« Mind the gap! ». Un message que l’on entend tout le temps dans le métro de Londres. Qui demande de faire attention à l’espace entre la porte du train et le quai - souvent assez large - pour éviter de tomber entre les deux. Expérience vécue par mon fils il y a trois ans.

« Mind the gap! ». C’est la première chose à laquelle on doit penser au lendemain des arrestations survenues en Suisse à la veille du Congrès de la FIFA. Il y a tant d’espaces entre les divers éléments du dossiers (entre les divers dossiers, même) que les risques sont grands de s’y casser la figure. De s’emmêler les pieds et de manquer le quai.

Tout d’abord, une vaste majorité des crimes imputés (corruption, racket, blanchiment d’argent, fraude électronique) concernent des actes commis par des personnes agissant au nom de ou dans des fonctions concernant deux confédérations régionales : Concacaf et CONMEBOL - et non pas de la FIFA à proprement parler. C’est une distinction qui aura son importance, je pense, dans l’évolution du dossier et qui devrait être l’un des éléments sur lesquels la FIFA pourra chercher à s’exonérer. Évidemment, le sas entre les deux types d’institutions (confédérations d’une part, Fédération internationale de l’autre) n’est pas étanche, et lorsque l’on éternue dans l’une, on trouve des microbes dans l’autre.

Victime pendant 25 ans?

On peut d’ailleurs s’étonner du mutisme de ces deux confédérations depuis les arrestations et le peu d’intérêt qu’on leur porte. Après tout, le FBI a bien perquisitionné dans les locaux de la Concacaf dans les heures qui ont suivi les arrestations. Après tout, ce sont le président de la Concacaf, Jeffrey Webb, et son prédécesseur, Jack Warner, qui font partie des personnes arrêtées (Warner n’est plus membre de la FIFA et n’était pas en Suisse, mais s’est rendu à la police de Trinité-et-Tobago), c’est-à-dire les deux personnes qui ont dirigé la Confédération depuis 25 ans! Finalement, la Concacaf s’est fendue d’un communiqué, s’alignant sur la position de la FIFA : nous sommes les victimes de fraudeurs, maintenant que les pommes pourries ont été coupées, le pommier n’en sera que plus sain. Victime pendant 25 ans!

Ce qui ouvre la porte aux deux autres lignes de défense de la FIFA face aux accusations de la justice américaine, essentiellement celles qui touchent les activités des personnes incriminées ayant agi comme membres de la FIFA ; à savoir, malversations au moment de l’élection du président en 2011 et lors du choix de l’organisateur de la Coupe du monde 2010 (Afrique du sud). Dans le premier cas, la FIFA peut présenter l’enquête de sa commission d’éthique auprès de l’Union caribéenne de Football en mai 2011 (juste avant le vote présidentiel) et qui a abouti à diverses suspensions, voire expulsions de la FIFA et de la Concacaf (dont Jack Warner). Dans le deuxième cas, elle peut désormais aisément avancer que les « pommes pourries » avaient étendu leurs activités au moment du vote pour l’Afrique du Sud en 2004.

Inattaquable de front

Est-ce à dire qu’il n’y a rien à faire, à dire, que la FIFA dans son état actuel est intouchable? Non! Seulement, faire l’amalgame de divers dossiers et tout lui envoyer à la tête, comme on le voit depuis près de 48 heures, n’a aucune chance de changer quoi que ce soit à son fonctionnement interne. En fait, elle peut repousser chacune des attaques portées contre elle. Pas plus qu’une stratégie de « rentre-dedans-tête-baissée » comme cherche à le faire l’UEFA à la veille de l’élection présidentielle de vendredi.

La confédération européenne menace de se retirer de la FIFA (ou de boycotter le Mondial 2018, ou encore de se retirer du comité exécutif de la FIFA, les options changent d’heure en heure) en cas de réélection de Sepp Blatter. Elle va massivement apporter son soutien au Prince Ali Bin al-Hussein, membre de la famille royale de Jordanie et seul adversaire de Tonton Sepp pour la présidence (l’UEFA devrait mettre au moins 48 de ses 54 votes derrière le Prince, avec des exceptions notables comme la Russie et l’Espagne). Ce qui devrait pousser l’élection à un deuxième tour, mais ne devrait pas être suffisant pour faire basculer la présidence. La FIFA est un monolithe, immuable, c’est la raison de son fonctionnement actuel, de sa résistance à toutes les attaques. La prendre de front, c’est se lancer contre une façade lisse, sans prises, sans ouvertures.

Est-ce à dire qu’il n’y a rien à faire? Non! Mais, bien plus que les arrestations de mercredi, ce sont d’autres pièces du (des) dossier(s) qu’il faudra surveiller dans les mois à venir. Dans sa conférence de presse à New York suite aux arrestations, la procureure générale des États-Unis Loretta Lynch a annoncé qu’il ne s’agissait « que d’un début ». Et que d’autres éléments pourraient être mis à jour. On pense à de possibles rencontres entre Chuck Blazer et Alexei Sorokin, le président du comité d’organisation Russie 2018.

Les ouvertures possibles

Chuck Blazer est un ancien secrétaire général de la Concacaf, bras droit de Jack Warner, puis a été membre du Comité exécutif de la FIFA. Personnage au style de vie flamboyant, il a longtemps été l’un des acteurs majeurs du football aux États-Unis. Une enquête de l’IRS, le fisc américain, a entraîné son arrestation par le FBI en novembre 2011 pour fraude fiscale. Sa collaboration et son témoignage font partie des éléments ayant permis aux autorités américaines de découvrir le système de fraudes et de corruption ayant abouti aux arrestations de mercredi. Parmi les éléments du dossier, des enregistrements de rencontres entre Blazer (qui portait un micro) et plusieurs des personnes arrêtées, entre 2012 et 2013.

Autre élément à surveiller, parallèlement aux arrestations de mercredi, la police suisse a saisi des documents relatifs aux attributions des Coupes du monde 2018 (Russie) et 2022 (Qatar). Il s’agit d’une procédure totalement indépendante de celle menée aux États-Unis. Maintenant, il est tout à fait envisageable (il s’agit d’une hypothèse) que les autorités américaines aient appris certaines choses à ce sujet au cours de leur enquête principale et les aient transmises aux autorités suisses (lesquelles ont procédé aux arrestations de mercredi à la demande de la justice américaine), un échange de bons procédés.

Le coup le plus dur pourrait cependant venir « du champ gauche », avec la perte de crédit de la FIFA auprès de ses partenaires commerciaux. Depuis 24 heures, des sponsors majeurs comme Coca-Cola, Sony, Visa, Hyundai ont annoncé leur « forte inquiétude » devant cette situation. C’est sans doute là que la FIFA est la plus vulnérable.

Depuis mercredi matin, la FIFA traite cette crise comme un gros problème de relations publiques - comme elle le fait à chaque fois qu’une situation du genre se présente. Comme d’habitude, elle retombe sur ses pattes en stigmatisant les « individus » qui ont individuellement abusé de leur pouvoir, tout en promettant de faire son maximum pour collaborer avec les autorités et « faire le ménage dans la grande famille du football ». Désolé de le dire, mais elle possède déjà une bonne longueur d’avance sur ceux qui cherchent à la rendre plus transparente. Et lui rentrer dedans en mélangeant trop de cas différents ne fait qu’augmenter son avance. Et nous laisse dans le vide, en ayant manqué le quai.