VANCOUVER - Lorsque les Canucks ont sélectionné le gardien letton Arturs Silovs à titre de premier choix de la sixième ronde, les partisans encore présents dans les gradins du Rogers Arena ont aussitôt applaudi l’annonce.

 

Ils n’ont pas dénoncé le fait que les Canucks venaient de tourner le dos aux porte-couleurs des Giants, le club junior de Vancouver. Ils n’ont pas décrié le fait que les Canucks venaient de préférer un obscur gardien défendant les couleurs de Riga dans la ligue junior en Russie à un hockeyeur de la Colombie-Britannique. Ils ont applaudi en se disant : on verra dans trois, quatre ou cinq ans si cette décision a été la bonne.

 

Lorsque, 14 rangs plus tard, le Canadien a sélectionné Arsen Khisamutdinov, un gros centre qui évolue également dans la ligue junior de Russie, les partisans de l’équipe ont crié au scandale. Ils ont déploré le fait que le Canadien, à commencer par leur responsable du recrutement amateur Trevor Timmins, tournait une fois de plus le dos aux jeunes hockeyeurs du Québec.

 

Cette grogne avait commencé vendredi soir avec la sélection de l’Américain Cole Caufield qui, en dépit du fait qu’il ait battu les records de buts marqués par les Phil Kessel et Auston Matthews dans le programme de développement américain, était tout simplement trop petit pour connaître du succès dans la LNH.

 

« Encore un nain », martelaient plusieurs partisans sur les médias sociaux.

 

Cette grogne s’est poursuivie tout au long de la journée samedi alors qu’on lapidait Timmins et ses dépisteurs de critiques et d’insultes. Pas assez de Québécois! Pas assez de joueurs de talent! Encore des choix gaspillés! En voulez-vous des critiques, en voilà! Et je vous épargne les insultes qui dépassaient carrément les bornes.

 

Au milieu de ces rafales de critiques et d’insultes se glissaient heureusement des commentaires plus posés, souvent plus réfléchis, qui mettaient en contexte les besoins du Canadien et les réalités du déroulement du repêchage. Des besoins et des réalités qui compliquent un travail qui l’est déjà énormément.

 

Comme quoi le mandat de Trevor Timmins de satisfaire à la fois ses patrons et tous les partisans du Tricolore tout en respectant une grille d’évaluation que lui et son équipe ont mis des mois à concocter relève de la mission impossible.

 

Ou presque!

 

Cote A+ pour la banque d’espoirs du CH

 

Le repêchage est une science inexacte. Un club qui trouve le moyen de faire trois bonnes sélections que les sept qu’il effectue – selon la norme annuelle – frappe un coup de circuit.

 

Comme tous les clubs et tous les directeurs du recrutement amateur, le Canadien et Trevor Timmins ont commis des erreurs au fil des ans. Plusieurs même. Ils en ont peut-être commis en fin de semaine à Vancouver. Et vous savez quoi? Ils en commettront d’autres, car les erreurs sont intimement associées à la nature du travail de projection qu’ils doivent effectuer à longueur d’année.

 

« Nous pensions voir Caufield dans le top-10 »

N’en déplaise à leurs nombreux détracteurs, Trevor Timmins et son équipe de recruteurs jouissent d’une très bonne réputation autour de la LNH auprès des spécialistes qui connaissent ce travail ingrat bien plus que moi. Et j’ajouterais, avec respect, bien plus que la grande majorité de ceux et celles qui invectivent Timmins et son équipe.

 

Ancien directeur général des Flames de Calgary, mon collègue Craig Button de TSN est l’un de ces spécialistes en repêchage qui considèrent que Timmins et son groupe donnent des joueurs de qualité au Canadien.

 

Dans une compilation du travail de recrutement effectué par les sept équipes canadiennes au fil des dernières années, compilation qui sera mise en ligne lundi sur le site de nos cousins de TSN.ca, Button donne la cote A+ à la banque d’espoirs concoctée par Timmins et ses recruteurs.

 

« Le Canadien compte sur l’un des plus beau et plus complet bassin de jeunes joueurs de la LNH. Il vient d’ajouter du talent brut avec Cole Caufield. Jayden Struble est un défenseur de premier plan qui s’ajoute aux nombreux que Trevor a repêché au fil des années : Romanov, Brook, Mete, Juulsen. Le bassin de joueurs de centre du Canadien est impressionnant avec Kotkaniemi, Poehling, Suzuki, Olofsson et Evans. Et il compte sur un gardien de premier plan en Cayden Primeau que Trevor a ramassé en septième ronde l’an dernier. Ceux qui critiquent le travail de recrutement de Trevor Timmins et de son équipe jugent très mal leur travail », m’a lancé Craig Button avec qui j’ai longuement échangé pendant que les employés du Rogers Arena empilaient les tables et les chaises et roulaient les tapis qui recouvraient la patinoire.

 

Pas assez de Québécois

 

Le petit nombre de joueurs québécois réclamés par le Canadien encore cette année a évidemment soulevé des critiques.

 

Des critiques qui sont plus faciles à comprendre considérant la réalité propre du Canadien qui est le seul club évoluant au Québec et qui traditionnellement a souvent donné des chances aux petits gars de chez nous qui autrement n’en auraient pas eu.

