Je ne pense pas être le seul à être déçu de la performance des Alouettes. La défaite face à Vancouver la semaine dernière n’était pas très honorable non plus, mais quand on connaît l’historique de l’équipe là-bas, peu s’attendaient à ce qu’elle gagne de toute façon. On se disait qu’on allait apprendre de la défaite, qu’on allait se regrouper et sortir fort la prochaine fois, et pourtant… C’est ce qui fait que la déroute face aux Argonauts est encore plus douloureuse aujourd’hui pour les partisans, les joueurs, les entraîneurs, bref, tout le monde. On a eu deux semaines de préparation, donc offrir une telle performance après un long repos et du temps supplémentaire pour décortiquer la stratégie de l’adversaire et regarder des vidéos, ça ne laisse aucune excuse.

D’habitude, les formations profitent de leur semaine de repos supplémentaire, car c’est un avantage marqué au niveau physique et aussi stratégique. Cette année, Calgary est revenu de sa pause avec une victoire de 34-15 à Toronto, et Hamilton, qui avait alors une fiche de 0-2, a perdu à Calgary 10-7 par la suite mais a été très compétitif. Saskatchewan a pour sa part rincé Toronto 37-9. Seuls les Alouettes se font fait écraser, au compte de 31-5. Et attention, la semaine prochaine, les Als affronteront les Eskimos qui à leur tour reviendront d’un congé. Ils feraient mieux d’attacher leur tuque et d’être prêts car Chris Jones et ses hommes seront tout feu tout flamme.

Les entraîneurs ont leur part du blâme

Bien sûr, ce sont les joueurs qui jouent sur le terrain, mais après une telle contre-performance, je suis obligé de dire que ça ne fait pas bien paraître le groupe d’entraîneurs qui devaient préparer le plan de match. Ce sont les premiers que je pointe du doigt. On a eu l’air complètement perdu, on n’a pas présenté un gros plan de match, on n’a rien vu d’excitant en attaque et on n’a pas élaboré de nouvelles stratégies. C’est certain qu’il faut faire avec les joueurs disponibles et qu’on a des problèmes à la position de quart-arrière, mais Toronto a pourtant été capable de performer malgré ses propres contraintes. Leurs quatre meilleurs receveurs étaient absents, mais ça ne les a pas empêchés pour autant de trouver des solutions. Ils ont utilisé leurs porteurs de ballon comme receveurs de passe; Steve Slaton et Anthony Coombs ont été les joueurs les plus occupés et ils ont attrapé plusieurs ballons. Plutôt que de baisser les bras, ils se sont retroussé les manches et sont venus à Montréal pour se battre. Je leur dis bravo.

Le football est un sport de stratégie, mais être aussi amorphe et déployer un plan de match aussi peu fonctionnel, c’est inquiétant. Les entraîneurs disent que l’équipe a du talent, mais c’est un mot bien dangereux. Si l’équipe a vraiment du talent, comment se fait-il qu’elle perde alors? Ça ouvre la porte à des critiques envers les entraîneurs, car ça veut dire qu’ils ne savent pas mettre ce talent à profit. Même si c’est aux joueurs de réussir l’exécution, les instructeurs doivent les placer dans les bonnes conditions pour bien paraître et faire des jeux.

Personnellement, j’ai senti en attaque que les joueurs n’achètent pas ce qu’on essaie de leur vendre. On dirait que les joueurs ont accepté leur sort, qu’ils se sont résignés, surtout devant les changements de quarts qui ne donnent rien. Même après le match, personne n’avait de réponse pour expliquer la situation. C’est quand même particulier d’entendre les joueurs dire « on semble perdu », « on s’enfonce », puis les entraîneurs déclarer « je n’ai pas de solution », « on ne sait pas quoi faire ».

Perdre contre Winnipeg 34-33 sur le dernier jeu du match, c’est une chose. On pouvait au moins se dire que c’était captivant et qu’on a donné un spectacle, que les gens ont eu du plaisir au stade et qu’on est passé près de gagner. Je suis capable d’accepter ça. Mais contre Toronto, c’était catastrophique, voire honteux. J’ai déjà été impliqué dans ce genre de match quand j’étais joueur et mes coéquipiers se sentaient cheaps, on était gêné avec raison.

