Modric. Pogba. Hazard. Kane. De Bruyne. Dele. Rakitic. Griezmann. Lloris. Pickford. Courtois. Subasic.

 

L’énumération pourrait encore continuer sur plusieurs lignes. Le détail des forces en présence nous est maintenant connu, familier près d’un mois après le match d’ouverture. Éventail d’exceptionnels talents, cartes majeures dans des mains jusqu’à présent gagnantes.

 

Continuez la liste tant que vous voulez, réarrangez-la à votre plaisir, jusqu’à vous arrêter à la suivante: Deschamps. Southgate. Dalic. Martinez.

 

Ça n’a pas exactement le même clinquant, non? Pourtant, dans moins d’une semaine, l’un des quatre aura su sortir de sa tête et de ses tripes une combinaison  magistrale, inattaquable et Championne du monde.

 

Deschamps et son image

 

Des quatre, Deschamps est le plus familier. Si son passé de joueur est exceptionnel, son présent de sélectionneur demeure encore flou. Flou, comme les rapports qu’il entretient avec les médias de son pays, empreints d’une certaine méfiance réciproque. L’image renvoyée est d’un technicien capable, mais parfois trop prudent, trop lisse. Il traîne encore ce portrait du « porteur d’eau » dessiné il y a quelques années par Eric Cantona. Qu’il renvoie à travers ses Bleus. Travailleurs, appliqués, disciplinés. Frustrants par moments, tant on sent à l’occasion une facilité telle qu’on attend qu’ils se lâchent un bon coup. La flamme, on l’a vue lors du huitième haletant face à l’Argentine. Il aura fallu qu’ils soient menés et (un peu) bousculés pour enfin sortir: Mbappé en aura été le symbole. Mais les trois buts encaissés n’auront pas été de tous les goûts. Et le sérieux est revenu au galop face à l’Uruguay. Peu d’occasions de but, mais une rigueur retrouvée, alignée sur ce duo Pogba - Kanté destiné à être le coeur de cette équipe. Alignée sur Varane, enfin reconnu comme l’un des centraux les plus intelligents du moment. Alignée sur Matuidi, qui devrait revenir après suspension, « homme à tout faire » vers lequel Deschamps se tourne  pour résoudre un problème (Messi hier, De Bruyne mardi). Ou Giroud, l’éternel choix existentiel de Deschamps. Alors, on parle encore et toujours de potentiel. Oui, la France a une équipe d’exception; oui, elle est tactiquement au point; oui, elle progresse dans le bon sens depuis le début. Oui, elle a tout ce qu’il faut pour que dimanche prochain… Sauf que d’ici là, il y a mardi. Et qu’il ne sera plus vraiment question de « montée en puissance », de « marge de progression ».

 

Les bricolages de Roberto

 

En face, il y aura Roberto Martinez. Comme un heureux enfant qui aurait reçu le plus beau jouet de construction imaginable. Cette génération destinée depuis des années à être l’équipe marquante de la décennie. Mais qui regarde filer les années. Avec l’impression d’être en retard sur l’horaire. Cette équipe aurait probablement  « dû » gagner l’Euro il y a deux ans. Qu’elle ne l’ait pas fait relève d’un ensemble de facteurs, parmi lesquels l’impuissance du sélectionneur, Marc Wilmots, à mettre toutes les pièces ensemble. Martinez a mis le temps aussi, remarquez. Mais ses bricolages ont fini par donner deux des moments forts de ce Mondial. La remontée face au Japon, aussi irrésistible que la première mi-temps face au Brésil. Dans le premier cas, c’est son adaptabilité (et celle de son banc) à une situation qui l’a sauvé: en mettant une bonne couche d’isolant à son milieu, pour le rendre moins perméable. Il s’en est fallu tout de même de peu, par exemple d’un arrêt de Courtois sur le coup-franc de Honda. Mais l’expérience aura porté ses fruits: le quart de finale a été une petite oeuvre d’art, avec une équipe à « géométrie variable », alternant 3 ou 4 en défense selon les phases et basculant vers l’avant à toute vitesse, le trio aligné à l’autre bout mélangeant joyeusement les cartes dans leur positionnement continuellement changeant. Au coeur du système, le trio Witsel-Chadli-Fellaini a composé avec efficacité et intelligence, avant tout dans son positionnement. Face à la France, Martinez devra faire sans Meunier, un autre gros problème tactique qui pourrait valoir une approche encore différente. Mais le plan général devrait être assez proche de celui adopté face aux Brésiliens, essentiellement pour protéger une défense parfois un peu lente des accélérations d’un Mbappé, par exemple. Et si Hazard, De Bruyne et Lukaku sont capables d’être aussi rapides, aussi acérés, aussi en phase que vendredi, ils peuvent faire très, très mal…

