MONTRÉAL – L’embauche de Martin St-Louis par le Canadien avait été accueillie froidement au sein de la communauté du hockey québécois. Plusieurs voix s’étaient élevées à l’époque pour décrier le fait que l’organisation phare de la province avait tourné le dos à la Ligue de hockey junior majeur du Québec afin d’identifier le successeur de Dominique Ducharme.

L’eau a dégelé sous les ponts depuis ce changement de garde. St-Louis a rallié bien des sceptiques à sa cause en redonnant vie à une équipe devenue moribonde. Avec les récents succès du Canadien, les critiques sont forcés de se garder une petite gêne. Mais ça ne veut pas dire qu’ils ont disparu ou qu’ils ont tous été convertis.

André Tourigny s’est fait proposer le sujet lors de son point de presse d’avant-match mardi, un peu plus de deux heures avant de diriger son premier match dans la Ligue nationale derrière le banc du Centre Bell. « S’il faut que je réponde à ça, je vais être en retard pour la game », a répondu le pilote des Coyotes de l’Arizona.

Tourigny a tenu à ce que ça soit clair : il n’a rien contre Martin St-Louis. L’ancien entraîneur des Huskies de Rouyn-Noranda et des Mooseheads de Halifax a surtout mal à sa « Q ». Il s’explique mal que si peu d’entraîneurs du circuit Courteau ne soient présentement employés par un club de la LNH.

Dans le feu de l’action, il en a recensé trois : son adjoint Mario Duhamel, l’entraîneur-adjoint des Blue Jackets de Columbus Pascal Vincent et lui-même. Il aurait aussi pu ajouter Gerard Gallant et son éternel complice Mike Kelly, qui dirigent les Rangers de New York, mais ceux-ci avaient déjà eu leur chance dans la LNH quand ils sont passés par les Sea Dogs de Saint John il y a une dizaine d’années.  

« C’est épouvantable. Je trouve ça épouvantable que ça ne soit pas reconnu, a pesté le charismatique entraîneur. C’est la même chose au niveau des dépisteurs. Il y a des "scouts" qui sont engagés pendant qu’il y a des directeurs généraux de la "Q" qui ne le sont pas. Comment ça se fait qu’il y a des gars comme [le directeur général des Eagles du Cap-Breton] Jacques Carrière qui n’ont pas leur chance dans la Ligue nationale? Ça, c’est quelque chose qui me touche et dont je pourrais parler longtemps. Je pourrais élaborer parce que ça peut être mal interprété, mais la "Q" n’est pas reconnue. »

Après son premier passage dans la LNH – deux années comme adjoint chez l’Avalanche du Colorado et une autre chez les Sénateurs d’Ottawa – Tourigny a passé une saison à Halifax. Pour des raisons familiales, il a ensuite accepté une offre des 67’s d’Ottawa dans la Ligue junior de l’Ontario (OHL). Il y a passé quatre ans, période durant laquelle il a occupé diverses fonctions au sein de Hockey Canada.

Cette décision a garni avantageusement son CV, mais elle l’a aussi sensibilisé à une réalité qu’il déplore aujourd’hui sans retenue.

« Quand je suis allé diriger dans l’OHL, il y a deux gars qui m’ont dit : "Tu vas partir directement de l’OHL et tu vas devenir entraîneur en chef dans la Ligue nationale". Il n’y a personne qui peut rêver de faire ça dans la "Q". Pourtant, j’ai coaché pendant 12 ans dans la ‘Q’. Je suis le même gars, je parle la même langue et j’ai autant d’accent. Ça fait que je trouve que les têtes de hockey de la "Q" sont sous-estimées. »  

Comme principale pièce à conviction, Tourigny a décidé d’utiliser l’exemple de Benoît Groulx, qui a remporté trois fois la Coupe du Président à la tête des Olympiques de Gatineau et qui dirige depuis six ans le club-école du Lightning de Tampa Bay.

« Le meilleur coach contre qui j’ai dirigé, c’est Benoît Groulx. Il n’a jamais eu de chance, même pas comme adjoint. Demande-moi donc de t’expliquer ça. Je ne peux pas t’expliquer ça, je ne comprends pas. »

« Des jobs d’entraîneur-chef dans la Ligue nationale, il y en a juste 32. C’est un privilège, j’en suis conscient. Mais il y en a d’autres des gars comme [Groulx] et je trouve ça plate qu’ils n’aient pas leurs chances. Pourquoi? C’est un débat dans lequel je n’embarquerai pas, je ne ferai pas de politique. Mais je sais une affaire, il y a des maudits bons gars de hockey, des bons DG, des bons dépisteurs, des bons entraîneurs dans la LHJMQ. J’espère qu’ils vont avoir leur chance comme j’ai été chanceux d’avoir la mienne. »

Et Martin St-Louis dans tout ça? Tourigny a remarqué qu’il apportait « une belle passion » et il lui reconnaît des qualités évidentes dans ses nouvelles fonctions. « Je trouve ça exceptionnel. Ça, ce n’est pas un problème », insiste-t-il.

Mais il s’est permis de prévenir son nouveau confrère – et par la bande ceux qui seraient prêts à lui donner le bon Dieu sans confession – que le plus dur reste à venir. Ce n’est qu’une fois la lune de miel terminée que le travail d’un entraîneur commence réellement.

« Patrick Roy a déjà dit quelque chose que j’ai trouvé extraordinaire, c’est un conseil que je trouve aussi bon pour moi. Arriver dans la Ligue nationale et faire en sorte que ton message ait un impact auprès de tes joueurs, c’est une chose. C’est important, mais ce qui est difficile, c’est l’année 2, 3, 4, d’avoir le même impact quand il faut que tu fasses passer ton message de façon différente. C’est là qu’est le défi. Il faut que tu trouves encore plus de solutions et d’idées qui vont allumer l’intellect de tes joueurs. »

« Je pense que c’est le défi qui va nous attendre dans le futur, Martin St-Louis dans sa réalité et moi dans la mienne. »