Le football s’est richement nourri de grandes images, fresques épiques, épopées héroïques. Chaque pays, chaque culture a sa manière de raconter la bête et sa nature, mais il s’agit toujours d’un voyage initiatique où à travers chaque épreuve, le protagoniste en découvre toujours un peu plus sur lui-même.

 

Chacun des rescapés des huitièmes de finale a appris quelque chose de son passage, à sa manière. Façon de dire: ils ont tous déjà dû se relever les manches et ce n’est rien comparé à ce qui les attend. Les huitièmes ont été durs, intenses, éprouvants? Attendez la suite…

 

La France s’est trouvé un allant. Bien sûr, Mbappé revient en récurrence dans ses moments forts face à l’Argentine. Il a démontré sans équivoque ce dont on le sait capable depuis 18 mois. Son rôle sera forcément différent devant une défense uruguayenne clairement plus solide, mobile et organisée que les cônes d’entraînement argentins. Sur le plan des satisfactions, le rendement de la paire Kanté - Pogba est à placer au même niveau. À plein régime, ils sont capables de dominer un milieu de terrain avec une suprême assurance. Ce sera essentiel vendredi. Et le premier problème de Deschamps sera de choisir le remplaçant de Matuidi (suspendu) pour les épauler, avec forcément un choix tactique implicite. Derrière, Pavard et Hernandez sont de belles satisfactions, mais on retiendra aussi trois buts encaissés contre l’Argentine et un certain flottement lorsque celle-ci a égalisé puis pris l’avantage. Le coup de fouet de Pavard n’a pas laissé le doute s’installer trop longtemps. C’est tout de même à surveiller, tout comme le travail a priori ingrat qui attend Giroud et Griezmann face au bloc uruguayen.

 

Pour l’Uruguay, l’essentiel de ce quart tourne avant le coup d’envoi autour du mollet de Cavani. Son absence serait gravement préjudiciable à la Celeste, avant tout pour son entente exceptionnelle avec Suarez, retrouvée face au Portugal. Son rôle défensif aussi, puisqu’il est appelé à venir très bas gêner, coincer, bloquer le porteur du ballon: il prépare le travail pour la ligne située derrière lui. Parler de l’Uruguay, c’est bien sûr revenir sur l’une des meilleures organisations défensives du tournoi. C’est une ruche, bâtie sur le travail incessant et la communication. Elle a certaines faiblesses (sans doute les couloirs intérieurs, entre centraux et latéraux), mais parvient à en limiter l’accès grâce à l’efficacité et le placement de ses milieux. Et elle demeure formidable sur balles arrêtées.

 

Du Brésil, on retiendra son sérieux, son application, bien plus importants que le Neymar Show. Son approche face au Mexique répond à un plan de match carré et préétabli: ils vont sortir comme des diables pendant vingt minutes, alors assurez-vous d’abord de votre travail défensif, ne vous lassez pas déborder, emporter. Ce n’est qu’ensuite que vous pourrez commencer à sortir et progressivement prendre contrôle du match. Et ça a fonctionné, d’abord autour d’un Thiago Silva que l’on a retrouvé en patron. De la sobriété des latéraux, Fagner et Felipe Luis. Puis de la force tranquille de Paulinho et Casemiro. Avant de se lâcher plus librement vers l’avant. Si Coutinho a peut-être été moins en vue, Willian a connu un déclic soudain dans un tournoi où il décevait, la contribution de Gabriel Jesus est moins flagrante, mais ses mouvements ne sont jamais gratuits. Et il y a Neymar. On adore, on déteste, il enchante, il irrite. Jongleur / acrobate / funambule, son voyage est d’aller jusqu’au bout du fil sans tomber dans le vide de la comédie et de l’individualisme. À l’opposé total du sérieux et de la sobriété d’un Casemiro, important dans l’équilibre de l’équipe et dont la suspension contre la Belgique pose un problème.

 

S’il est un voyage qui a failli mal tourner, c’est bien celui des Belges. Le beau temps annoncé s’est transformé en tempête, emportant un milieu de terrain désarmé et une défense rarement inspirée. « Désarmé »? Oui, quand on possède avec Hazard, Mertens et De Bruyne ce qui se fait de mieux en technique, vitesse, vision, exécution. Mais il leur faut le ballon! Et c’est ce manque dans la reconquête qui a failli briser les reins d’une équipe au talent offensif indiscutable. La balle a sifflé au ras des oreilles de Roberto Martinez. Et on attend de voir ce qu’il décidera face au Brésil, sachant qu’il ne peut non plus changer brutalement de cap en cours de route. Ses remplacements (Chadli, Fellaini) ont su transformer le match et l’attitude de ses joueurs à 0-2 a été une énorme satisfaction. Revenir à une défense à quatre a certains mérites, à commencer par offrir un meilleur contrôle au milieu et derrière, surtout face à un tel adversaire. Mais c’est abandonner un concept de jeu installé depuis de longs mois.

