Il y a deux ou trois semaines, le nom de Saku Koivu est venu sur le sujet à l'occasion d'une intéressante conversation avec le docteur David Mulder, attaché à l'hôpital Général de Montréal depuis des lunes et responsable du département médical du Canadien.

Le cancer à l'abdomen qui a frappé Koivu en 2001 a contribué à rapprocher le médecin et son illustre patient d'une façon telle qu'on sent leur amitié scellée pour la vie.

La révélation du type de cancer dont il était affligé, et qui ne pardonne pas toujours, avait donné lieu à une conférence de presse que je n'oublierai jamais. Pourtant, j'ai assisté à quelques milliers de rencontres de presse dans ma vie. Celle-là avait un cachet dramatique. Quand les docteurs Mulder et Vincent Lacroix s'étaient présentés sur l'estrade, on avait tout de suite lu sur leurs visages qu'il se passait quelque chose d'inhabituel. Faire part de mauvaises nouvelle est une responsabilité inscrite dans la définition de tâche des médecins. Ils en ont l'habitude. Généralement, ils le font avec un certain détachement puisqu'ils ne connaissent pas leurs patients intimement.

Mais là, il s'agissait de Saku Koivu, capitaine du Canadien. Un athlète pour lequel ils avaient plus que de l'admiration. C'était un combattant-né, un gars honnête qui se donnait chaque soir comme si sa carrière en dépendait.

Mulder et Lacroix étaient livides. Leurs visages étaient si blancs qu'ils auraient pu se confondre avec le sarreau qu'ils portent au quotidien.

Ils ne l'ont pas dit comme ça, mais Saku allait beaucoup souffrir. Le traitement serait sévère, douloureux, intense. Il fallait le sortir de là. Pas question de laisser ce guerrier perdre la bataille contre un adversaire habituellement trop fort. Koivu avait l'habitude de se battre contre des géants. Dans la Ligue nationale, ils étaient presque tous plus gros que lui, ce qui ne l'empêchait pas de gagner des corps à corps.

Mais la couleur du visage de ces deux éminents spécialistes ne nous laissait pas beaucoup d'espoir. Si on les sentait si préoccupés, si affectés, c'était parce qu'ils ne nous disaient pas tout, croyait-on. Pourtant, huit mois plus tard, trois jours avant la fin du calendrier, le « miraculé » sautait sur la glace sous une ovation longue, chaleureuse, quasi amoureuse. Koivu a pris place sur la ligne bleue pour l'hymne national, il a retiré son casque et affiché un crâne dégarni confirmant qu'il revenait de loin.

Il lui doit sa vie

 L'ovation persistait. Derrière le banc, la caméra est allée chercher le docteur Mulder en train de l'applaudir alors qu'il aurait mérité sa part d'applaudissements lui aussi.

Sa reconnaissance personnelle, il l'avait toutefois obtenue quelques instants auparavant dans le vestiaire de l'équipe quand Koivu l'avait remercié en lui disant qu'il lui devait sa vie. C'était probablement ce que le réputé toubib avait entendu de plus beau et de plus sincère dans sa vie. Puis, le capitaine avait pris sa place dans le rang pendant que ses coéquipiers marchaient vers la patinoire. Dans le corridor, joueurs et réservistes lui faisaient des high fives admiratifs. On avait prévu qu'il serait le dernier à sauter sur la glace. Les gradins ont tremblé quand il l'a fait.

L'ovation n'en finissait plus. L'annonceur-maison, Michel Lacroix, s'y est pris par trois fois pour annoncer l'hymne national. Sa voix puissante ne faisait pas le poids contre celles des 21 273 spectateurs. Il y avait des larmes derrière le banc. Il y avait des yeux mouillés sur la galerie de presse. Ce soir-là, le Centre Bell a vécu la soirée la plus émotive de son histoire. Rien n'a battu ce débordement d'affection depuis.