 

Dans une chronique que je vous invite à lire ici, mon collègue Stéphane Leroux qui connaît la LHJMQ comme personne et qui est très au fait de la valeur des joueurs du circuit Courteau par rapport à celle des joueurs du reste du Canada, des États-Unis et de la vaste planète hockey souligne avec justesse que le Canadien s’est contenté de repêcher deux Québécois seulement avec ses 34 dernières sélections.

 

C’est très peu.

 

« J'adore l'intensité d'Harvey-Pinard »

Surtout lorsque l’on sort et ressort les «promesses» de Marc Bergevin et du Canadien selon lesquelles la représentation québécoise est importante pour l’organisation.

 

Ce genre de promesse mousse les attentes des amateurs et ouvre la porte aux critiques lorsqu’elles ne sont pas tenues.

 

Dans le hockey d’aujourd’hui, alors que les États-Unis développent de plus en plus de joueurs, et de très bons joueurs par-dessus le marché, alors que l’Europe continue d’offrir des jeunes très prometteurs et parfois mieux développés les jeunes nord-américains, les Québécois composent non seulement avec une compétition de plus en plus féroce, mais ils sont de moins en moins nombreux à frapper à la porte du repêchage.

 

Les recruteurs du Canadien aimaient beaucoup Samuel Poulin. Choisir le fils de l’ancien porte-couleurs du Canadien Patrick Poulin au 15e rang alors que Cole Caufield était encore disponible aurait mal servi la cause du Canadien et du jeune joueur.

 

Poulin est sorti 21e. Un peu en avant du rang où il devait être réclamé selon la majorité des spécialistes.

 

Le Canadien aimait aussi Jakob Pelletier. Les Flames de Calgary aussi puisqu’ils l’ont réclamé au 26e rang. Encore là, autour du rang qui était associé à son nom.

 

Repêché au 38e rang par les Oilers d’Edmonton, Raphaël Lavoie n’était plus disponible lorsque le Canadien a réclamé le défenseur américain Jayden Struble au 46e rang.

 

Est-ce que le Canadien aurait pu conclure une transaction et s’avancer pour repêcher Lavoie?

 

C’est bien sûr.

 

Mais le Canadien n’est pas obligé d’être en «amour» avec tous les Québécois. Peut-être que le Canadien tenait bien plus à Struble qu’à Lavoie. Surtout que l’Américain est un défenseur gaucher, une denrée trop rare dans la banque d’espoirs du Canadien.

 

Samuel Bolduc? Oui le Canadien l’a laissé filer et les Islanders l’ont sélectionné en fin de deuxième ronde. Mais avec Joël Bouchard qui l’a dirigé à Blainville-Boisbriand, le Canadien avait des rapports détaillés sur les forces et les faiblesses de ce joueur.

 

Là encore, le Tricolore a peut-être pris la décision de préférer un joueur qu’il convoitait davantage que Bolduc.

 

À tort ou à raison? On le saura dans quelques années.

 

Et comme le Canadien avait besoin de faire le plein de défenseur gaucher, il en a enfilé quatre de suite avec les sélections de Struble, le Suédois Mattias Norlinder, Gianni Fairbrother et Jacob Leguerrier, un franco-ontarien de Gloucester dans la banlieue est d’Ottawa.

 

Ce besoin de défenseur et le fait que le Canadien tenait à Mattias Norlinder ont coûté une sélection à Nathan Légaré.

 

Certains diront que le Canadien n’aime donc pas assez les joueurs québécois. C’est peut-être parfois le cas. Et au lieu de prétendre qu’il les aime tous et qu’il tient à les repêcher, le Canadien devrait plus froidement indiquer qu’il préférait plus tel joueur ou tel autre en raison de la position qu’il occupe et des qualités qu’il lui trouve. Peu importe qu’il soit Américain, Russe, Finlandais, Suédois ou Québécois francophone.

 

Il me semble qu’en affichant froidement ses couleurs, le Canadien aiderait certains partisans à comprendre et minimiserait les critiques à défaut de les éliminer.

 

Mais bon.

 

Le Canadien s’est rabattu sur Rafael Harvey-Pinard avec la 201e sélection. C’était trop peu trop tard, car de nombreux partisans échaudés ont simplement convenu qu’il s’agissait là d’un mal nécessaire.

 

Rien pour aider le hockeyeur de 20 ans de célébrer le fait qu’il soit enfin repêché après avoir été boudé lors des deux dernières années.

 

Une autre preuve qu’il est impossible de satisfaire tout le monde.

 

Le plus important dans tout ça, c’est qu’il faudra deux, trois ou quatre ans avant de pouvoir conclure si le Canadien a fait du bon travail en fin de semaine. S’il a pris les bonnes décisions. S’il a eu raison de favoriser Struble et Norlinder au détriment des Québécois qui étaient alors disponibles. Et de tous les autres qui l’étaient aussi.

 

C’est la beauté du repêchage. Et sa grande noirceur en même temps.

 

Une réalité qui devrait inviter les amateurs à éviter de sauter aux conclusions trop vite et à s’indigner du sort réservé aux joueurs de chez-nous avant même d’avoir des indications concrètes qu’il y a des motifs de s’indigner.

 

Un autre exemple de la mission difficile, presque impossible, qu’ont à remplir les recruteurs du Canadien et des 30 autres équipes chaque année.

 

Et ce sera le cas pour la 32e équipe lorsque Seattle fera son entrée dans la LNH dans deux ans.

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