Certaines séquences en particulier m’ont sauté aux yeux. On a gaspillé deux temps d’arrêt à cause de cafouillages au niveau de substitutions de joueurs. En plus, après avoir pris un de ces temps d’arrêt, on s’est fait prendre sur le jeu suivant en deuxième essai et 2 verges avec une pénalité de 10 verges pour trop de joueurs sur le terrain. Au lieu d’avoir un troisième et 2 et de peut-être avoir la chance de continuer la séquence, on est tombé en troisième et 12 et on a dû dégager. Ce sont pour moi des exemples flagrants du chaos qui régnait sur les lignes de côté et ce n’est pas bon signe. C’est le travail des coachs d’être structurés et de guider les joueurs.

L’indiscipline a aussi continué. Ça reflète possiblement un manque de concentration et, une fois de plus, une préparation déficiente. On a écopé 12 pénalités pour des pertes de 118 verges. C’est presque plus que l’attaque nette des Alouettes, qui était de 125 verges. On a presque complètement annulé notre attaque! On a eu plus de bottés de dégagement (12) et plus de pénalités (12) que de premiers essais (9)…

En même temps, c’est difficile de critiquer le personnel. Être entraîneur, c’est une vocation, mais c’est aussi un boulot ingrat. Il faut être dévoué, travailler comme un forcené, et je ne veux pas remettre ça en question, mais visiblement il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. En gros, les entraîneurs des Argonauts ont été meilleurs que ceux des Alouettes vendredi et c’est la même tendance chez les joueurs. Il y a beaucoup de travail à faire.

La chaise musicale

En attaque, le jeu de la chaise musicale à la position de quart m’a surpris. Je n’ai pas compris la stratégie. Qu’on sorte Troy Smith parce que l’attaque ne fait pas avancer le ballon, ça se comprend parce qu’on l’avait averti que la laisse serait plus courte après avoir disputé les quatre premières rencontres. Mais j’ai été surpris qu’on le fasse aussi rapidement. Peut-être qu’il a fait certaines bévues que nous n’avons pu déceler comme spectateurs... Cela dit, on n’a pas donné la chance à Alex Brink de se faire valoir. Brink n’est peut-être pas la solution à long terme, mais on aurait dû lui donner la chance de se prouver comme Smith a eu sa chance. On lui a fait faire quelques séquences, puis on a ramené Smith pour la dernière séquence de la première demie avant de l’envoyer commencer le troisième quart. Après avoir complété une passe en trois tentatives pour 36 verges, on le retire du match à nouveau et on renvoie Brink dans la mêlée pour terminer la partie... C’était une stratégie incompréhensible à mes yeux.

Troy SmithJ’ai hâte de voir qui sera le partant face à Edmonton. Qu’on lui donne la chance de se préparer, qu’on lui donne des répétitions sur la première unité et un vrai test pour pouvoir l’évaluer comme il faut. Smith a été 5 en 10 pour des gains 63 verges, et Brink a été 9 en 23 pour 60 verges et une interception pour un retour de touché. Quand il y a aucune production sur le premier essai, on se retrouve en deuxième et long, et dans de telles circonstances, avec des quarts qui manquent d’expérience et qui ne sont pas des athlètes d'élite à cette position, c’est jouer avec le feu.

Mais à la défense des quarts, ce fut un jeu d’erreurs généralisé. Parfois les blocs étaient ratés, parfois le quart manquait de précision, parfois le receveur ne suivait pas le bon tracé, parfois une pénalité était appelée sur un bon jeu et celui-ci était donc annulé, et parfois un porteur ratait un blitz sans protection. Sur un terrain de football, les 12 joueurs doivent faire le travail. Par exemple, Alex Brink a à un certain moment réalisé tout un jeu en évitant la pression et en rejoignant Chad Johnson sur plus de 30 verges, mais une pénalité pour avoir retenu contre la ligne à l’attaque a été appelée. À un autre moment, Toronto a amené un blitz du maraudeur en plein centre de la protection et a réussi à se faufiler pour réussir un sac du quart parce que Dahrran Diedrick bloquait à l’extérieur plutôt qu’à l’intérieur.

Les pénalités ont souvent provoqué un mauvais positionnement sur le terrain. Je me souviens au troisième quart, en raison de pénalités sur des retours de bottés, on a commencé une séquence à ligne de 9 et même une autre à la ligne de 3. Avec une telle attaque, ça devient difficile de traverser un terrain de 100 verges. En cinq matchs, les Moineaux sont entrés dans la zone payante seulement cinq fois, et pas une seule fois en 50 jeux contre Toronto. Le plus loin qu’ils se sont rendus, c’est à la ligne de 37 alors que la zone payante commence à 30. Ils ont aussi traversé le centre à 11 reprises seulement sur ces 50 jeux, dont deux fois en deuxième demie, et ils n’ont pu aller plus loin qu’à la ligne de 46.

