu’on est à la bonne place quand on remarque une bouteille de sauce piquante tout près d’un pot de crayons au centre de la table. C’est bel et bien le bureau de Jones, là où Didier Orméjuste et l’auteur de ces lignes ont pu assister à la réunion des quarts-arrières.

 

Sur les murs de la pièce où l’esthétisme ne risque pas de déconcentrer pendant le boulot, on retrouve des tableaux remplis de jeux à exécuter notamment lors du match contre Hamilton qui a eu lieu samedi après-midi.

 

Khari JonesCette absence de cachet n’enlève pas à Jones le goût de s’y présenter tous les matins autour de 6 h. Ce temps lui permettra de revoir les stratégies qui ont été déployées la veille lors de l’entraînement. Il bâtira ensuite une sélection de jeux à revoir lors de la réunion avec ses protégés.

 

Pendant qu’il est encore seul, Jones épluche un vieux cahier de notes qui détonne avec la technologie dont les entraîneurs disposent aujourd’hui, mais on y reviendra plus tard.

 

La rencontre doit débuter à 8 h 30. Vernon Adams fils, Matthew Shiltz, Antonio Pipkin et Hugo Richard s’assurent d’arriver à l’heure. Ils portent pour la plupart des sandales et des pantalons qui feraient honneur au groupe de l’heure Bleu Jeans Bleu grâce à son succès « Coton ouaté ».  

 

En constatant la présence d'une caméra de RDS, Richard propose en riant de dessiner de faux jeux sur les tableaux pour induire les opposants en erreur.

 

Avant d’entamer la séance vidéo, l’entraîneur et ses protégés refont le tour du cahier de jeux qui a été élaboré pour la confrontation de la semaine. C’est l’heure d’y apporter quelques ajustements et d’éliminer quelques interrogations.

 

Une fois que c’est complété, Jones sort son vieux recueil. On apprend qu’il date de 2009, ses débuts en tant qu’entraîneur dans la LCF, alors qu’il dirigeait les quarts à Hamilton.

 

« C’est bien parce que je continue de croire aux mêmes principes et philosophies. Il y a une note sur les semaines courtes disant qu’on doit forcer nos adversaires à stopper nos meilleurs jeux, ceux qu’on utilise régulièrement », lance-t-il.

 

Naturellement, en tant que quart partant, Adams fils est celui qui s’interpose le plus souvent dans la discussion. Il suggère d’ailleurs un ajustement pour le tracé d’un receveur. Il croit que l’équipe adverse serait surprise puisqu’il effectue majoritairement ce que le plan initial propose.

 

Le moment est venu de se tourner vers l’immense écran où sont diffusés les jeux à décortiquer. On doit alors souligner le travail vidéo accompli par Rico Morotti et son adjoint Damian Cameron. Ce sont eux qui doivent être perchés en hauteur – et souvent dans le froid – pour filmer les entraînements.

 

Le rythme est rapide et les jeux s’enchaînent jusqu’au moment où Jones repère un correctif pour un tracé de Quan Bray. À l’aide d’un crayon informatique, il explique comment il doit courir davantage vers l’intérieur du terrain pour faire douter davantage le demi défensif à propos du côté qu’il bifurquera.

 

Jones s’arrête peu de temps par la suite sur une stratégie particulière.

 

« Si on tente ce jeu, assure-toi de bien regarder ce secondeur parce que la protection ne pourra pas le stopper. Mais je vais aussi t’en parler dans ton casque, je pourrai te le rappeler sur le coup », a précisé Jones à Adams fils.

 

Surgit alors l’occasion de taquiner Matthew Shiltz puisqu’une mauvaise décision d’un coéquipier a compliqué sa vie lors d’une répétition.

 

Mais ce n’est rien comparativement à l’erreur commise par Chris Matthews. Même s’il est un vétéran, il ne termine pas un tracé de manière adéquate et ça n’échappe pas à Jones.

 

« Je dois parler à Chris plus tard parce qu’il continue de le faire », a noté Jones.

 

Tout d’un coup, un silence envahit la pièce. Ça s’explique par la révision d’un jeu truqué qui peut encore être peaufiné et personne ne veut divulguer d’indices supplémentaires.

 

Par la suite, Jones remarque que son quart-arrière était plus nerveux sur un jeu. Ça s’explique parce que le jeune porteur de ballon, Christopher Amoah, cherchait quelque peu ses repères avant la levée du ballon.

 

« La chose avec les jeunes joueurs, c’est qu’ils ne savent pas l’impact qu’ils ont sur leur quart quand ils ont l’air indécis et qu’ils bougent. Le quart-arrière se met à penser à plein d’autres choses à l’exception des éléments sur lesquels il doit se concentrer », confie l’entraîneur.

 

La réunion se termine par une petite taquinerie envers Richard parce qu’il domine, grâce au Rouge et Or de l’Université Laval, un classement affiché et ajusté sur un tableau. Il est composé de la fiche actuelle des équipes universitaires de Jones et ses quatre quarts. 

 

Tel un chef d'orchestre avec une touche d'humour
 

Cette réunion de 30 minutes sera suivie par d’autres rencontres en équipe et en petits groupes. L’investissement doit se traduire par des résultats sur le terrain où les joueurs se dirigent à partir de 11 h.

 

Cette année, la musique anime les entraînements des Alouettes. Jones en raffole et on l’aperçoit en train d’enchaîner plusieurs pas de danse pendant qu’une pluie froide se met de la partie.

 

Khari JonesL’entraîneur en profite pour crier « Qui a peur de la pluie aujourd’hui? » avant de s’adresser à l’ailier défensif Antonio Simmons. « On dirait qu’Antonio veut aller sur les lignes de côté lui. Je le savais que tu n’aimais pas cette température », ajoute en riant l’entraîneur qui a joué à Winnipeg pendant quelques années. 

 

Mais Jones réagit encore plus fort par la suite quand il aperçoit LE vétéran du club.

 

« André, qu’est-ce que je vois? John Bowman est ici avec son casque! Ce sera une belle journée », a-t-il lancé à André Bolduc, l’entraîneur des demis offensifs, puisque Bowman a souvent opté pour des congés d’entraînement bien mérités à son âge (37 ans).

 

Toujours actif dans les entraînements, Jones s’empare d’un ballon pour le lancer vers Fabion Foote qui ne parvient pas à l’attraper.

 

« C’mon man! Maintenant, je dois effacer la passe que j’avais pour toi sur mon tableau », rigole l’entraîneur qui a accepté d’être muni d’un micro durant l’entraînement.  

 

Quand l’action démarre aux abords du Stade olympique, Jones ressemble à un chef d’orchestre qui surveille chaque geste de ses joueurs. Bombardé de questions, il indique le chemin à suivre avec calme et respect.

 

Jones dirige l’entraînement avec doigté parce que la préparation a été effectuée en amont. On retiendra un dernier commentaire de cette pratique.

 

« Peu importe ce qui arrivera, c’est ce jeu qui va nous aider jusqu’à la coupe Grey. Je l’aime! », a conclu Jones.

 

Si on dit que le secret est dans la sauce, Jones a joué ce rôle avec les Alouettes en 2019. Il s’est avéré l’élément qui a effectué la liaison dans le groupe et qui a rehaussé le rendement des joueurs tout en y ajoutant, au grand bonheur des partisans, un peu de piquant avec quelques années trop fades.