LAVAL – Wandrille Lefèvre sourit et tend la main. Le contact est franc, les retrouvailles sympathiques. L’ancien défenseur de l’Impact est de belle humeur. Il y a un match ce soir. Ça ne peut pas être un hasard.

 

Lefèvre vient d’arriver au Stade Desjardins, où l’AS Blainville et le Fury d’Ottawa croiseront bientôt le fer dans le match aller de la deuxième ronde du Championnat canadien. La conversation coule. Le grand rouquin n’a rien perdu de sa verve et parle de soccer avec la même générosité qu’il l’a fait pendant les cinq années qu’il a passées dans l’œil du public. Puis, après quelques minutes, une hésitation.

 

« Je n’ai pas le goût qu’on dise ‘Ah, un autre ancien qui a une dent contre le club’... », s’inquiète-t-il.

 

Le souci est légitime, mais s’avérera impertinent. Dans les 15 minutes qui suivront, Lefèvre ne donnera aucune occasion de le coincer. Si l’amertume le ronge encore, six mois après que l’Impact lui ait fait savoir qu’il n’était plus désiré, l’ancien numéro 55 ne le laissera jamais transparaître.

 

« Je trouve ça plate parce que ce n’était pas mon objectif d’en arriver là maintenant. Tu sais, j’aurais bien joué encore quelques années... » C’est à peu près le plus loin qu’il osera aller.

 

À 28 ans, Lefèvre n’a pas mis une croix définitive sur sa carrière de joueur. Son cœur l’empêche de cesser d’y croire complètement. Il écouterait avec beaucoup d’intérêt si une offre arrivait du champ gauche, d’ici la fin de l’été ou même cet hiver. « Je suis encore en extrêmement bonne forme, clame-t-il. Je m’entraîne par moi-même, j’ai toujours eu cette discipline. Chaque année, c’est moi qui remportais les tests au camp d’entraînement. À l’heure actuelle, tu me ramènes dans un club pro, en 10-12 jours je suis opérationnel. »

 

Lorsqu’il s’emballe trop, sa tête, son « côté pragmatique » comme il l’appelle, le ramène sur terre. Seulement trois matchs en 2017. Orphelin de maillot en 2018. Les chances qu’on pense à lui sont minces, il le sait. Mais la possibilité que son dernier match soit derrière lui plutôt que devant n’altère pas sa sérénité.

 

Sage homme, Lefèvre avait protégé ses arrières. Membre de l’Ordre des Comptables professionnels agréés du Québec, il agit présentement à titre de conseiller en financement et transfert d’entreprises pour le compte de la firme Capital Conseil. Il touche également le plein salaire rattaché à la dernière année du contrat qui le lie à la MLS, une somme avoisinant les 120 000$ américains.

 

« La transition ne s’est pas fait ‘boom’, on m’a envoyé ça dans la tête et ça m’a frappé de plein fouet. J’ai pu me préparer. Ce sont des choses que tu sens, hein? À un moment donné, après huit ans dans l’organisation, huit ans dans le domaine, tu finis par percevoir les signes d’un joueur qui devient, entre guillemets, en fin de cycle. Je l’ai perçu. J’ai su qu’il faudrait que je me trouve éventuellement un autre club pour cette année, ce qui est difficile à trouver dans l’état des choses. »

 

« J’aurais aimé être vu par de nouveaux yeux »

 

Lefèvre a officiellement été libéré le 18 janvier, un peu plus de deux mois après l’entrée en poste de Rémi Garde. Il n’a jamais rencontré le nouvel entraîneur de l’Impact, ni ne lui a parlé.

 

« C’est sûr que quand j’y pense, j’aurais aimé, dans cette dernière année de contrat que j’avais avec l’Impact, être vu par de nouveaux yeux, recommencer à zéro avec cet entraîneur qui a une renommée en France. Même si dans ma tête, je me disais que ça serait quand même compliqué, j’y ai cru un petit instant. Mais voilà, les choses se sont passées autrement... »

 

Les raisons pour lesquelles Garde n’a pas daigné prendre la chance de se laisser surprendre par Lefèvre au camp d’entraînement sont peut-être sportives. Après tout, le défenseur met lui-même le début de son déclin sur le compte de performances inégales combinées à l’essor du jeune Kyle Fisher. « Il faut regarder la réalité en face aussi, J’ai joué dans ce début d’année et je n’ai peut-être pas été le plus performant. »

 

Ces raisons dépassent peut-être aussi les limites du terrain. Lefèvre s’était attiré les foudres de ses patrons en avril après avoir publié une photo controversée sur son compte Instagram. La suspension que l’incident lui avait value avait rapidement été annulée par la Ligue, mais le mal était fait. Il n’a plus jamais semblé dans les bonnes grâces du club par la suite.

 

Peu importe. Au final, Lefèvre ne croit pas que la haute direction ait imposé son départ au successeur de Mauro Biello.

 

« Il y a une évaluation qui a été faite en amont, mais je pense que Rémi Garde, ce n’est pas le genre à se faire imposer quelque chose. C’est quelqu’un qui a eu les performances qu’il a eues dans sa carrière – comme joueur et comme entraîneur – parce qu’il a de l’ambition, il a de la personnalité. Il a sans doute dit ‘Ok, avec Wandrille, je vais aller dans le sens de la décision du club. C’est correct, salut’. »

 

L’Impact aurait bien eu besoin de Lefèvre en début d’année. Lorsque Fisher et Zakaria Diallo sont tombés au combat, et avant que n’arrivent Rod Fanni et Rudy Camacho, le Bleu-blanc-noir a souffert d’une inquiétante pénurie d’arrière central et a payé comptant ce manque de profondeur. L’équipe commence à peine à se remettre du pire début de saison de son histoire en MLS.

 

Lefèvre n’a rien manqué de cette déroute. Il dit avoir visité trois fois le Stade Saputo et regardé tous les autres matchs à la télé. Il jure qu’il ne retire aucun plaisir des déboires de ceux qui lui ont tourné le dos.

 

« En arrivant au Canada, l’Impact a tout de suite été mon club et avant d’être pro, je suis passé par l’Académie. Il y a un long historique avec ma relation avec l’Impact, elle dépasse les années que j’ai pu faire comme membre de la première équipe. Alors non, je ne me réjouis pas de ce qui leur arrive. Je savais que ça ne serait quand même pas facile. Changer une équipe du tout au tout et espérer que ça marche vite, je pense que ce n’est pas raisonnable. Mais à ce point-là? Non. Sauf que dans le foot, tu sais, ça peut changer vite... » ​