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Prédictions des experts

 

RALEIGH - Casquette et survêtement des Hurricanes sur la tête et sur le dos, espadrilles aux pieds, Tom Dundon se tenait au centre du gymnase adjacent au vestiaire de son équipe.

 

L’entraînement des Canes venait à peine de prendre fin. Après avoir écouté les directives de leur entraîneur-chef Rod Brind’Amour, avoir retiré et rangé leur équipement, des joueurs étaient étendus pour s’étirer ici, d’autres faisaient du vélo stationnaire là, alors que les plus actifs levaient des haltères là-bas.

 

Dundon faisait le tour de son monde.

 

Il avait bien plus des allures de gourou de l'entraînement veillant à ce que les joueurs respectent les programmes qu’il leur avait conçus, voire d’un préposé s’assurant de ramasser les serviettes souillées et d’en distribuer d’autres bien propres et sèches que du propriétaire de l’équipe qu’il a acquise en signant un chèque de 400 millions $ et en allongeant d’autres millions $ pour éponger les dettes accumulées par l’ancien proprio Pete Karmanos Jr.

 

Considérant qu’il était habillé exactement de la même façon lors du dernier repêchage à Vancouver et que c’est très souvent en survêtement aux couleurs de son équipe qu’il s’assoit autour de la table avec les 30 autres propriétaires dans le cadre des réunions des gouverneurs dirigées par Gary Bettman, on ne devrait pourtant plus être surpris par « la manière » Dundon.

 

Mais cette manière tranche tellement avec le décorum de Geoff Molson et des autres membres de sa famille qui ont dirigé le Canadien qu’il est presque normal d’être intrigué chaque fois qu’on croise le proprio des Canes.

 

Au fait : Tom Dundon est-il davantage « un gars de la gang » que le propriétaire?

 

Quand j’ai posé la question à Jordan Staal, le capitaine a hoché la tête en s’offrant quelques secondes de réflexion. « Il est très décontracté, c’est vrai. Il aime être autour de l’équipe et jaser avec nous. Mais ne te fie pas seulement aux apparences. Il demeure le propriétaire de l’équipe. Et en tant que propriétaire, il s’assure de bien faire comprendre sa vision et ce qu’il attend de nous tous pour que nous fassions des Hurricanes un club gagnant. Il est très présent. Oui. Mais cette présence n’est pas seulement symbolique. Il ne vient pas passer du temps avec nous parce qu’il n’a rien d’autre à faire. Il se tient avec nous pour donner le ton, pour faire passer ses messages », a-t-il nuancé.

 

Après avoir échangé conseils et observations avec un joueur sur l’importance de maximiser l’amplitude d’un élan de golf, Tom Dundon était en grande conversation avec Haydn Fleury lorsqu’il s’est mis à marcher vers moi pour notre rencontre prévue depuis quelques jours. « Ce sera sans doute très spécial et plaisant pour vous deux et le reste de votre famille, mais rappelle-toi bien qui doit sortir gagnant de ce match », que le proprio a répondu au défenseur qui venait de lui annoncer que son petit frère Cale s’était taillé un poste avec le Tricolore et que les deux frérots s’affronteraient jeudi en Caroline où le Canadien et les Canes donneront le coup d’envoi à leur saison 2019-2020.

 

Une fois devant moi, Tom Dundon a échangé un « cogne-cogne » de poings au lieu de la traditionnelle poignée de main. C’est là que j’ai compris que notre entretien qui aurait habituellement eu lieu dans un somptueux bureau ou une confortable salle de conférence se déroulerait là, maintenant, dans un gymnase à l’intérieur duquel flottaient des odeurs de sueurs, de « Tiger Balm » et des airs de musique country.

 

Démolir pour mieux reconstruire

 

S’il passe aujourd’hui plus de temps autour de ses joueurs que dans son bureau ou dans des salles de conférences pour y dicter ses attentes et ses philosophies à tous ses employés, c’est parce que ce travail d’excavation au cours duquel il a jeté les nouvelles bases sur lesquelles il entend reconstruire son équipe est terminé.