 

Southgate, la révolution inattendue

 

De l’autre coté, Gareth Southgate semble marcher sur l’eau. Tout e qu’il entreprend depuis deux ans fonctionne. Appelé en rattrapage (Sam Allardyce, nommé après l’Euro, n’aura duré que deux mois, pris dans un scandale), son rôle semblait être essentiellement « de transition ». En fait, il a pris le poste et les responsabilités à bras le corps: expédiant peu à peu la « génération dorée » et installant une méritocratie qui ne s’arrête pas aux « six gros » de Premier League. Plusieurs de ses joueurs sont ainsi passés par des clubs de troisième ou quatrième division, voire plus bas, apprenant le métier à la dure, Pickford ou Maguire, deux des héros du quart de finale en font partie. Outre un large renouvellement de la sélection, il s’est attaché à moderniser le jeu et l’allure de la sélection. Défense à trois, ligne haute, système basé sur la possession et rythme élevé. Sa sélection dégage un certain allant, un dynamisme et une envie qui la rendent parfois un peu brouillonne dans les phases d’attaque, mais qui se trouve peu à peu. Le match face à la Suède a ainsi permis de voir une nette amélioration dans les mouvements de Dele Alli et Lingard, une meilleure entente autour de Kane, et parfois sans Kane. C’est ce dernier point qui ressort du quart de finale: jusqu’alors, le jeu anglais avait une finalité essentielle: trouver Kane en bonne position. Il a aujourd’hui franchi une autre étape, capable de s’affranchir de cette dépendance. La défense à trois n’a pas toujours été testée à fonds et il n’est pas faux de penser que la Croatie peut offrir une toute autre problématique. Dernier point: la victoire aux tirs au but sur la Colombie a ôté de la sélection le lourds poids de nombreux échecs de la sélection. Il y a une franche volonté de faire table rase dans ce groupe. Ce qui le rend aussi totalement imprévisible.

 

Dalic, l’homme providentiel

 

Zlatko Dalic est arrivé sans fanfare à la tête de la Croatie. Et même dans l’urgence. Nommé le 7 octobre dernier, pour un match décisif disputé le 9 en Ukraine. Dalic, proche du président de la Fédération croate, était alors au coeur d’un long passage en Arabie saoudite et aux Émirats, couronné de succès. Le mandat était clair: ramasser les morceaux laissés par son prédécesseur, Ante Cacic, qualifier la Croatie, et après on verra. Il y est parvenu, emportant au passage l’adhésion totale de ses joueurs, fait suffisamment rare dans la sélection pour être noté. Son approche est basée sur la confiance, le lien avec ses joueurs: longues discussions individuelles et utilisation dans des rôles et des responsabilités similaires de ce qu’ils connaissent en club. Mais avant tout, c’est un inconditionnel de Luca Modric - qui ne le serait pas? - et le coeur de son approche vise à lui donner la plus large liberté de mouvement, de décision sur le terrain. Match après match, Modric s’emploie à être le cerveau de cette équipe. Plus exactement, l’hémisphère gauche. L’hémisphère droit, c’est Rakitic, son complément indispensable. Il sont appuyés au milieu par un troisième homme, selon la nature de l’adversaire (Brozovic, Badelj, Kovacic). Le flot du jeu doit aller rapidement vers le trio plus offensif, Perisic - Mandzukic - Rebic, capable de multiplier les pistes. Offensivement, c’est solide et devrait être un gros problème pour l’Angleterre. Par contre, la défense - et en particulier l’axe Vida-Lovren - n’offre pas une totale sécurité et demeure fragile sur balles arrêtées, ce que les Anglais chercheront à mettre à profit. En outre, deux prolongations successives risquent de peser très lourd, surtout face à un adversaire dont la fraîcheur physique apparaît clairement à ce stade du tournoi. Ça et l’état de santé de Subasic, héros des deux séances de tirs au but, qui semblait mal en point sur la fin du match contre la Russie, sont des impondérables qui peuvent avoir une importance déterminante.