Deux éléments sont ressortis dans l'étonnante victoire de 50-17 des Alouettes sur les Lions de la Colombie-Britannique, dimanche dernier : l'attaque a carrément explosé dans un match qui aurait pu être le dernier de la saison et la foule de 15 000 spectateurs s'est avérée la déception du jour. Et je dirais que le deuxième aspect a été plus commenté que le premier.

Montréal est une ville qui a l'habitude de se pâmer pour ses équipes gagnantes. Ça veut dire qu'un potentiel de 10 000 spectateurs a totalement ignoré une fin de saison ponctuée de huit victoires en 10 parties, en boudant probablement une formation qui s'est attirée une bonne part de dénigreurs en se comportant comme une équipe de ligue de garage durant la première tranche du calendrier.

Jonathan CromptonLe football de la Ligue canadienne a toujours été fragile au Québec. Tant que les Alouettes additionnaient les participations aux éliminatoires, tant qu'ils remportaient des championnats de la saison régulière et des coupes Grey, la vie était belle pour cette équipe qui avait ressuscité sous la bannière des Stallions de Baltimore en 1996 et qui était guidée par un directeur général, Jim Popp, qui allait s'élever au rang des meilleurs architectes de la ligue.

Par contre, dès que les Alouettes deviennent une formation ordinaire ou dès qu'ils traînent dans les bas-fonds du classement, comme ce fut le cas pour une partie de la saison, on perd vite de l'intérêt. Dans cette ville, on pardonne tout au Canadien et on ne pardonne pas grand-chose aux autres.

On a tenté d'expliquer cette petite foule pour un match crucial en invoquant deux excuses qui ne tenaient pas la route. On a parlé du temps froid. Il ne faisait pas chaud, mais c'était une température comme l'apprécient les vrais partisans de football. On a dit que les Alouettes avaient eu peu de temps pour vendre ce match. Voyons donc. On avait généralement deux semaines pour vendre près de 60 000 billets à l'occasion d'un match éliminatoire présenté au Stade olympique. La dernière fois, en 2010, on en a vendu 58 000 pour la finale de l'Est. Cette fois, on a eu une semaine pour écouler 25 000 billets, dont une vingtaine de mille appartenaient déjà à des habitués du Stade Percival-Molson.

Dans les bureaux des Alouettes, on savait déjà que les choses ne seraient pas faciles. Selon une source bien informée, l'équipe donne environ 2 000 billets par match durant la saison régulière. Dans le but de générer les ventes pour le match contre les Lions, on pouvait acheter trois billets et en recevoir un quatrième gratuitement. Ce qui est une erreur de marketing car en donnant des billets, on diminue la valeur du produit. Et dès qu'on met fin à cette politique, le client a l'impression qu'on lui retire un avantage.

Parlez-en aux Panthers de la Floride qui, pendant des années, ont distribué gratuitement des billets dans le but de remplir les gradins. Cette saison, le propriétaire a décidé de mettre fin à tout cela. Or, regardez ce qui se produit depuis le début de la saison. Les estrades n'ont jamais été aussi dégarnies.

Tout reposait sur Anthony Calvillo

Les Alouettes sont aussi victimes de leurs succès passés avec Anthony Calvillo au poste de quart. L'organisation en avait fait son porte-étendard. Il était devenu l'image de la concession, son sauveur à l'occasion des matchs cruciaux. Une fois Calvillo parti, on aurait dit que c'était devenu moins intéressant pour les amateurs. On n'avait plus un joueur précis auquel on pouvait vraiment s'identifier. Ce n'est pas une coïncidence si la meilleure foule de la saison a été enregistrée à l'occasion du retrait de son chandail. On est resté attaché à Calvillo, même à la retraite.

Avec le temps, les Alouettes ont perdu leur personnalité en Larry Smith et leur identité en Calvillo. C'est Smith qui était allé chercher les amateurs un à un, en parcourant toutes les régions du Québec, quand ils avaient repris leur place dans la Ligue canadienne. Il avait été si persistant qu'il avait fini par les intéresser à une équipe dont ils s'étaient lassés à une époque où les Alouettes boudaient leur maigre clientèle francophone.

En tout respect pour le président actuel, Mark Weightman, je ne crois pas qu'aller au-devant des amateurs soit son point fort. On le voit prendre part à quelques points de presse et accorder occasionnellement des entrevues à la télé. Du strict point de vue du public, sa visibilité s'arrête là. Même s'il est le président d'une concession professionnelle de sport, je ne crois pas que l'homme de la rue sait qui il est.

À la base, Weightman est un gars d'opération. Toute la logistique entourant la présentation d'un match est sa spécialité. On est loin ici d'un orateur qui pourrait sortir de son bureau pour aller prêcher la bonne parole aux amateurs de football. Or, les Alouettes auraient sans doute besoin que quelqu'un reprenne le bâton du pèlerin en allant s'adresser à des amateurs un peu désabusés en ce moment.

Une équipe en danger?

Si les amateurs ont eu droit à une douche froide avec le mauvais spectacle qu'on leur a servi dans la première portion du calendrier, une victoire contre les Tiger-Cats de Hamilton dimanche pourrait probablement leur permettre de refaire le plein d'enthousiasme.

Le message que le public a servi aux Alouettes dimanche dernier ne peut pas être pris à la légère. Il y a un noyau dur de 15 000 vrais amateurs de football à Montréal. Le reste du public est à conquérir de semaine en semaine si on veut garder le stade occupé.

Je ne crois pas que les Alouettes soient en danger même si des signes avant-coureurs d'un public désabusé avaient été notés avant qu'ils disparaissent de la circulation la dernière fois. Bien sûr, le Stade olympique était difficile à remplir à l'époque, mais le simple fait qu'on ne soit jamais parvenu à faire salle comble au Stade Molson après l'ajout de 5 000 sièges et qu'on a dénombré 10 000 bancs vides pour un match des éliminatoires la semaine dernière représentent une forme de message qui ne peut pas être ignoré.

La base de football est nettement plus solide au Québec qu'elle ne l'était dans le temps. Le football se pratique dans les écoles et au sein de diverses associations de football. Les universités du Québec offrent aussi un spectacle de qualité qui pourrait s'avérer un heureux compromis au football de la Ligue canadienne si jamais on évaluait mal ce qui se passe.

Les Alouettes, selon ce qu'on me dit, seront en sécurité dans le marché montréalais tant que Robert Wetenhall en sera le propriétaire. Wetenhall n'est plus jeune et n'a pas une santé de fer, mais il aime toujours autant son équipe.

Mais qui sait ce qui pourrait se passer au sein de cette organisation qui ne fait pas souvent les choses comme les autres? Quand le propriétaire se charge de choisir l'entraîneur sans en aviser son directeur général, tout peut arriver.

Jim Popp, qui est le grand responsable des succès répétés des Alouettes depuis leur retour il y a 18 ans, aurait difficilement pu encaisser un plus grand affront. Heureusement qu'il n'a pas levé les feutres car durant la période inquiétante qui a marqué le début de saison de l'équipe, c'est encore lui qui a su trouver des solutions pour replacer la situation.

En triomphant des Tiger-Cats dimanche, on passerait l'éponge sur ce qui aurait pu devenir la saison la plus catastrophique depuis la renaissance des Alouettes.