MONTRÉAL - S’il est bel et bien vrai qu’Andrei Markov a décidé qu’il était temps de prendre sa retraite, il est impératif de saluer cette décision et de l’auréoler de dizaines de qualificatifs élogieux, voire de superlatifs, afin de rendre au défenseur russe les honneurs qu’il mérite.

 

À mes yeux, Andrei Markov est le meilleur défenseur à avoir endossé l’uniforme du Canadien depuis près de 30 ans. Certainement depuis la dernière conquête de la coupe Stanley. Rien de moins!

 

Devant Shea Weber? Devant le Shea Weber d’aujourd’hui qui est encore excellent dans plusieurs aspects du jeu, mais qui n’est plus aussi dominant qu’il l’était à son apogée avec les Predators de Nashville.

 

Devant Éric Desjardins? À mes yeux oui. Et c’est tout un compliment parce que Desjardins a connu une brillante carrière.

 

Devant P.K. Subban? Bien sûr devant P.K. que Markov a contribué à rendre meilleur en lui servant d’ancrage solide pour lui permettre de jouer à l’épouvante comme il savait si bien le faire. À cause de son talent naturel et de ses qualités indéniables, Subban lui a également retourné l’ascenseur – ce que Mike Komisarek n’a jamais pu faire – alors que les deux arrières ont sans doute composé le meilleur duo de défenseurs du Canadien depuis très, très longtemps.

 

Mais quand on plonge dans nos souvenirs et qu’on revoit Markov évoluer sur la patinoire, il est clair que cet arrière qui excellait dans toutes les facettes du jeu est dans une classe à part. Sans oublier que son flegme rappelant les grands joueurs soviétiques de l’avant chute du mur de Berlin le limitait à du jeu brillant qui n’attirait pas, ou pas assez, les éloges.

 

S’il avait été plus spectaculaire, plus flamboyant, Andreï Markov aurait joui de la même popularité que celle de P.K. Subban. Mais voilà! Ce n’était pas son genre. Ce n’était pas son style.

 

En 16 ans de carrière à suivre les prouesses de Markov à Montréal, je crois l’avoir vu sortir du moule de bronze qui le caractérisait quatre fois seulement. OK! C’est peut-être arrivé cinq ou six fois, mais je me souviens surtout des quatre exemples qui suivent.

 

1- Lors des cérémonies entourant le premier match à domicile du Canadien en 2015 alors qu’il avait pointé du doigt son compagnon de jeu lors de la présentation des joueurs...

 

2- Lorsqu’il a brandi son passeport canadien dans le vestiaire du Tricolore et permis aux photographes d’immortaliser ce moment qui semblait vraiment le rendre fier...

 

3- Lorsqu’il a invectivé Carey Price, en pleine partie, après que le défenseur et son gardien eurent visiblement perdu patience après un vilain jeu. Il me semble que c’était lors d’une défaite aux mains des Blues de St Louis qui avaient fait escale à Montréal, mais je peux me tromper. Un tableau avait d’ailleurs été fracassé dans le vestiaire avant l’entrée des journalistes...

 

4- Lorsqu’il m’a lancé : « je reviens dans quelques minutes », en sortant de la patinoire après un match à Vityaz en banlieue de Moscou où j’avais été dépêché par La Presse pendant le lock-out de 2012-2013. Habituellement très avare de commentaires, je m’attendais à être « snobé » par le défenseur qui m’avait ensuite parlé de tout et de rien pendant une « éternité ». Il m’avait même invité à l’appeler – oui, oui sur son téléphone cellulaire – pendant mon séjour dans sa Russie natale. On ne rit plus!

 

Markov parlait peu. Certains de ses coéquipiers diront qu’il ne parlait pas du tout. Sa manière de prendre la parole, c’était en jouant au hockey. Et à ce jeu, il était un grand orateur.

 

Au-delà les statistiques

 

Andrei Markov aura donné 119 buts et 572 points au Canadien dans le cadre des 990 matchs qu’il a disputés dans l’uniforme tricolore.

 

Une production phénoménale si l’on tient compte du fait que Markov est débarqué à Montréal au tournant du siècle alors que le bogue de l’an 2000 faisait bien plus de tort au Canadien qu’à tous les systèmes informatiques qui ont évité les catastrophes annoncées.

 

Ces points ne sont toutefois qu’un pâle reflet de la contribution de Markov.

 

Fort de sa vision, de son talent pour orchestrer des attaques, de sa grande capacité à se dissimuler lors d’attaques massives pour finalement apparaître tout près des buts adverses à la droite des gardiens qu’il a si souvent surpris lors d’attaques massives, Markov a été victime des équipes moches que le Canadien a envoyées sur la patinoire pendant sa carrière de 16 saisons à Montréal.

 

Il a aussi été handicapé par des blessures. Des tonnes de blessures. Et des blessures très sérieuses. Pensons à ses deux blessures au même genou; pensons à sa blessure au-dessus d’un pied alors que la lame d’un patin de Carey Price a traversé le bottillon du défenseur pour sectionner des tendons.

 

Des blessures qui ont contraint Markov à ne disputer que 57 matchs en trois saisons – de 2009 à 2012 – dont 20 parties, seulement en 2010-2011 et 2011-2012.