 

Un travail colossal au cours duquel Dundon a non seulement dessiné les plans, mais il s’est même permis de secouer, voire de détruire, les colonnes sur lesquelles les « anciens » Hurricanes avaient été bâtis puisqu’il a chassé une des gloires de l’organisation, Ron Francis, qui était jusqu’à ce moment l’homme de confiance de l’ancien propriétaire.

 

«Don – Don Waddell, le président et directeur général de l’équipe – et Rod – Rod Brind’Amour, l’entraîneur-chef – sont maintenant bien établis dans leur position. Ils me connaissent, ils me comprennent et ils ont maintenant mon entière confiance. Ils gèrent et dirigent l’équipe de la façon dont je veux qu’elle soit gérée et dirigée. »

 

Et c’est quoi cette façon de gérer?

 

« Prendre les moyens nécessaires pour satisfaire les clients », réplique Dundon qui mène son club d’une main de fer et qui compose mal avec les opinions et les méthodes qui diffèrent des siennes.

 

« Tom est particulier, mais quand tu as appris à le connaître et à le comprendre, c’est le meilleur propriétaire que tu ne peux pas avoir. Je l’adore. Oui il est direct. Oui il te dit ce qu’il aime et n’aime pas. Mais tu peux le faire aussi. Nous avons atteint une complicité qui me permet de souligner mon désaccord et l’expliquer. On se parle comme deux amis. C’est lui le patron et les décisions finales lui reviennent, mais il a à bien l’équipe et il est prêt à nous donner les moyens de réussir », explique Rod Brind’Amour.

 

Les Canes ont réussi l’an dernier. Ils ont respecté la philosophie de leur propriétaire alors que les clients qui sont revenus au bercail après avoir boudé le PNC Arena pendant des années ont été très satisfaits.

 

Forts d’une saison de 99 points, les Canes ont accédé aux séries pour la première fois en 10 ans. Et une fois en séries, ils se sont rendus jusqu’en finale d’association.

 

Cette saison de rêve ne veut pas dire que les Canes soient maintenant un club d’élite dans la LNH et qu’ils le resteront à jamais.

 

Que non!

 

Car avant leur traversée du désert qui a duré neuf longues saisons, ils s’étaient justement rendus en finale d’Association en 2008-2009. Sans oublier qu’ils ont raté les séries en 2006-2007 et 2007-2008 lors des deux saisons qui ont suivi leur première et seule conquête de la coupe Stanley.

 

Mais Dundon entend bâtir sur les succès de l’an dernier et prouver à tous qu’ils ne sont pas le fruit d’un heureux hasard, mais la preuve que les Canes sont en voie de se hisser au sein des clubs à prendre au sérieux à chaque début de saison; à chaque début de séries.

 

« Je n’avais pas d’échéancier lorsque j’ai acheté l’équipe. Je savais que je voulais faire de cette équipe une équipe gagnante. Je savais comment j’allais m’y rendre pour atteindre mon but. Mais je ne savais pas combien de temps il me faudrait pour y arriver. Nous y sommes arrivés rapidement et on doit maintenant prendre les moyens pour y rester. C’est pour cette raison que je tiens à offrir à nos joueurs le meilleur milieu de vie et de travail possible afin qu’ils soient heureux d’être ici. Afin qu’ils soient non seulement en mesure d’offrir le maximum de leur rendement, mais qu’ils tiennent à s’établir et à demeurer avec nous », affirme Dundon qui est bien conscient que la Caroline ne représente pas un marché traditionnel dans la LNH.

 

« Nous ne sommes pas à Montréal ici. On n’attire pas l’attention des partisans seulement avec des X et des O. On doit donc offrir plus que du jeu rapide et solide. On doit offrir de l’atmosphère. Du plaisir. C’est pour ça que vous avez vu les célébrations que nous avons instaurées l’an dernier pour souligner, avec nos partisans, nos victoires à la maison », explique le propriétaire.

 

Des célébrations ont valu aux joueurs des Hurricanes le quolibet de « Bunch of Jerks » ou de bande de connards si vous préférez.

 

Pas question de remercier le Canadien

 

L’image affichée par Dundon et ses méthodes, disons peu orthodoxes dans le monde très orthodoxe de la LNH lui a valu bien des critiques autour de la Ligue. À l’image de ses joueurs, le jeune milliardaire s’est souvent fait traiter de connard lui aussi. Du moins en coulisses.

