MONTRÉAL – « Ici, je ne suis pas Suisse, je suis Canadien. Et, quand je retourne au Québec, je ne suis pas trop Québécois, je suis Suisse. » Bienvenue dans la réalité de l’entraîneur Louis Matte qui, à 48 ans, a désormais passé la moitié de sa vie dans son pays d’accueil grâce au hockey. 

Même si ce sport est une religion au Québec, son nom ne surgit pas souvent dans les discussions. La rigueur suisse nous incite à tester une hypothèse pour expliquer ce résultat. 

Matte n’a pas percé dans la LHJMQ contrairement à son frère jumeau, René, qui a travaillé pour les Remparts, les Saguenéens et les Cataractes. Il s’est plutôt exilé en Suisse, en 1997, peu de temps après avoir complété son baccalauréat en Éducation physique à l’Université Laval. 

Son talent n’a pas tardé à être reconnu alors qu’il a gravi les échelons. D’abord embauché pour encadrer le développement de la relève du club Genève-Servette, il a accédé à la Ligue nationale suisse en 2008 à titre d’adjoint. Une fois de plus, sa vision a été remarquée alors qu’on lui a successivement ajouté les tâches de directeur général adjoint et directeur du développement des joueurs.

L'équipe de Genève-ServetteC’est donc dire qu’il œuvre pour la même organisation depuis 1997! De nos jours, la stabilité est tellement rare dans le sport professionnel qu’elle est presque perçue négativement, comme si c’était étrange dans un curriculum vitae. Pourtant, elle témoigne de son évolution et sa capacité d’adaptation. 

« Ouais, j’ai fait partie des privilégiés. Quand je suis arrivé dans le hockey mineur, la structure se montait. Après, on grimpe chez les pros, Chris (McSorley) était l’entraîneur-chef, le directeur général et le propriétaire du club. Ça m’a donné un bon coup de main », a-t-il humblement mentionné dans un généreux entretien avec le RDS.ca.

Sa longévité s’explique autrement et c’est tout à son honneur. 
 
« Ce qui nous a aidés, c’est qu’on a toujours eu une équipe avec un budget moyen, mais une réussite plus que correcte. On a gagné en crédibilité même à travers l’Europe pour ça. J’espère que ça va continuer longtemps et d’avoir déjà fait 24 ans à Genève, ça me rend fier. Tu deviens un clubiste, tu ne veux pas tant partir, tu veux faire le mieux pour l’organisation et donner satisfaction à tes employeurs », a reconnu Matte. 

Pour un entraîneur qui ne s’était fixé aucun objectif en déposant ses valises en Suisse, voilà une feuille de route plus qu’enviable au hockey professionnel. Les circuits prisés de l’Europe permettent aussi de jongler avec plusieurs réalités comme le recrutement des joueurs étrangers, les tournois internationaux comme la Coupe Spengler ou la Ligue des champions. 

« Tu te développes grâce à ça comme entraîneur et ça te fait découvrir plusieurs cultures et plusieurs cultures de hockey », a noté Matte. 

Il a pu s’y plonger abondamment, aussi souvent qu’on le fait avec une irrésistible fondue suisse, dans le cadre de ses fonctions administratives. Ce volet est précieux à ses yeux. 

« Ça ajoute beaucoup d’expérience, c’est un autre aspect que tu ne vois pas toujours quand tu es coach, tu vois plus à court terme en voulant gagner au jour le jour. Pour le management, tu dois aussi penser moyen terme et long terme. Parfois, tu prends des décisions en sachant que ça va te faire mal à court terme, mais que c’est un investissement pour plus tard. J’ai pu voir les deux facettes », a-t-il exposé. 

Au cours des prochaines semaines, Matte et tous les acteurs de la Ligue nationale suisse devront s'habituer à jouer pratiquement à huis clos. En dépit des moyens financiers limités, les dirigeants ont décidé de poursuivre le calendrier jusqu'au 1er décembre malgré les nouvelles restrictions imposées par le gouvernement. La situation sera évalué de nouveau par la suite. 

Deux options pour le déraciner ?

Dans les sphères du hockey, un tel parcours ne passe pas inaperçu. Sachez-le, ce n’est pas essentiel de posséder une fiche sur le site hockeydb pour attirer l’attention des autres clubs. Au fil des ans, il a d’ailleurs refusé quelques offres pour le déraciner de Genève. 

Et si l’appel de l’Amérique du Nord surgissait, serait-ce suffisant pour rompre une liaison de près d’un quart de siècle avec une organisation ? 

« Si un jour, ça se présente, ouais, pourquoi pas. Ce serait à évaluer en famille. Quand je suis parti, j’étais un jeune étudiant qui sortait de l’université. Maintenant, j’ai ma femme et ma fille. L’avantage de vivre en Europe, c’est qu’on s’ouvre beaucoup sur les autres mentalités », a réagi l’entraîneur. 

Donner la chance aux Québécois

À moins que ce soit via une promotion comme entraîneur-chef en Suisse qu’un déménagement finisse par le convaincre de quitter Genève-Servette. Il admet publiquement que cette nouvelle tâche l’intéresserait. 

« Ça fait plusieurs années que je suis ici et j’ai eu la chance d’avoir la stabilité. L’autre chance que j’ai eue, c’est que j’ai travaillé avec trois entraîneurs donc j’ai vu trois manières différentes de gérer une équipe. Si ça se présente, je vais l’évaluer. J’ai eu la chance une fois ou deux par le passé, mais je sentais que j’avais encore plein de choses à accomplir à Genève et j’ai préféré rester dans mes doubles fonctions », a avoué Matte qui ne bluffait pas à propos du côté gestion. 

L’histoire du hockey à Genève remonte à plus de 100 ans, mais le club de Matte n’a jamais goûté aux joies d’un championnat de la Ligue nationale. À ne pas en douter, voilà ce qui le comblerait avant tout. 

« On a perdu en finale en 2008 et 2010. À notre actif, on a toutefois deux titres de la coupe Spengler (2013 et 2014). C’était assez spécial puisque les deux fois, on a battu Team Canada en demi-finale », a témoigné Matte avec une fierté bien compréhensible.  

Il s’éloigne tout de même rapidement quand on lui propose que ça devait faire chaud au cœur de vaincre le Canada. 

« Disons que c’est un peu bizarre au début du match, tu joues quand même contre ta nation. Mais, notre avantage était d’avoir misé sur la même équipe toute la saison avec un système peaufiné dans un tournoi qui se joue vite sur une semaine », a commenté Matte qui a conservé quelques contacts au Québec dans la confrérie des entraîneurs incluant Serge Beausoleil, de l’Océanic de Rimouski, et Christian Alain de l’Académie St-Louis. 

Outre la coupe Spengler et les réussites au niveau junior suisse, la défaite en finale contre Berne, en 2010, restera étrangement comme un beau souvenir.  

« On avait remonté la pente pour provoquer un septième match. C’était bizarre de perdre et que 3000 fans nous attendent à l’arrivée pour célébrer. On n’avait rien gagné… », a-t-il raconté en souriant. 

*Dans les deux prochains articles, qui seront publiés cette semaine, vous découvrirez comment Matte a ouvert des portes en Suisse à plusieurs entraîneurs québécois dont son frère René et le spécialiste des gardiens, Sébastien Beaulieu. 

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