Les options s'épuisent

Il y un ensemble de facteurs, mais ce qui m’a surtout étonné, c’est la performance de la ligne à l’attaque. C’est rare qu’elle ne joue pas un bon match, mais vendredi n’a pas été une bonne journée au bureau. J’ai été surpris par l’élément physique du front défensif de Toronto. Je pensais que c’était une bataille que les Alouettes pouvaient gagner. Je dois cependant lever mon chapeau au front défensif de Toronto qui a été excellent. Il n’y a qu’à regarder les statistiques des Alouettes pour constater son efficacité : Brandon Whitaker n’a obtenu que 12 courses pour 31 verges, une moyenne de 2,6 verges par course. L’attaque au sol a été anéantie, surtout en situation de courts gains. En 2e et 3, on s’est fait plaquer pour une perte d’une verge, en 3e et 1, une faufilade de Tanner Marsh a été arrêtée et on a perdu deux verges, puis en 2e et 2, on a tenté une course mais on a perdu 1 verge. Toronto a été beaucoup plus physique et affamé.

Larry TaylorJe pose la question aux amateurs : si vous affrontiez les Alouettes, auriez-vous peur de leur jeu aérien? Je ne penserais pas…

Ça risque du même coup d’être de plus en plus difficile de courir contre l’adversaire, parce que tant que les Alouettes n’ont pas prouvé qu’ils sont capables de lancer le ballon avec succès de façon constante, on va s’arranger pour limiter ce qui fonctionne, soit le jeu au sol. Brink et Smith devront forcément finir par retrouver leur bras et le plus gros défi sera de trouver des solutions rapidement pour le jeu aérien parce que le jeu au sol va éventuellement être menotté.

Je ne trouve d’ailleurs pas qu’on utilise bien nos receveurs. Ils sont très statiques et il n’y a pas de croisements. Je vois rarement des receveurs complètement démarqués et ça semble prévisible pour la défensive adverse. Ça fait en sorte que le receveur doit effectuer un attrapé spectaculaire ou qu’il doit constamment se battre en ayant un demi défensif dans les jambes. Le quart-arrière, lui, doit faire des passes parfaites à travers une couverture serrée. Les gars ont besoin d’espace pour travailler et de marge de manoeuvre.

Aussi, la défensive et les unités spéciales sont condamnées à réussir de gros jeux. Leur mission première est de créer des opportunités supplémentaires pour l’attaque, de créer des revirements et surtout de créer de courts terrains. Contre Ricky Ray, on a créé un seul revirement et obtenu un seul sac du quart. Avec les déboires de l’attaque, on a de la misère à coller deux premiers jeux d’affilée.

Par contre, le vrai problème ne se trouve pas en défensive. Même malgré un résultat de 31-5. Elle ne pouvait évidemment rien faire sur l’interception retournée pour le touché et les Alouettes ont aussi accordé deux touchés de sûreté. Ils ont donc tout au plus concédé 20 points et c’est du bon travail. La seule énigme que la défensive n’a pas réussi à résoudre, c’est quand Steve Slaton a été utilisé comme receveur de passe plutôt que porteur. Les Argos ont été astucieux en l’isolant sur ses deux touchés par la passe, la première fois contre Kyries Hébert, un secondeur physique mais peut-être pas assez fluide sur sa couverture de passe, et la deuxième fois contre Marc-Olivier Brouillette, un gars similaire à Hébert, c’est-à-dire un gars physique qui blitz mais qui n’est pas nécessairement le meilleur en couverture de passe. Ce n’est pas un hasard s’ils ont été opposés l’un à l’autre.

Bref, ça va jaser fort entre les entraîneurs parce qu’il faut vite trouver des solutions. Higgins a dit ne pas savoir encore qui serait le partant lors du prochain match, mais la décision devra venir rapidement puisqu’ils recommencent à s’entraîner dès lundi. Tout le monde doit se regarder dans le miroir, tout le monde doit en faire plus. J’aimerais voir les entraîneurs soutenir davantage leurs joueurs et prendre davantage le blâme. J’aimerais entendre les entraîneurs dire qu’ils ont mal préparé leur équipe, que c’est à eux de placer les dans une position gagnante, un peu comme Scott Milanovich a déjà fait avec sa propre équipe.

Cela dit, en dépit des ennuis, on n’a pas le choix de s’accrocher et de rester positif. Après tout, il reste encore 13 matchs et si les Alouettes se ressaisissent, ils ont encore des chances de terminer au premier rang et de participer aux éliminatoires. Ils sont encore dans le coup, à une victoire de la première place, et ce serait fou d’abandonner.

*Propos recueillis par Audrey Roy