 

S’il a transformé en or la critique de « Bunch of Jerks » en faisant de cette insulte un outil promotionnel qui a fait sensation autour de la LNH l’hiver dernier, Tom Dundon est beaucoup plus pointilleux face aux critiques à son endroit.

 

Pas question d’accepter que ses homologues puissent le percevoir comme le simple « connard en chef » à la tête des Hurricanes. Un connard dont on peut facilement intimider, voire profiter.

 

C’est d’ailleurs ce qui l’a froissé le plus dans l’opération Sébastian Aho que le Canadien a mené le premier juillet dernier en présentant une offre hostile à la jeune sensation des Canes.

 

« Je ne peux concevoir qu’une équipe sérieuse comme le Canadien ait pu croire une seconde que je ne me défendrais pas. Cette opération commando venue de Montréal est le seul point négatif avec lequel il a dû composer depuis que je suis propriétaire », réplique Tom Dundon.

 

Quand je lui fais remarquer qu’au lieu d’en vouloir au Canadien, il devrait plutôt le remercier puisque sa réplique à l’offre hostile du Canadien lui a permis de prouver son sérieux et le sérieux d’une organisation qui en manquait cruellement depuis des années, Dundon reste de marbre.

 

En fait non : il refuse de me donner raison. Ne serait-ce qu’en partie.

 

« Veux-tu bien me dire pourquoi j’aurais à prouver mon sérieux? Si je suis propriétaire des Hurricanes de la Caroline, c’est parce que j’ai les moyens d’être propriétaire d’une équipe de sport professionnel. Je n’ai pas besoin de l’intervention de personne encore moins d’une offre hostile pour le prouver.

 

« Regarde mon cheminement de carrière. Regarde ce que j’ai bâti et explique-moi comment une équipe a ainsi pu me regarder de haut? Comment elle a pu m’accorder si peu de respect? Que les amateurs ne sachent pas qui je suis passe encore. Qu’ils se fient à ce qu’ils lisent, voient ou entendent passe encore. Mais qu’une équipe de la Ligue nationale ait pensé une seconde que ce scénario marcherait ça m’a dépassé et ça me choque encore aujourd’hui », défile Dundon.

 

Le propriétaire des Hurricanes a beau être en colère. Il a beau décrier le fait que l’image de propriétaire qui s’est offert un petit jouet et dont on pourrait facilement abuser lui a valu l’offre hostile que le Canadien a déposée le 1er juillet dernier.

 

Mais un fait demeure :

 

Cette offre lui a bel et bien permis de démontrer que les Hurricanes de la Caroline ne sont plus les laissés pour compte de la LNH. Qu’ils ne forment plus l’organisation moribonde dont le nom était associé aux moindres rumeurs de relocalisation, mais bien une organisation gagnante que les jeunes vedettes ne voudront pas quitter une fois leur autonomie acquise, une organisation solide à laquelle les joueurs autonomes rêveront même de se greffer.

 

C’est d’ailleurs de cette façon que son capitaine Jordan Staal a accueilli la décision de son propriétaire d’égaler l’offre présentée par le Canadien à son jeune coéquipier.

 

« Tom nous a lancé un message clair et il l’a fait au reste de la Ligue en égalant cette offre. Cette décision était très importante pour moi et tous les joueurs dans le vestiaire. On sait qu’il veut gagner, parce qu’il nous le répète depuis qu’il est à la tête de l’équipe. Mais il ne s’est pas contenté de le dire. Il a pris un moyen pour le prouver », a indiqué le capitaine des Canes.

 

Aussi décontracté puisse-t-il avoir l’air alors qu’il déambule au milieu de ses joueurs et des autres proprios de la LNH en survêtement et casquette aux couleurs de son équipe, Tom Dundon est bien plus que le connard en chef à la tête de son équipe.

 

Il est le propriétaire d’un club qu’il a redressé, qui a gagné l’an dernier et qui tentera de gagner encore cette année pour prouver que les Hurricanes de la Caroline sont maintenant autre chose que les simples parents pauvres du hockey.