MONTRÉAL – Un petit carré de Caramilk pèse environ cinq grammes. Ce n’est rien, mais c’était suffisant pour déranger Sidney « Darryl » Crosby qui avait remarqué une différence équivalente à ce poids dans ses bâtons de hockey.

 

Quand on raconte que Crosby est dans un monde à part au niveau de son talent et de ses connaissances du hockey, en voilà un autre exemple fascinant.

 

L’histoire provient d’Éric Lévesque qui agissait comme responsable de l’équipement et soigneur pendant les deux fabuleuses saisons de Crosby avec l’Océanic de Rimouski. Un jour, le numéro 87 s’approche de Lévesque pour lui dire « Ils ont changé le poids des bâtons, ça ne marche pas... »

 

Lévesque a donc décidé de mener sa propre enquête. Méticuleux, il identifiait chaque bâton selon la date de livraison. À ce moment, Crosby avait reçu trois lots de bâtons du modèle Momentum Force Flex de Sher-Wood. En pesant des bâtons de chaque lot, Lévesque a constaté trois poids différents : 390, 400 et 405 grammes.

 

Sans lui donner la réponse, il a demandé à Crosby d’identifier chacun.

 

« Il les a placés sur-le-champ dans le bon ordre. Je lui ai dit ‘Tu l’as eu mon ami’ », a raconté,  au RDS.ca, Lévesque encore fasciné par l’acuité de Crosby.

 

« J’ai appelé le représentant de l’époque et je lui ai expliqué ce qui venait d’arriver. C’est là que je dis que ce ne sont pas des caprices », a expliqué Lévesque en précisant que le poids de chaque bâton envoyé à Rimouski était vérifié par la suite.

 

Ce n’est pas tout, Crosby avait également remarqué que la flexibilité de ses bâtons avait été modifiée. Une fois de plus, il avait visé dans le mille et le tout a été corrigé par le manufacturier. Qui plus est, quand la production du modèle a été stoppée, l’Océanic en a déniché au Minnesota pour satisfaire son joueur d’exception.

 

Sans même avoir lu ces petites anecdotes, c’était facile de remarquer le côté perfectionniste de Crosby, un homme qui ne laisse aucun détail au hasard. Par conséquent, l’Océanic ne veut surtout pas bâcler la cérémonie, présentée vendredi soir, dont les images feront le tour de l’Amérique du Nord et qui comporte quelques surprises.

 

« Fébrilité, c’est le mot qui résume le mieux mes états d’âme. D’abord, parce qu’on a attendu longtemps avant d’avoir la chance de retirer le chandail. Ensuite, on ne veut pas manquer notre coup. C’est stressant parce qu’on veut que tout soit parfait, tous les détails. On veut que tout baigne dans l’huile pour être à l’image de Sidney, un homme pour lequel tous les détails sont importants », a indiqué Michel Germain, le descripteur des matchs de l’Océanic à la radio. 

 

Appelez-le Darryl et non Sidney

 

Votre curiosité a peut-être été piquée par la mention de cet autre prénom. Il s’agit du surnom que Crosby a conservé durant son passage avec l’Océanic. On a laissé Mark Tobin, l’un des grands copains de Crosby dans l’équipe avec Eric Neilson, Danny Stewart et Erick Tremblay, en raconter la prémisse.

 

« Dans le junior, tout le monde aime trouver des surnoms, on en raffolait à Rimouski et chacun avait le sien. Quand il a récolté quelque chose comme huit ou neuf points (c’est bien huit) dans un match préparatoire, on s’est dit que c’était assez proche pour le surnommer Darryl en l’honneur de Darryl Sittler (qui a déjà inscrit 10 points dans un match) », a confié Tobin en disant que ce fut quelques fois suffisant pour qu’il ne se fasse pas reconnaître dans un lieu public.

 

Si ce surnom a surtout été conservé à l’interne, il s’est rendu jusqu’aux oreilles de Sittler.

 

« À mon avis, cette histoire est peu connue. Au début du camp d’entraînement de sa deuxième saison, il a reçu un paquet par la poste. C’était le sommaire du match du Maple Leaf Garden quand Sittler avait amassé ses 10 points. Sittler lui a envoyé le tout en écrivant ‘À Darryl, bonne chance pour ta carrière ! De la part de Darryl’. C’était tellement cool de sa part », a ajouté Tobin.

 

Pas de traitement spécial pour lui
 

En deux saisons à Rimouski, Crosby a récolté 303 points en 121 parties régulières en plus de mener son club à la finale de la coupe Memorial. C’est sans parler de ses dizaines de prouesses spectaculaires sur la patinoire qui auraient fait les choux gras des réseaux sociaux.

 

Dany Roussin, complice de Crosby à Rimouski

Si cette affirmation s’impose parfois comme un cliché, Crosby s’est cependant démarqué par son attitude et son comportement respectueux. Pour le prouver, c’est facile de trouver des exemples comme la fois où il a défendu la langue française en tenant à enregistrer une portion de son discours en français pour le gala de la Ligue canadienne de hockey. On peut citer aussi la journée quand il a acheté une tonne de beignes et de café pour distribuer aux partisans qui faisaient la file devant le Colisée de Rimouski. Et que dire de sa décision de partager une partie de son boni de Reebok avec ses coéquipiers en leur achetant des cadeaux.

