MONTRÉAL – Mohamed Farsi a eu amplement de temps pour réfléchir au cours des derniers jours. Après l’élimination du Cavalry FC du tournoi de la Première Ligue Canadienne, le Montréalais de 20 ans et ses coéquipiers ont pris un autobus pour relier Charlottetown à Halifax, puis ont traversé le pays afin de rejoindre Calgary par avion. 

Farsi restera en Alberta jusqu’à lundi, la dernière journée que se réserve le personnel d’entraîneurs du Cavalry pour rencontrer ses joueurs. Il rentrera ensuite à la maison avec devant lui une longue entre-saison, mais gorgé d’un grisant sentiment d’accomplissement.

La première expérience de Farsi dans le monde du soccer professionnel fut courte, mais enrichissante au possible. Entré comme réserviste dans le match inaugural du Cavalry, il a provoqué le penalty qui a permis à son équipe de créer l’égalité dans les arrêts de jeu. C’était le premier signe d’une belle éclosion. Il a été titularisé dans les deux parties suivantes, fournissant une passe décisive dans chacune d’elles. Même son entraîneur s’est publiquement étonné de la rapidité à laquelle il a su trouver ses repères dans sa nouvelle ligue.

Mais la jeune recrue ne s’est pas assise sur le compliment. Après un bref creux de vague dans la deuxième semaine de la compétition, il a marqué les esprits en marquant un superbe but dans une victoire de 3-1 au début de la phase de groupe. 

À l’heure du bilan, le latéral droit avait débuté sept des dix matchs de son équipe, dont trois efforts de 90 minutes pour clore le tournoi. Quelques jours plus tard, il a appris qu'il était en nomination pour le titre de meilleur joueur de moins de 21 ans de l'année. Pas mal pour un gars sur lequel quelques équipes de la CPL avaient levé le nez et qui avait dû se soumettre à un essai de deux semaines avec le Cavalry afin de les convaincre de lui accorder un contrat.

« C’est sûr que je suis fier, ne cachait pas Farsi lorsque rejoint par RDS à son retour de la bulle de l’Île-du-Prince-Édouard. Fier d’avoir réussi, en si peu de temps, à me mettre en valeur, à faire mes preuves. Après, je suis un peu déçu par rapport au résultat qu’on a eu. Autant je suis content pour moi, la vérité c’est que j’aurais aimé mieux gagner, être champion, aller jouer contre une équipe MLS. Ça, c’est le truc qui me frustre le plus. J’arrête pas d’y penser depuis qu’on a perdu. Je ne suis pas encore redescendu. »

Dans ses rêves les plus fous, Farsi se voyait bien sûr soulever une coupe, mais il pensait aussi à ses intérêts personnels. Un an plus tôt, c’est en affrontant une équipe torontoise dans le cadre du Championnat canadien – il évoluait alors pour l’AS Blainville – qu’il avait attiré les regards et s’était éventuellement ouvert une porte en CPL. Cette fois, il s’imaginait profiter d’une finale contre un club MLS pour ajouter des faits saillants à son portfolio. 

« Ça aurait été une très, très grande opportunité, réalise-t-il. Tu joues contre une équipe MLS, tout le monde regarde. L’attention médiatique va être grande par rapport à ce match-là et on ne sait pas qui va regarder, que ça soit d’autres équipes MLS ou d’ailleurs. »

Prudemment, il se permet toutefois de croire que ce n’est que partie remise. 

« J’ai réfléchi et tout, je me suis dit j’ai réussi à jouer en CPL. C’est pas une saison complète, certes, c’est dix matchs dans un court laps de temps. Mais je me dis que j’ai réussi à jouer deux matchs par semaine, avec toute la charge de travail que ça implique. Alors oui, je me dis que je serais peut-être capable de jouer au prochain niveau. Mais je ne veux pas brûler les étapes. Je continue à bosser et après, ça va se faire tout seul. Étape par étape. » 

Porte-étendard de la PLSQ

Farsi a pris un chemin atypique pour accéder au soccer professionnel. Il n’a pas transité vers un prestigieux programme Sport-Études ou l’académie d’un club pro, passant plutôt par un programme AAA du quartier Notre-Dame-de-Grâce, puis par le Collège Ahuntsic. À 17 ans, il a fait ses débuts dans la Première Ligue de Soccer du Québec (PLSQ), un circuit semi-professionnel. En parallèle, il a accédé à l’équipe nationale de futsal, une variante du soccer qui se joue à 5 contre 5 à l’intérieur.

En 2019, Farsi s’est exilé en Algérie, d’où sa famille est originaire, après y avoir reçu une offre d’un club professionnel. Il en est revenu avant même d’avoir vu le terrain. 

« J’y pense à chaque jour, à mon parcours et à tout ce que j’ai vécu. Il y a beaucoup de choses que j’ai vécues qui sont dans les coulisses, que personne ne sait. À Charlottetown, je me rappelais à chaque jour de ce parcours-là. Je me disais que j’avais bien fait de ne pas abandonner, que tous ces efforts avaient payé. »

Farsi ne sait trop ce qu’il aurait fait s’il n’était pas parvenu à impressionner les entraîneurs du Cavalry en février dernier. Son plan B était de retourner à Blainville pour une autre tournée au Championnat canadien. Il sait maintenant que la pandémie aurait fait avorter le projet. 

« J’aurais été dans la merde », finit-il par avouer.

Dans un dénouement beaucoup plus joyeux, le prometteur jeune homme se dit maintenant investi d’une mission, du même genre que celle que le défenseur de l’Impact Joel Waterman se disait heureux d’accepter après être devenu le premier joueur de l’histoire de la CPL à signer un contrat en MLS. Il veut tracer le chemin pour d’autres joueurs de la PLSQ, une ligue que plusieurs considèrent grossièrement sous-représentée dans la CPL. 

Seulement une poignée d'anciens du circuit québécois sont présentement sous contrat en première division canadienne. L’un de ceux-là est Diyaeddine Abzi, un défenseur du York 9 qui a lui aussi été en lice pour le titre de meilleur jeune joueur de la CPL au terme de sa saison recrue en 2019.   

« Chaque fois que j’entends parler de la PLSQ, que ce sur les réseaux ou à la télé, je suis hyper content. Avec ce qu’Abzi a fait depuis son entrée, et avec l’impression que je viens de laisser, je crois que les arguments sont là pour finalement jeter un vrai coup d’œil de ce côté. »