Koivu tire aujourd'hui sa révérence. On ne le reverra plus sur une glace de la Ligue nationale, sauf évidemment si la direction du Canadien souligne sa retraite dans le cadre d'un hommage qu'on pourrait lui rendre cette saison. Connaissant la classe du Canadien pour ce genre d'événement, il ne serait pas étonnant qu'on le fasse. Après tout, c'est lui qui a connu le plus long terme de capitaine après Jean Béliveau. Il a été un joueur honnête. Il sera un digne représentant des Anciens Canadiens. J'encercle déjà la date du 18 décembre sur le calendrier alors que les Ducks d'Anaheim, sa seule autre équipe, sera de passage au Centre Bell.

Koivu pourrait y faire un dernier tour de piste et recueillir sa dernière longue ovation, sa quatrième, puisqu'on l'avait aussi acclamé bruyamment à l'occasion de son retour dans le chandail des Ducks et lors de son tout dernier match ici, l'automne dernier. Il avait passé les dernières secondes de la partie sur la glace pendant qu'on scandait son prénom. On lui avait donné un dernier coup de chapeau en lui accordant généreusement la troisième étoile. Comme s'il avait voulu profiter de ce dernier moment montréalais, il s'était attardé sur la patinoire en brandissant son bâton en guise de remerciement.

Ses remerciements les plus tangibles, il les a offerts à la population du Québec quand il a proposé au docteur Mulder de créer la fondation Saku Koivu dans le but d'amasser huit millions de dollars pour l'achat d'un scan sophistiqué destiné à l'hôpital Général. Durant sa période de traitements, Koivu avait été forcé plusieurs fois d'effectuer l'aller-retour Montréal-Sherbrooke, le seul endroit au Québec où ce scan existait. L'argent a été recueilli et le précieux appareil est aujourd'hui en opération en plein coeur de Montréal.

« Il n'y a aucun doute dans mon esprit que le scan offert par la fondation Saku Koivu a sauvé la vie de plusieurs Québécois jusqu'ici », affirme le docteur Mulder.

Apprécié mais controversé

Toutes ces ovations ont été une façon de reconnaître son immense courage. Koivu n'a pas fait l'unanimité durant son stage à Montréal. Cela avait rarement à voir avec son jeu. On ne lui a jamais pardonné de ne pas avoir appris le français alors que sa femme le parlait couramment.

Pour le reste, sa carrière a été fabuleuse. Il était le capitaine de l'équipe nationale de son pays quand la Finlande a gagné son premier championnat mondial. Il a été quatre fois médaillé olympique. Il a gagné l'argent à Turin et le bronze à Lillehammer, à Nagano et à Vancouver.

Un jour, on a demandé à Koivu de se décrire comme personnage. Il a dit simplement: « Je suis une personne heureuse à qui on peut faire confiance. » 

Il aurait pu en dire davantage. Koivu n'a jamais fait les choses à moitié. C'est un perfectionniste qui en savait déjà beaucoup sur le Canadien avant son arrivée à Montréal. Il avait fait ses devoirs après avoir été le choix de première ronde du Canadien en 1993.

À l'occasion d'une réception pour les détenteurs d'abonnements de saison sur le plancher du Forum quelques jours après son arrivée à Montréal à l'âge de 21 ans, il m'avait parlé en détails des moments glorieux de l'organisation qui s'apprêtait à l'accueillir. Il m'avait mentionné son admiration pour Guy Lafleur qui était justement sur les lieux. Je les avais présentés l'un à l'autre. Timide et réservé, Koivu avait paru impressionné en serrant la main solide de Flower.

Le Canadien n'a pas gagné les grands honneurs avec Koivu, mais à son crédit, il faut admettre qu'il n'a pas joué avec de très bonnes équipes. Il a disputé son premier match trois mois avant le départ de Patrick Roy. Personne, faut-il le préciser,  n'a réussi à faire gagner le Canadien depuis.