 

Comme si ce n’était pas déjà suffisant, Markov a été victime du lock-out qui a annulé la saison 2004-2005 et celui qui a amputé la saison 2012-2013 de 34 parties.

 

Comme plusieurs, j’ai longtemps cru que Markov ne pourrait pas se remettre d’autant de blessures plus sérieuses que les autres. Je ne croyais pas qu’en dépit son grand talent, il pourrait faite contrepoids à une si grande période d’inactivité accumulée au fil de quatre longues années.

 

Markov nous aura tout fait mentir.

 

Car non seulement est-il revenu aussi en forme et efficace après ces coups durs, mais il n’a raté que deux parties en quatre saisons.

 

Divorce difficile

 

N’eût été des blessures et 116 matchs ratés en raison des conflits de travail entre la LNH et ses joueurs, Andreï Markov aurait facilement atteint les 1200 matchs avec le Canadien. Il aurait peut-être fracassé la barre des 1300 parties. Ajoutant des dizaines de points. Peut-être même plus d’une centaine.

 

On ne le saura jamais.

 

Ces matchs ratés ont limité Markov à 990 parties disputées avec le Canadien. Ce manque à gagner de 10 matchs pour lui permettre d’atteindre le plateau plus que symbolique des 1000 matchs disputés dans l’uniforme du Canadien a rendu son divorce avec le Canadien plus difficile à comprendre. Plus difficile à accepter.

 

Surtout que lorsqu’il a décidé de plier bagage, de tourner le dos au Canadien et de rentrer en Russie, Markov avait encore du bon hockey à offrir. Il l’a démontré lors de ses deux saisons dans l’uniforme du Ak-Bars de Kazan avec qui il a soulevé la coupe Gagarine – l’équivalent de la coupe Stanley dans la KHL – en 2018.

 

Non seulement Markov avait-il encore du hockey à offrir, et du bon malgré 38 ans, mais le Canadien avait un grand besoin de lui sur un flanc gauche très dégarni. Sa perte a d’ailleurs fait très mal alors que les jeunes espoirs que le Canadien croyait en mesure de faire le saut ont été incapables de combler les brèches, et que les plus vieux acquis par le biais de transactions ou celui du marché des joueurs autonomes n’ont pas fait mieux. Ou si peu.

 

Le départ de Markov s’est donc fait dans la controverse. Une controverse qui n’a pas servi le joueur et encore moins l’organisation.

 

Surtout que cette controverse était en fait une histoire de quelques centaines de milliers de dollars. D’un million tout au plus.

 

Joueur de caractère, Markov négociait de manière serrée quand il était question d’argent. Si mes calculs sont exacts et que les informations obtenues sur Cap Friendly sont exactes – et elles le sont toujours – Markov a encaissé 66,25 millions $ pendant sa carrière avec le Canadien.

 

À la fin de sa dernière saison, Markov complétait un contrat de trois ans d’une valeur de 17,25 millions $. Un contrat identique à celui qu’il avait négocié six ans plus tôt.

 

À son âge, il n’était plus question d’offrir de contrat à long terme. Marc Bergevin lui a donc présenté une offre d’une saison, avec un salaire de base de 4 millions $ auquel s’ajoutaient des primes qui auraient moussé le salaire à un total de 5,5 millions $ si le Tricolore avait atteint les séries.

 

Markov tenait, semble-t-il, à un contrat de deux ans l’assurant d’un salaire de 6 millions $.

 

Bien sûr que les informations et les montants fluctuent selon qu’elles viennent d’un camp ou d’un autre. Mais ce qui est clair, c’est que les deux parties étaient trop près d’une entente pour que cette « union » se termine aussi bêtement qu’elle s’est terminée.

 

Markov a frappé à la porte du Tricolore l’automne dernier. Est-ce que le Canadien aurait pu ouvrir la porte de son vestiaire? Oui. Cela lui aurait permis d’aider les jeunes et d’atteindre les 100 matchs.

 

Est-ce que le Canadien aurait dû?

 

La réponse est moins évidente. Car bien que le clan Markov laissait circuler que plusieurs équipes s’intéressaient à ses services, c’est dans la KHL et non dans la LNH que le défenseur aura terminé sa carrière.

 

Malgré ce divorce, le Canadien doit rendre hommage à Andrei Markov pour tout ce qu’il a donné à l’organisation au cours de sa carrière.

 

Vivement une place sur l’anneau d’honneur

 

Comme Saku Koivu, qui a été son capitaine en début de carrière, Andrei Markov a été victime d’années difficiles chez le Canadien. Il a joué pour des équipes faibles, voire très faibles. Des équipes dont les insuccès à répétitions ont porté ombrage à ses grandes qualités. Des équipes qui n’ont pas été à la hauteur du défenseur qu’il était.

 

Pas question ici de lancer que Markov mérite que son chandail 79 soit accroché au plafond du Centre Bell. Ça non!

 

Mais comme dans le cas de Koivu, je suis convaincu que Markov mérite une place de choix sur l’anneau d’honneur qui ceinture le haut de l’amphithéâtre.

 

Et le plus tôt sera le mieux.

 

Markov à Montréal en chiffres