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RÉSULTATS

Jocelyn Lemieux en quête de réponses

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Douze. C'est le nombre de commotions cérébrales qu'estime avoir subies Jocelyn Lemieux, dont plus de la moitié au cours de sa carrière de hockeyeur qui s'est échelonnée de 1986 à 1999 dans les rangs professionnels.

La plus grave remonte à la fin du mois de février 1991, à Saint-Louis, alors qu'il évolue pour les Blackhawks de Chicago. L'équipe tient son entrainement matinal en vue de l'affrontement contre les Blues.

« Je me rappelle seulement de certains détails quand je reviens à moi à l'hôpital » évoque l'ancien attaquant. On lui a raconté le violent face à face entre lui et Stu Grimson, une armoire à glace haute de 6 pi 5 po et pesant 230 livres.

« Je portais mon casque détaché. J'ai été assommé au contact, ce qui fait que le casque est parti. Ma tête a rebondi sur la patinoire comme une balle de tennis. » À 24 ans, il vient de subir sa troisième commotion cérébrale, en plus d'une fracture triple dans la région de l'oeil droit qui nécessite une opération. Malgré tout, il retourne à Chicago avec l'équipe, où il poursuit sa convalescence. « Quand tu penses à ça, ce n'était même pas une bonne idée de reprendre l'avion le lendemain! Je suis juste allé m'étendre dans le lit d'un autre hôpital.»

Les séquelles donnent froid dans le dos. Maux de tête, acouphènes, vision double pendant quelques jours, mais surtout le natif de Mont-Laurier confondra la gauche et la droite pendant plusieurs années.

Sur un ton blagueur, il lance: « Ça explique peut-être la façon dont je jouais! Mon point de référence c'était de me dire que j'étais gaucher au hockey, donc je savais de quel côté était la gauche. »

Un mois plus tard, il est de retour sur la patinoire pour les trois derniers matchs de la saison régulière et quatre duels éliminatoires contre le Minnesota.

Accepter sa vulnérabilité

Après plus de 600 matchs dans la LNH, d'autres blessures poussent Jocelyn à la retraite. Il revient s'installer au Québec où il débute sa nouvelle carrière dans les ventes et comme analyste à RDS. Le temps passe sans qu'il ne s'inquiète outre mesure de l'état de son cerveau. Il remarque toutefois que ses sautes d'humeur sont souvent démesurées.

« Parmi les symptômes, il y a certain moment où on va manquer de contrôle, comme dans l'incertitude, où les situations inconfortables. Pour nous, les gens affectés par les commotions, c'est amplifié de beaucoup. » C'est suffisant pour qu'il effectue quelques recherches sur le sujet, mais pas pour demander un avis médical.
 

Les choses changent à l'automne 2022, lorsque Jocelyn et sa conjointe des dernières années se séparent. Très proche de son fils Joshua, il se confie à lui sur l'échec de cette relation.

« J'assumais beaucoup de responsabilités concernant les sautes d'humeur, les bombes qui sautaient trop souvent. Mon fils est comme moi à plusieurs niveaux. Il a dit “Ok, j'achète que c'est dans ta personnalité, mais as-tu pensé à te faire évaluer pour tes commotions? ''»

La question n'est pas lancée au hasard. Joshua a écouté un épisode spécifique du podcast « Agent provocateur » d'Allan Walsh. L'agent de joueurs y recevait Chris Nowinski, un ancien lutteur devenu neuroscientifique, désormais à la tête d'un groupe de recherches sur les commotions cérébrales aux États-Unis. Il invite son père à faire de même pour s'initier aux conséquences de l'encéphalopathie traumatique chronique. Mieux connue sous le sigle ETC, la maladie dégénérative a été diagnostiquée chez plusieurs anciens hockeyeurs victimes de chocs à la tête, dont Henri Richard.
 

« Ça m'a fait peur parce que dans le podcast, ils expliquaient les différents niveaux. Le dernier, c'est là qu'on retrouve les gens qui souffrent de démence, comme Stan Mikita (ancienne gloire des Blackhawks). »

Joshua envoie un message à Allan Walsh sur la page du podcast. Il écrit: « Je suis secoué de constater les possibles dommages au cerveau que mon père a peut-être subi durant sa carrière dans la LNH. Je m'inquiète de constater chez lui certains symptômes de l'ETC. Nous en avons discuté en pleurant. J'ai deux enfants et je veux que mon père les voit grandir. Il est mon héros. »

Ce message poignant trouve écho auprès d'Allan Walsh qui contacte Jocelyn sans tarder. Cette discussion est sa porte d'entrée vers un réseau de contacts, dont l'Association des anciens joueurs de la LNH qui lui apprend qu'il peut participer gratuitement au protocole de recherches du Canadian Concussion Centre de Toronto. Le réputé programme s'intéresse particulièrement aux effets des commotions sur les athlètes professionnels.

« Du moment où j'ai accepté ma vulnérabilité, quand j'ai envisagé la possibilité que j'en étais rendu là, j'avais hâte d'y aller. »

En janvier 2023, il passe deux jours dans la capitale ontarienne pour se soumettre à une multitude d'examens, dont des évaluations en psychométrie, différents scans et une ponction lombaire. La fameuse commotion de 1991 retient l'attention. Le choc frontal n'est pas fréquent parmi les participants à l'étude. Cette zone du cerveau gère, notamment, la motricité, le langage et le comportement social.
 

Les premiers résultats psychologiques sont favorables.

« Je suis capable d'être analyste parce que je remarque et j'enregistre visuellement très rapidement. Le fait que je travaille dans les ventes depuis 20 ans et que je sois fonctionnel, c'est encourageant. Ils ont quand même remarqué que j'ai de la difficulté avec les choses que je ne comprends pas. On faisait des tests hyper simples et en plein milieu j'ai lâché un “ Il n'y a aucune logique dans ça! '' Ils ont compris comment je pouvais perdre patience avec quelqu'un à la maison » expose t-il.

 

Agir pour lui et les autres

 

Jocelyn n'a pas encore reçu de résultats physiques, mais il les attend de pied ferme. Contrairement à d'autres anciens athlètes, il ne craint pas de connaitre l'ampleur des dommages. « J'en ai eu assez de ne pas me comprendre. C'est dur de supporter les autres quand tu ne te supportes pas toi-même. » Il se soumettra à de nouveaux examens tous les deux ans et fera don de son cerveau au programme d'études, puisqu'il n'est pas encore possible de diagnostiquer l'ETC chez les sujets vivants.

 

D'ailleurs, les causes de la maladie ne font toujours pas consensus dans le milieu médical.
 

En tant qu'analyste de hockey, Jocelyn est très critique par rapport au rôle de la LNH dans le dossier des commotions cérébrales. Il l'est aussi envers les joueurs qui s'entêtent à poursuivre leur carrière.

« Quand les joueurs en sont rendus à porter des visières teintées parce qu'ils sont trop sensibles à la lumière, je ne suis pas certain que c'est intelligent de continuer à jouer. Vous avez fait vos fortunes, pensez donc au futur! » En tant qu'homme qui aura 56 ans en novembre, il est serein. Amoureux, grand-père pour une troisième fois, il s'estime chanceux de vivre ce chapitre grâce à l'initiative de son fils. « Il a eu du courage de m'en parler. Il mérite beaucoup de crédit. Crois-moi, il était heureux quand j'ai dis oui et que ça a débloqué. Je pense que ça a été un soulagement pour lui aussi. »

C'est pour ça qu'il n'hésite pas à raconter son histoire. Au cas où il pourrait, à son tour, aider quelqu'un qui en a besoin.