S’il n’avait pas porté un nom de famille aussi illustre, déjà glorieusement porté et véhiculé par un frère aîné superstar, Henri Richard aurait fort bien pu s’appeler Henri Le Grand. s’il avait eu une petite idée du destin qui lui était tracé, évidemment. Un destin qui a également fait de lui un personnage plus grand que nature.
 

Un athlète immensément plus grand que l’a indiqué son gabarit de cinq pieds, sept pouces et de 160 livres.


Tu parles d’une malchance! Tu as un frère patineur déjà célèbre, tu adores le hockey et tu rêves de suivre ses traces dans un chandail tricolore et tes ambitions ont le malheur d’habiter un corps qui ne se prête surtout pas à ce genre de carrière.


Une malchance? Quelle malchance? Henri n’y a même jamais pensé. La flamme ardente qui brûlait en lui était bien suffisante pour mettre du gaz dans ses patins. Il a utilisé l’énergie débordante, dont il faisait preuve dans tous les amphithéâtres du circuit, pour culbuter des rivaux tous plus grands et plus gros que lui. Il s’est même fâché contre son frère quand le bouillant Rocket s’est porté à sa défense à ses premiers moments dans la Ligue nationale parce qu’il se croyait parfaitement capable de prendre soin de lui-même. Ce qu’il a fait durant 20 ans, d’ailleurs. Même s’il s’est battu souvent, contrairement à son frère, il n’a jamais été suspendu. On a déjà dit de lui qu’il avait un coeur de poids lourd dans un corps de poids coq.

 

C’était évident qu’il jouerait toute sa carrière dans l’ombre du Rocket qui avait eu le temps de marquer 422 buts en 13 saisons avant son arrivée dans l’équipe. Un frère déjà l’idole d’un peuple. Comment aurait-il pu se frayer un chemin dans le hockey sans avoir à subir des comparaisons inévitables dont il n’avait aucune chance de sortir gagnant?
 

Dès le départ, on l’a affublé  d’un surnom qui lui a collé à la peau jusque dans la mort. Pour tout le monde, il y avait le Rocket. Lui, il serait le « Pocket Rocket ». Point final.
 

Un autre que lui se serait senti écrasé par le poids d’une telle image. Henri a patiné sans s’en soucier. Il voulait juste jouer au hockey. Il était heureux de faire sa place dans la cathédrale du hockey en contribuant à son tour à faire gagner la seule équipe qui comptait vraiment pour les Québécois. D’être « seulement » le Pocket ne l’a privé de rien. Il patinait comme le vent. Il marquait des buts importants et gagnait des coupes Stanley plus souvent qu’on croyait la chose potentiellement réalisable.
 

Il a été adulé. Il ne le disait pas publiquement, mais c’était important pour lui d’être aimé par les amateurs. En 2001, 26 ans après sa retraite, quand il a pris la décision de vendre les principaux objets reliés à sa carrière, il s’est inquiété de la réaction du public en craignant qu’on le lui reproche, même s’il ne le faisait pas que pour lui.Il a eu tort de s’en faire. Qui étions-nous pour lui adresser le moindre reproche après l’avoir vu en accomplir autant pour le Canadien et le hockey en général? Il a continué d’être aimé même quand l’Alzheimer, une maladie atrocement cruelle, nous a privé de son image publique.
 

Je l’ai aimé, Henri. Les journalistes l’ont beaucoup respecté parce qu’il ne reculait jamais sur ses déclarations. Il n’a jamais été mal cité. Quand une déclaration le plaçait dans l’embarras, il ne reprochait jamais aux médias de l’avoir cité hors contexte. Il l’avait dit et il allait vivre avec cela.
 

On l’aimait aussi parce qu’il n’avait pas de  filtre devant un calepin de notes. Quand il a fait une colère terrible contre l’entraîneur Al MacNeil, en pleine finale de la coupe Stanley, on a craint qu’il perturbe l’équipe au point de lui coûter une coupe Stanley contre les coriaces Blackhawks de Chicago. Il a chassé tous les doutes et obtenu de brillante façon le pardon de ses coéquipiers en marquant les deux derniers buts de la finale dans une victoire de 3-2, dans un Chicago Stadium éberlué. Ce soir-là on a cru revoir le Rocket tant l’exploit réussi sous une pression énorme a été grand.
 

L’illustre Toe Blake a déjà dit de lui qu’il était un joueur plus complet que son frère. Personne ne possédait une habileté plus naturelle que le Rocket pour marquer des buts, mais Henri pouvait accomplir plus de choses sur la patinoire. Venant d’un entraîneur peu porté sur les compliments, la remarque valait son pesant d’or. Il a connu une carrière exceptionnelle, mais son parcours aurait peut-être été plus grand s’il ne s’était pas déroulé dans l’ombre de la bête de scène qu’a été son frère.
 

Quand on essayait de lui faire parler de ses 11 coupes Stanley, il bougonnait en répétant qu’il avait été chanceux. Ce qui était un peu vrai. Pour célébrer autant de championnats, il faut non seulement appartenir à une équipe extraordinaire, mais il faut  pouvoir être présent durant ses plus grands moments de gloire. Ça lui est arrivé et cela a donné un record dont les plus grands de son sport ne peuvent même pas rêver de s’en approcher.
 

Au fait, comment peut-on répondre au surnom de Pocket quand on a été aussi grand?


Je n’ai pas de mal à imaginer tout le chagrin que ressent Lise Richard en ce moment. L’homme qu’elle a marié il y a plus de six décennies et qui lui en a fait voir de toutes les couleurs quand les choses n’allaient comme il le souhaitait s’est éteint après plus de 10 ans d’une maladie implacable. Elle l’a visité quotidiennement durant toutes les années de son hospitalisation.

 

Elle lui a parlé doucement, l’a caressé tendrement, même si Henri ne reconnaissait pas toujours le premier et unique béguin de son enfance et la seule femme qu’il ait souhaité épouser.

Il manquera beaucoup à Lise, ses cinq enfants et ses nombreux petits-enfants et arrière-petits enfants. Au Québec aussi par la même occasion