 

« Les gens ont appris à le connaître au fil des ans, mais ça revient toujours au fait qu’il est une bonne personne. Je me souviens qu’il ne voulait pas être traité différemment. Parfois, s’il avait une demande spéciale, il s’arrangeait pour s’en occuper lui-même pour ne pas déranger les autres. On voyait déjà le capitaine en lui », a souligné Lévesque qui travaille maintenant avec le Rocket de Laval.

 

« Son statut fait en sorte qu’il n’a pas une grosse vie personnelle, les gens le reconnaissent un peu partout en Amérique du Nord. C’est sa vie de ne pas avoir de vie privée ou presque. Cela dit, il n’a jamais commis de gaffes et c’est très impressionnant », a ciblé Tobin.  

 

« Quand il est arrivé, à son premier camp d’entraînement, en août 2003, on m’a présenté à Sidney comme le descripteur des matchs. Il ne disait pas un mot de français à ce moment et il m’a dit dans l’oreille qu’on allait faire une entrevue en français avant de quitter pour les vacances de Noël. Sur le coup, j’étais sceptique. Aujourd’hui, il me dirait qu’il s’en va décrocher la lune dans 15 minutes pour la rapporter sur Terre et je ne rirais pas », a évoqué Germain.

 

En plus de se dédier à apprendre le français, il se sentait redevable envers les partisans.

 

« Il ramassait des boîtes de courrier à Rimouski et il disait qu’il s’en allait faire ses devoirs. C’était d’aller signer les cartes qui venaient des partisans. Il prenait le temps de le faire », a vanté Lévesque.

 

Alors que sa vie n’était déjà pas comme les autres jeunes de 16 ou 17 ans, Crosby trouvait le moyen de s’amuser avec des activités bien simples.

 

« Il y a deux choses qu’on faisait souvent quand la température était clémente à Rimouski. Avant l’arrivée de l’hiver, on aimait aller au terrain de balle-molle derrière le Colisée et on faisait des concours de circuit. On allait également jouer au tennis. Sid et moi sommes très compétitifs et j’aimais jouer des matchs intenses contre lui. On l’a encore fait cet été où Donald Dufresne habite et, évidemment, il m’a battu », a mentionné Tobin en riant.   

 

« Oh oui, ils apportaient leur gant et leur bâton de baseball. Ils allaient aussi jouer au hockey dans la rue avec les enfants. Ça me fait penser à l’histoire quand on avait dû cacher ses patins parce qu’il avait besoin d’un break. Sauf que Sidney, c’est Sidney donc il s’est arrangé pour en avoir une autre paire sans que personne ne le sache », a convenu Lévesque.

 

Un catalogue de jeux impressionnants 
 

Pour son aspect spectaculaire, le but « pelleté » marqué à partir de derrière le filet avec la rondelle soulevée sur sa palette demeure le plus mémorable, mais ce serait dommage de ne pas souligner d’autres exploits.

 

« Bien sûr, pour frapper l’imaginaire, il y a ce but qui a fait le tour de l’Amérique du Nord. Mais des jeux du même niveau d’habiletés, il en a fait des dizaines et des dizaines. Je pense à son but avec Pittsburgh quand il a plongé dans une montée à deux contre un parce que la passe était trop longue. Ce jeu, il l’a fait dans le junior au moins une ou deux fois. C’était aussi spectaculaire sinon plus parce que c’est fait en mouvement, dans le feu de l’action », a indiqué Germain.

 

Tobin, lui, n’oubliera jamais quand l’entraîneur Doris Labonté lui avait demandé de sauter sur la patinoire avec Crosby. C’était durant la séquence de 28 matchs sans défaite de l’Océanic.  

 

« On était séparés par quelques joueurs sur le banc. Sid m’a regardé et il m’a dit d’aller me placer devant le filet de mettre mon bâton sur la patinoire et de ne pas bouger. Je l’ai littéralement écouté. J’ai, pour ainsi dire, amplifier le geste en plantant mes deux lames dans la glace. J’ai déposé ma palette pendant qu’il était dans le coin à faire ses manœuvres d'un côté à l'autre à la Denis Savard. Tout d’un coup, il a effectué une passe du revers qui est arrivée directement sur ma palette. J’ai regardé et le but était ouvert devant moi, j’ai eu le temps de regarder la rondelle et de lancer. J’ai eu tellement de temps pour compter ce but. Je ne pouvais arrêter de rire et il est venu célébrer avec le sourire au visage. Je n’en revenais pas. Il n’aurait pas fallu que je manque ce but », s’est souvenu Tobin alors que Crosby évoluait majoritairement avec Marc-Antoine Pouliot et Dany Roussin.

 

Germain se souvient aussi des « pauvres » équipes qui commettaient l’erreur de prétendre qu’elles allaient le menotter.

 

« Il répliquait toujours et ça s’est poursuivi dans la LNH. C’est la pire chose à faire comme on l’a vu la saison dernière en prévision du duel contre Connor McDavid. Bien des chroniqueurs disaient que ça permettrait d’identifier le meilleur. Je me disais ‘Seigneur, vous ne savez pas ce que vous venez de faire’. Les Penguins ont gagné grâce à deux buts de Sidney dont celui en prolongation qui était très spectaculaire », a conclu Germain sur cet être d’exception.