MONTRÉAL – Après sept années passées à couver son bébé en MLS, Joey Saputo juge qu’il est peut-être temps de mieux canaliser son attachement émotif au projet et d’enfiler son chapeau d’homme d’affaires.

 

« Considérant où on veut s’en aller, je crois que [le club] doit être géré différemment. Je crois que je dois prendre un peu de recul et aborder la situation dans un rôle de planificateur stratégique », a admis le président de l’Impact vendredi lors d’un dîner auquel il avait convié une quinzaine de membres des médias affectés à la couverture de l’équipe.

 

Malgré des revenus annuels s’élevant à 27 M$, l’Impact perd en moyenne 11 à 12 M$ par année depuis son entrée en MLS. Afin d’atteindre la viabilité et de demeurer compétitif dans une ligue qui connaît une progression fulgurante, le club n’a d’autre choix que de resserrer sa gestion et de revoir sa stratégie d’affaires.

 

« Pour réussir à suivre la parade, nous avons encore des devoirs à faire », résume M. Saputo.

 

Les chiffres visés ne sont pas du même ordre que ceux obtenus à Atlanta, où l’équipe d’expansion engrange selon Saputo des profits de deux millions de dollars par partie locale. On ne s’imagine pas non plus pouvoir rivaliser avec les 25 000 abonnements de saison qu’a déjà vendus le Cincinnati FC en vue de son arrivée en MLS en 2019. L’Impact veut plutôt réduire l’écart qui le sépare de marchés comme Kansas City, Portland ou Salt Lake City, qui se positionnent dans la moyenne de la ligue.

 

« Notre plan n’est pas audacieux ni ambitieux. On n’essaie pas d’aller sur la Lune. Ce n’est pas si difficile », est convaincu M. Saputo.

 

D’ici 2020, l’Impact souhaite augmenter son revenu moyen par billet à 40$, une hausse de 14$ par rapport à son rendement de 2017. À elle seule, cette mesure pourrait lui permettre de retrancher jusqu’à 3,5 M$ à son déficit annuel. L’organisation a déjà annoncé, le mois dernier, sa décision d’augmenter le prix des billets individuels et des abonnements de saison dans certaines parties du stade.

 

Voici d’autres pistes de solution qui ont été évoquées vendredi.

 

SENSIBILISER LA COMMUNAUTÉ DES AFFAIRES
 

À son arrivée en MLS, l’Impact a cherché à engraisser sa base de partisans en menant une opération séduction auprès des 18-35 ans. « Mais on comprenait aussi qu’une grande partie de nos succès antérieurs provenait de la clientèle familiale », a rappelé M. Saputo.

 

Aujourd’hui, le président réalise que la grande place réservée aux familles et aux groupes lors des jours de matchs explique probablement en partie le retard qu’accuse le club au niveau des revenus en provenance de la billetterie. Dans cette optique, l’organisation entend courtiser de façon assumée le milieu des affaires montréalais.

 

M. Saputo s’inspire d’une visite au domicile de la Juventus. Le prestigieux club italien, explique le grand patron de l’Impact, joue dans un stade de 45 000 spectateurs où une expérience rehaussée est offerte à une clientèle nantie, ce qui fait en sorte que 80 % des revenus provient de 10% des sièges.

 

« C’est la communauté d’affaires qui compense pour le partisan moyen. C’est un modèle qu’il nous faut envisager », empresse M. Saputo.

 

L’Impact partira également à la chasse aux partenaires financiers. À l’heure actuelle, ses revenus de commandite sont figés à 3 M$ sous la moyenne de la Ligue, avance le grand patron.

 

TROUVER UN COMPROMIS AVEC LA VILLE

 

L’Impact caresse le projet de moderniser le Stade Saputo, notamment en agrandissant la tribune nord. Les rénovations, dont le coût est estimé à 50 M$, doterait l’amphithéâtre de la configuration nécessaire pour permettre aux dirigeants de modifier l’expérience client en accord avec leurs ambitions.

 

Mais Joey Saputo refuse d’aller de l’avant dans ce dossier tant que la Ville de Montréal n’acceptera pas d’alléger son compte de taxes.

 

M. Saputo affirme qu’il doit déjà régler une facture annuelle de 2 M$ pour son stade de la rue Sherbrooke et le complexe d’entraînement qu’il a acquis et rénové à quelques pâtés de maison au sud. C’est un montant qu’il juge injustement élevé et qu’il souhaite voir revu à la baisse.

 

De plus, il estime que la réfection du Stade Saputo aurait pour effet de doubler sa contribution aux coffres de la Ville, une perspective qui freine ses idées de grandeur.

 

« Il s’agit d’une dépense majeure dans notre budget d’opération. Actuellement, nous n’avons pas de motivations à investir davantage. » Richard Legendre, le vice-président exécutif au développement stratégique et aux communications du club, déplore du même souffle que « depuis 2012, la volonté municipale n’a pas été suffisante pour trouver une solution ».

 

Les hommes d’affaires affirment toutefois avoir eu une première rencontre positive avec la nouvelle mairesse Valérie Plante.

 

UN MARKETING PLUS AGRESSIF

 

En plus de sensibiliser les gens d’affaires à sa cause, Joey Saputo désire approfondir le bassin de partisans de son équipe. Pour ce faire, il entend miser sur une meilleure promotion de son produit dans des secteurs historiquement négligés par l’équipe.

 

« En 2012, on savait quand il y avait un match parce que le samedi après-midi, on voyait les gens en ville porter leurs maillots. On sent que l’engouement a diminué depuis et il faut s’attarder sur cette problématique », réalise M. Saputo.

 

Le Bleu-blanc-noir devrait notamment faire sentir davantage sa présence au centre-ville au cours des prochaines années. On a notamment soulevé l’idée d’y déplacer, la veille des matchs, la cloche installée par le groupe de supporteurs « 1642 ».

 

Joey Saputo pourrait également utiliser les édifices qu’il possède dans le paysage métropolitain pour faire rayonner l’image de son club. L’Impact pourrait aussi déplacer une partie de son équipe administrative dans les gratte-ciel de la cité.  

 

« Même à l’interne, il nous faut mieux utiliser nos acquis afin d’afficher nos couleurs », croit M. Saputo.

 

DÉFINIR LE RÔLE DE L’ACADÉMIE

 

L’Impact investit actuellement 1,5 M$ à chaque année dans le fonctionnement de son académie. Deux ans après avoir mis la hache dans son équipe réserve, Joey Saputo envisage la possibilité de couper encore plus les dépenses qui y sont consacrées afin de réinvestir le montant épargné ailleurs.

 

« À un moment donné, il faut regarder et se demander quel est le retour sur cet investissement. Comment pourrais-je utiliser l’argent sur autre chose qui fait plus de sens? », s’est ouvertement questionné le président.

 

Selon M. Saputo, son groupe doit statuer sur le rôle qu’il veut confier à l’académie.

 

« Quelle est la probabilité qu’après trois ans, nous parvenons à vendre un joueur 4,5 M$ pour au moins nous permettre de rentrer dans notre argent? Si on juge que les probabilités sont nulles, il faut se demander si le modèle actuel fonctionne. Parce que présentement, on ne fait que payer. »

 

M. Saputo imagine également un scénario où l’argent injecté dans l’académie serait plus profitable à l’équipe première s’il servait à l’acquisition de places de joueurs internationaux.

 

« Il nous faut être créatifs », insiste-t-il.