Le maillon de la chaîne le plus souvent retenu chez les amateurs de sport ou même chez ceux qui n’en sont pas, c’est celui de « l’athlète professionnel grassement payé, privilégié à l’extrême sur le plan matériel, pour qui les soucis de la vie ne sont guère plus que le choix de la voiture de luxe, la décoration du salon, la couleur des murs de la cuisine, le choix des vêtements de collection ». Un maillon véritable qui, j’en conviens, rend la compassion difficile quand celui-ci admet ses faiblesses devant l’adversité. Ce maillon, cependant, est le dernier d’une chaîne beaucoup plus complexe.

Car il y a un maillon plus important avant celui-là. « L’athlète professionnel grassement payé » est d’abord un athlète de pointe faisant partie de l’élite sportive, à qui la providence a donné des atouts, certes, mais qui a généralement trimé dur pour en arriver à ce statut et qui, encore aujourd’hui, déploie de gros efforts pour s’y maintenir sur une base continuelle, à tous les niveaux. Cela ne s’applique pas qu’aux hockeyeurs professionnels, mais à tous les sports, d’équipe ou individuels, peu importe qu’il y soit rattaché un gros, un petit ou aucun cachet!

Il y a par ailleurs, un autre maillon de la chaîne qui précède les deux premiers. Celui de l’athlète, tout court. Celui dont le parcours commence très jeune par le jeu, tout simplement, qui commence par ces moments de pur plaisir qu’on attend avec impatience toute la semaine, et ce, jusqu’au samedi matin. Ces moments d’abord encadrés généreusement et amoureusement par les parents, la famille, les amis et qui génèrent tellement de souvenirs impérissables, qu’ils mènent ou non, vers l’élite d’un sport!

Et il y a un autre maillon avant celui-là. Le plus important, du reste. Celui de l’être humain, avant celui de l’athlète. Celui du petit bout de chou qui pleure d’avoir raté le filet au soccer, de l’adolescente émerveillée d’avoir mieux réussi que prévu son double axel, du jeune prospect démoli de ne pas avoir été repêché, de la grande nageuse synchronisée qui voit son chum s’enlever la vie avant les Jeux olympiques, d’un sprinter troublé qui échoue sa demi-finale en solo mais qui court le 200 mètres de sa vie pour la médaille d’or en relais, d’une toute jeune femme et d’un tout jeune homme qui séduisent les amoureux du tennis autant par leur jeu que par leurs valeurs, celui d’un robuste secondeur de la NFL qui ose admettre son homosexualité, d’un hockeyeur surdoué qui croule sous les dettes de jeu, d’un autre qui crie son amour à son père analyste à la télévision, d’un DG de hockey qui souffre en silence après la disparition de sa fille tombée en mer, d’un joueur de quatrième trio qui devient admirablement sobre, d’un quart-arrière tourné en dérision en prolongeant indûment sa carrière…

Cette chaîne n’est pas un outil de vente créé de toute pièce pour défendre « l’athlète grassement payé ». Elle me fut inspirée, cette semaine par, justement… une athlète! Une athlète d’élite mondiale, une double médaillée olympique et donc, une athlète qui ne fut jamais grassement payée ni pour la pratique de son sport, ni pour ses exploits remarquables. Je parle de Roseline Filion.

La pression n’a pas de valeur monétaire

Invitée à notre webdiffusion Ma Parole, que vous pourrez entendre et voir sous peu sur cette plate-forme, l’ex-plongeuse et nouvelle collègue commentatrice de sport a parlé avec générosité et puissance de la grande notion de pression qui pèse sur les athlètes d’élite. Pression toute aussi grande sur le gardien de but, le lanceur au baseball, le quart-arrière au football que sur les épaules de l’athlète olympique qui met quatre longues années à se préparer et n’a, la plupart du temps, qu’une toute brève opportunité d’y réussir, sans droit de reprise.

Tout en admettant que les médias sociaux ont un poids beaucoup plus lourd sur les professionnels des grands sports majeurs et, donc, qu’elle a été grandement épargnée de la haine, de la dérision et de la méchanceté gratuites dont sont souvent victimes les stars, Roseline admet cependant que la peur de « décevoir » son pays est un facteur lourd, qui gravite constamment autour des athlètes olympiques, surtout s’il sont porteurs d’espoir de médailles. Pour eux, il n’y pas d’équivalent au concept « d’un match dans deux jours pour se reprendre ». Ça passe ou ça casse, sur le moment! Dans le dernier cas, on met quatre ans pour une autre chance. Quatre autres années de milliers de sacrifices, pratiquement de cloître, avec la plupart du temps une assez maigre pitance pour subsister. Voilà où se situe la cruelle différence pour les « olympiens ».

Mais en bout de ligne, Roseline Filion revient à la notion de base qu’on oublie trop souvent : les athlètes de haut niveau, quelle que soit leur discipline, quel que soit leur statut, quelle que soit leur richesse, ressentent d’abord et avant tout… leur propre pression! Celle qu’ils s’imposent jusqu’au bout du rouleau, celle du dépassement personnel, celle du progrès constant, celle de toujours devancer leurs adversaires et ce, à grands coups d’efforts, parfois démesurés, au quotidien. Tout cela, aussi, avec en toile de fond, les rigueurs de plus en plus exigeantes de leur vie publique, vie publique qui s’accompagne d’un cahier de charge de plus en plus lourd. Dans bien des cas, sur ce chemin, il y a un amoureux, une amoureuse, des enfants, qui ne demandent que d’avoir, eux aussi, leur petit bout de bonheur avec celui ou celle qui l’amateur de sport ou le partisan pur et dur croient posséder en exclusivité. Or, tant que tout cela sert de motivation quotidienne et aide à nourrir la passion, ça va. Le jour où, en se levant le matin, on ressent les premières lourdeurs de cette vie-là, l’alarme vient de sonner.

« Aucun athlète ne vit tout cela de la même façon », dit Roseline. Avec Meaghan Benfeito, elle admet avoir eu cette complicité dès le départ, ce qui fut, en quelque sorte, une bouée de sauvetage, à plusieurs reprises. « On fut les premières à rire sur la tour, avant un plongeon », rappelle-t-elle. Mais il y eut aussi les thérapeutes, les experts en psychologie sportive, qui étaient là, très tôt dans sa carrière. Mais si cet encadrement n’est pas aussi accessible ou, pire encore, si l’athlète refuse d’y recourir ou même de s’ouvrir à son entourage, alors il est possible de frapper le mur, éventuellement.

Le point commun qui réunit donc tous les grands athlètes de la planète, unanimement, peu importe leur sport, leur richesse, leurs statistiques, leurs records, leurs conquêtes, leurs échecs, c’est qu’ils sont humains.

« Quoi? Ils sont humains, dites-vous? »