 

L’autre moitié du tableau est un voyage dans l’inconnu. Un horizon en trompe-l’oeil, un terrain de sables mouvants où rien n’est tout à fait ce qu’il semble.

 

Les Russes ont abandonné le terrain aux milieux espagnols. Reculant sur deux lignes de cinq, il ont choisi de garder la laisse sur leurs hyper-actifs du milieu, Zobnin et Gazinskiy (ce dernier laissé sur le banc). Stanislav Cherchesov a froidement analysé qu’ils n’avaient pas d’autres moyens de faire et opté de jouer sur un bloc bas et compact. La nature de leur prochain adversaire pourrait leur permettre de sortir un peu plus. Un peu, ma non troppo. Espérons-le car ces milieux s’expriment au mieux lorsqu’il faut courir sur les talons de l’adversaire, harceler, jaillir dans les pieds. Et Golovin et Cheryshev demandent de vastes espaces. Sans en faire trop non plus, mais en retrouvant l’apport de Fernandes et Zhyrkov (ce dernier est incertain pour le match) sur les ailes, le choix de la pointe (Dzyuba ou Smolov) demeurant une question. Tout autant que le résultat, c’est ce visage brave, déterminé, héroïque dans l’adversité qui a fini par emporter l’adhésion inconditionnelle de millions de partisans. Le plan de jeu demeure simple, sans doute plus agressif que contre l’Espagne, mais dépendra avant tout de têtes redevenues claires et lucides après la folie de samedi.

 

En regardant les huit rescapés, on ne peut qu’admirer l’exceptionnelle qualité des milieux de terrain de plusieurs d’entre eux. Dans ce registre, la Croatie est l’une des plus brillantes. On a ressassé la maîtrise de ce milieu lors du premier tour. le huitième de finale face au Danemark a montré que ça ne suffisait pas toujours et la transition vers les attaquants n’a pas toujours été facile: la Croatie s’est mise à perdre beaucoup plus de ballons, ce qui est un risque face à un « contreur » comme la Russie. Rebic est une belle révélation, mais on attend encore plus de Mandzukic et surtout Perisic. Derrière, la paire Vida - Lovren fonctionne plutôt bien, mais n’est jamais trop loin d’un petit manque de communication aux conséquences coûteuses. En jouant au mieux de ses qualités, la Croatie a ce qu’il faut pour sortir du piège. Mais elle possède cette incroyable particularité de se mettre parfois à dé-jouer et se mettre elle-même dans le jus.

 

Comme dans toute épopée qui se respecte, grec ou scandinave, tout commence par un sacrifice. Dans le cas de la Suède, celui de Zlatan. Ses velléités de retour ont été régulièrement balayées par Janne Andersson, qui s’est volontairement privé d’un joueur capable de changer un match sur un coup de génie. Sa Suède est extrêmement bien organisée et tire sa force de son bloc défensif, capable de jouer très bas et de soutenir une écrasante pression. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si son joueur de base est Granqvist, totalement aux antipodes de Zlatan. Devant la défense, la Suède récupère Sebastian Larsson, de retour de suspension, dont le jeu long peut déclencher des contres pour Toivonen et Berg (une option qui a manqué contre la Suisse). Forsberg est encore en deçà des attentes, mais demeure le milieu le plus créatif du lot. Pour espérer vaincre l’Angleterre, il faudra tout de même être pas mal plus efficace face au but.

 

On fait grand cas du succès anglais aux tirs au but. Comme si une « malédiction » avait été levée des Trois Lions et que rien ne peut plus les arrêter. C’est peut être oublier les 120 minutes qui ont précédé, et avant ça les 180 minutes (on laisse de coté le match contre la Belgique) de phase de groupe: l’Angleterre peine à créer dans des phases de jeu et s’en est régulièrement remise aux balles arrêtées. Est-ce que ça fonctionnera face à une défense pas mal équipée dans ce domaine? Les Anglais possèdent eux aussi un formidable potentiel offensif, mais pour le moment, l’activité de Dele Alli, Lingaard ou Sterling, voire Rashford semble trop souvent désordonnée, toujours centrée autour de la présence de Kane, qui est en train de les faire sortir de prison match après match. On sent qu’il ne manque pas grand-chose pour que l’ensemble soit plus complet (l’entente Alli - Kane, essentielle à Tottenham, n’est pas mise ne valeur). La défense à trois n’a pas été souvent testée et ne devrait l’être que sporadiquement, essentiellement sur contre et sur les ailes.